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JEAN-PATRICK MANCHETTE |
NadaAux éditions FOLIO POLICIER GALLIMARD |
2590Lectures depuisLe vendredi 21 Juillet 2006
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Une lecture de |
« Le régime se défend évidemment contre le terrorisme. Mais le système ne s’en défend pas, il l’encourage, il en fait la publicité. » Ces quelques mots constituent le mortier de Nada – groupe terroriste dont le plan est celui-ci : enlever l’ambassadeur des Etas-Unis en plein Paris, le séquestrer dans un lieu écarté et donner 48 heures aux autorités pour, premièrement, verser au groupe la somme de deux cent mille dollars ; deuxièmement, diffuser largement et par tous les moyens existants le contenu du manifeste Nada – et l’ambassadeur sera relâché. A défaut, on l’éxécutera. Le manifeste ? Inutile d’en citer le contenu dans les pages, ce serait pléonasme puisque le roman même en offre un aperçu développé, sinon qu’il constitue le manifeste. Le groupe ? Une subtile combinaison de truands, entre autres philosophe, alcoolique au sang froid, révolté de bien avant la dernière pluie, ou encore cerise sur le gâteau qu’on n’attend pas et qui vient diluer la chaux masculine en annonçant, Cash : « Je suis pour l’harmonie universelle et pour la fin du pitoyable Etat civilisé. Sous mon apparence froide et apprêtée se cachent et bouillonnent les flammes de la haine la plus brûlante à l’égard du capitalisme technobureaucratique qui a le con en forme d’urne et la gueule en forme de bite. » Nada nous expédie dans l’intimité du groupe, dans le fil tendu entre les relations et les passés qui l’animent, tout en cheminant assurément vers l’acte programmé au millimètre, et qui va semer la panique dans les milieux – Gauchistes ? Pas seulement. Car l’événement procure en fin de compte une somme complexe de résonnances parfois imprévues, parfois étonnantes, contradictoires, également sources de doute au sein même du groupe. De remises en question en obstinations, le plan suit néanmoins son cours, et les natures profondes prennent le dessus à mesure que les heures s’écoulent ; que les relations, dans ces circonstances, se tissent ou se déchirent. Nada produit des vibrations ; Nada interroge et dérange. L’attachement de Manchette aux lieux se révèle ici aux proportions d’une société toute entière, en l’occurrence occidentale, et non d’un espace échantillonnaire déterminé. De part les répercutions de l’acte audacieux, le lieu ne cesse de s’étendre sous nos yeux, quitte à nous priver de recul et à créer des confusions. Manchette aime semer le doute, dresser des paradoxes, opposer des forces contraires et touiller l’ensemble à coups de mots simples et de phrases qui irritent. Le lieu semble ainsi ne posséder aucune frontière et ne surtout pas se limiter au rapport entre deux pays, mais bien à raconter (par une fiction – rappellons-le !?) l’Histoire de l’Homme. Un roman qui énivre par l’efficacité de sa forme, certes. Une écriture qui nous projette dans un rapport immédiat aux personnages, aux choses et aux situations, certes, aussi. Mais Manchette accoutumait déjà le lecteur à ce type de sauce dans Laissez bronzer les cadavres ! et L’affaire N’Gustro. Seulement, dans le parcours de l’auteur, sous son apparence de roman policier à la dynamique remarquable, Nada prend les airs d’une charge plastique blottie entre les pages, disséminée entre les mots – un cratère d’obus potentiel laissé dans la mémoire. Un livre à manipuler avec d’infinies précautions, des fois qu’une balle serait restée dans le canon. |
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