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SEICHO MATSUMOTO |
Le Point ZéroAux éditions ATELIER AKATOMBOVisitez leur site |
157Lectures depuisLe dimanche 7 Octobre 2018
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Une lecture de |
Au Japon, fin des années 1950. Âgée de vingt-six ans, c’est par un entremetteur que Teiko Itane a rencontré et épousé Kenichi Uhara, de dix ans son aîné. Il est publicitaire, un métier d’avenir dans ce pays en reconstruction. En poste à l’agence de Kanazawa, il rejoindra bientôt la direction de sa société à Tokyo. Après un chaste voyage de noces, Uhara doit effectuer un dernier déplacement à Kanazawa, avant que son successeur Yoshio Honda ne le remplace. À la date prévue de son retour à Tokyo, Teiko s’inquiète de ne pas avoir de nouvelles. Ni la société qui l’emploie, ni le beau-frère de la jeune femme n’ont d’explication à cette disparition. Teiko se rend à Kanazawa pour en savoir plus. Mais le commissariat local n’a aucun élément, et Yoshio Honda n’y comprend rien non plus. Le duo Teiko-Honda ne dispose que d’une ancienne adresse où logea le mari disparu. Il ne semblait plus avoir de domicile fixe depuis un an et demi. Qu’il soit vivant ou mort, Uhara avait assurément ses secrets. Teiko imagine qu’il a pu mener une double vie, ayant une autre compagne. Elle a retrouvé deux photos de maisons, très différentes, pouvant constituer un indice. Le duo s’adresse à M.Murota, qui fut un client et un ami de Uhara. Ils font la connaissance de Sachito, la jeune épouse de M.Murota, qui appréciait également le mari de Teiko. Le couple ne voit pas plus d’explication à cette soudaine disparition. La police informe Teiko d’un suicide dans la région : elle se rend sur place pour vérifier qu’il ne s’agit pas de Keinichi Uhara. Il n’avait d’ailleurs aucune raison apparente d’en finir. Le CV du disparu surprend quelque peu Teiko. Après la guerre, il fut un temps policier. Elle contacte M.Hayama, un de ses ex-collègues, qui lui apprend qu’il était en service à la police des mœurs de Tachikawa, une base américaine. Décidément, elle ne savait rien sur le passé de son époux. Le beau-frère de Teiko se libère afin de se rendre à Kanazawa, bien que la jeune femme ne pense pas que ça fasse avancer les choses – Yoshio Honda lui apportant un meilleur soutien. Quelques jours plus tard, le beau-frère trouve la mort à Kanazawa, empoisonné. Dans cette région hostile, grise et froide, se déplaçant en train, Teiko ne peut compter que sur ses propres investigations. Trouver des témoins s’avère compliqué, comme si Kenichi Uhara avait voulu effacer une période de son existence… (Extrait) “Mais, en y repensant, elle avait désormais la certitude que Sôtarô connaissait la raison de la disparition de Kenichi. Il était resté optimiste et était probablement convaincu qu’il était toujours en vie. Cette conviction, il l’avait encore lors de son arrivée à Kanazawa. Sa tournée des teinturiers montrait qu’il était le seul détenteur d’une information à propos de son frère. Ou, plus précisément, qu’il le recherchait sur la base de cette information. Avait-il été réduit au silence par une personne jugeant qu’il en savait trop ? Si quelqu’un était responsable de sa mort, il était logique de penser qu’elle avait un rapport avec la disparition de Kenichi. Et cela signifiait que les deux frères partageaient un secret…” Seichô Matsumoto (1909-1992) fut, dans la lignée d’Edogawa Rampo, un des écrivains majeurs de la littérature policière japonaise. Quelques-uns de ses romans – dont “Tokyo Express”-“Le rapide de Tokyo” – ont rencontré un certain succès en France. Très bonne initiative que cette traduction actuelle du japonais de “Le point zéro”. Un roman, publié en 1959, permettant de mesurer le talent et la finesse de cet auteur. Il serait faux de penser que cette intrigue soit "datée". Bien au contraire, par bien des aspects, il s’agit d’un état des lieux de la société japonaise de l’après-guerre. Si le pays se modernise vite – la télévision est déjà largement présente, par exemple – il a connu un marasme économique qui a appauvri la population durant de longues années post-conflit. On semble s’y déplacer davantage en train qu’en voiture, et certaines régions restent très excentrées. Les codes de la vie quotidienne (dont la politesse) sont très présents dans ce Japon en reconstruction qui n’entend pas perdre ses valeurs. Sans doute n’était-il pas rare que des mariages soient favorisés par des entremetteurs. L’épouse étant toujours alors "femme au foyer", l’auteur attribue ici à son héroïne un rôle actif de premier plan dans l’enquête. Signe d’une ouverture d’esprit sûrement encore peu courante. Un très beau portrait, riche en sensibilité autant qu’en détermination. Dix ans de différence avec son mari plus âgé, ça signifie qu’elle n’a pas vécu les mêmes épreuves, la même histoire. Tout un pan de la récente histoire du pays n’a-t-il pas été masqué par les autorités, pour la faire oublier ? Quant à l’intrigue, on baigne ici dans un constant mystère. Seichô Matsumoto souligna une facette capitale de sa méthode : “Je pense qu’il faut mettre l’accent sur le mobile, car cela rend la description des personnages plus percutante. En montrant les mobiles du crime, on révèle la psychologie des personnages à un moment extrême et dans une situation limite…” Ce qui se vérifie dans ce roman où le suspense est permanent et subtil, n’occultant pas l’état d’esprit des protagonistes (ni le climat gris-sombre de la région en question). Une très belle réussite, un auteur à ne surtout pas dédaigner.
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