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AGUSTIN MARTINEZ |
MonteperdidoAux éditions ACTES NOIRSVisitez leur site |
419Lectures depuisLe jeudi 24 Aout 2017
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Une lecture de |
Le village de Monteperdido se trouve sur le versant espagnol des Pyrénées, pas très loin du Cirque de Gavarnie ou du Pic d’Aneto. Dans la province d’Huesca, il est situé au cœur de la vallée entre Barbastro et Posets, au bord de la rivière Èsera. À l’ouest comme à l’est, la bourgade est dominée par deux parcs naturels montagneux et forestiers. Une région rude et isolée en hiver, touristique aux beaux jours. Cinq ans plus tôt, deux fillettes âgées de onze ans y ont été enlevées, Lucía et Ana. L’affaire bénéficia d’un large écho, on forma un comité – en grande partie basé sur une puissante association locale, la Confrérie. On ne retrouva jamais les gamines, malgré les efforts des habitants et de la garde civile. Joaquín, le père de Lucía, reste très mobilisé malgré le temps passé, laissant son frère se charger de sa petite entreprise de transport. Son épouse Montserrat est toujours désemparée depuis. Quim, le frère de Lucía, essaie de mener sa propre vie dans ce contexte chargé. Il peut compter sur la bienveillance amoureuse de Ximenia, surnommée la Colombienne, la fille du singulier vétérinaire Nicolás, qui fut l’amie des disparues. Pour Raquel, à peine quarante ans, la mère d’Ana, cet enlèvement a eu pour conséquence la fin de son couple. En effet, son mari Álvaro fut sérieusement soupçonné d’être le ravisseur. Contre son gré, le père d’Ana s’est quelque peu éloigné de Monteperdido. Mais il n’est pas indifférent au sort de sa fille disparue, et éprouve toujours des sentiments pour Raquel. Suite à un accident de voiture, Ana est retrouvée vivante et hospitalisée. Simón Herrera, le conducteur, est mort quand son véhicule est tombé dans un ravin. Dépanneur de son métier, il fut par le passé suspecté de pédophilie. Simplette d’esprit, son épouse Pilar ne croit pas que Simón ait mal agi. Mais ce couple est vu tels des marginaux, et la vindicte populaire risque d’amener Pilar à un geste fatal. Une nouvelle enquête est entamée, par trois personnes. Le quadragénaire Víctor Gamero est le chef de la garde civile locale. C’est un authentique natif de Monteperdido. Les deux autres policiers viennent de l’extérieur. Santiago Baín a environ soixante ans. La sous-inspectrice Sara Campos est une jeune femme compétente, mais cherchant encore son équilibre personnel. Álvaro a rejoint Raquel, auprès de leur fille Ana. À l’hôpital, celle-ci est interrogée par Sara. Elle aurait été libérée par Simón, avant l’accident. Elle décrit le lieu de leur captivité, un refuge de montagne délabré, où Lucía et elle étaient généralement enfermées au sous-sol. Ana affirme ne pas connaître leur ravisseur, qui était masqué. La policière Sara pense que la jeune fille ne confie qu’une version édulcorée de sa séquestration. Avec Víctor, elle va bientôt retrouver l’endroit où l’on cacha les deux filles. Mais le ravisseur a tout incendié afin de ne pas laisser de traces. Pas de cadavre de Lucía, on peut en conclure qu’elle est encore en vie. Néanmoins, le père de celle-ci reste hostile envers la police. Santiago Baín cherche de son côté des indices, essayant de discerner le caractère des habitants. Une piste se dessine quand sont découverts des casques de paintball. Ce qui pourrait bien rendre de nouveau suspect Álvaro, le père d’Ana. Celle-ci est de retour chez sa mère. Elle ne paraît pas se sentir en danger. Même si Raquel et elle se rapprochent de leur voisine et amie Montserrat, elles ne sauraient améliorer l’atmosphère autodestructrice régnant dans la famille de Lucía. Tandis que Sara et Víctor poursuivent seuls l’enquête, un indice prouve que le kidnappeur fait partie de la population de Monteperdido. Si Lucía est vivante, il est de plus en plus urgent de la retrouver. Mais d’autres drames ne sont pas à exclure… (Extrait) “Après le départ de Víctor, Sara feuilleta quelques papiers. Elle feignait de consulter un dossier, mais en réalité son attention était tournée vers ces gardes civils qui mangeaient des brioches et buvaient du vin. Ils riaient et plaisantaient en s’envoyant des coups de coude. Víctor faisait partie de cette famille. Comment pourrait-elle encourager les soupçons dans un groupe aussi uni ? Les habitants de Monteperdido étaient tous liés. Parrains des enfants, au même pupitre à l’école, sœurs et copines qui avaient élevé leur progéniture ensemble, promenades communes, fêtes et hivers coupés du monde où ils avaient été privés de lumière, sans télévision, sans autre compagnie que celle des voisins, des montagnes et des animaux que celles-ci recelaient. Des cerfs, des sangliers et des chevreuils. Víctor lui en avait parlé. Quelques rares renards aussi. Ils vivaient dans les forêts des monts Ármos, l’Ixeia. À la fois, aimés et chassés. Animaux, hommes et femmes dont les vies s’imbriquaient. Pour devenir une seule et même vie. Celle de Monteperdido. Un de ces hommes, sous ce casque noir, avait enlevé les petites…” Une intrigue située dans des paysages isolés, comme des îles ou des bourgades rurales mal desservies, c’est un décor classique pour une histoire policière. Parfois, le résultat est théâtral, jouant sur le confinement d’une poignée de protagonistes, victimes et assassins se côtoyant forcément. La réelle habileté d’Agustín Martínez consiste à ne pas se contenter d’une "liste de suspects", ni d’enquêteurs stéréotypés. Ici, à proximité des Monts Maudits, dans le magnifique paysage de la haute montagne pyrénéenne, les habitants forment une communauté avec ses codes, y compris par un patois spécifique : “Coupés du reste du monde, ils avaient fini par parler une langue comprise d’eux seuls, et ils avaient grandi à l’ombre de légendes que peu de gens connaissaient encore”. On imagine aisément cette vallée, ces splendides décors naturels. On comprend que ces endroits restent en partie sauvages, d’autant plus isolés par la neige hivernale. Tout cela alimentant un climat où, malgré une certaine solidarité locale, se mêlent malédictions et rivalités. La vieille Caridad, qui pourrait passer pour la sorcière de Monteperdido avec sa démarche chancelante et son allure peut-être inquiétante, initie quelque peu Sara à cet état d’esprit qui anime les gens du village, dont beaucoup sont des chasseurs. Se fondre parmi eux serait illusoire, mais – après un début désastreux – l’enquêtrice est épaulée par Víctor, le garde civil. C’est sur ce duo que va reposer l’enquête. Une double disparition de mineures, une affaire non-élucidée, le sujet criminel possède un impact plus fort dans ces conditions. Car les proches des kidnappées sont aussi victimes de la situation : ils ont chacun une réaction personnelle, résignée ou virulente, soulagée ou anxieuse. Pour ne prendre qu’un exemple, Álvaro, le père d’Ana, peut-il espérer un "retour à la normale" quand sa fille est sauvée ? Agustín Martínez explore avec subtilité le ressenti de tous, famille et villageois, dans un récit fluide et convaincant. L’ambiance ne tarde pas à captiver. Toutefois, si le paysage bucolique est empreint de poésie, les faits sont nettement plus sombres, malsains et même mortels. Excellent suspense. |