C’est le cirque à Marseille ! Le chapiteau de Giulietta Pantaleoni et de Raoul Babinetti est installé pour, bientôt, accueillir le public. Mais un accident se produit ce jour-là : Hildeberg, le dompteur, est tué et dévoré par ses tigres. On comprend rapidement qu’il s’agit d’un homicide, et non d’une attaque des fauves. L’enquête sera confiée au capitaine de police Sammartino, qui préférerait des vacances napolitaines aux investigations dans ce cirque. Il lui suffit de consulter le pedigree de plusieurs artistes de la troupe pour se trouver de bons suspects. D’ailleurs, si Giulietta est issue de ce milieu, son compagnon Raoul est un ancien truand corse reconverti depuis quelques années dans le spectacle. Raoul ne tarde pas à contacter son ami le soufi Dachi El Ahmed, adepte de la philosophie orientale, un homme plein de sagesse qui n’hésite pas à se colleter avec les énigmes. Il vit avec Léda, une rousse infirmière d’origine grecque, extrêmement jalouse. Raoul invite Dachi à se joindre à la troupe, en se faisant passer pour un charmeur de serpent. Le cobra Lulu ne semblant pas trop dangereux, Dachi accepte et rencontre les artistes. Hildeberg, la victime, était fiché pour son passé plutôt trouble. C’est l’illusionniste Mitchum (pseudo dû au fait qu’il ressemble au comédien) qui fait figure de premier suspect pour la police. Il vient d’une famille manouche, et a adopté la petite Alice de façon fort peu claire. Un duo d’escogriffes s’est présenté au cirque, menaçants, réclamant un colis dont Giulietta et ses amis ne savent rien. Ils reviendront très certainement, il faudra se méfier. À l’issue d’un repas collectif de la troupe, Léda propose de s’improviser dompteuse de tigres à la place d’Hildeberg. Une idée qui ne plaît guère à Dachi, mais ça peut fonctionner. Outre Mitchum, on pourrait autant suspecter l’écuyère Miléna et ses frères hongrois, qui eurent des problèmes avec la victime. Ainsi que le triste clown Bibi, joueur de cartes endetté, qui va d’ailleurs se dénoncer à la police. Le capitaine Sammarino réalise sans mal que ses aveux ne valent rien, qu’il cherche à disculper la belle Miléna dont il est amoureux. Cela ne fait que renforcer la suspicion de l’enquêteur de police envers les Hongrois du cirque. De son côté, Dachi cherche à percer les secrets de chacun des membres de cette troupe. Il observe la mince contorsionniste asiatique Perle, la petite mais omniprésente Alice, Bibi et ses tourments, le magicien Mitchum et son voyage à Dresde (Allemagne) l’an passé, sans oublier ce couple improbable formé par Raoul et Giulietta. Quant à Léda, elle va avoir quelques soucis de dressage, sans trop de gravité. Par contre, le gang auquel appartient le duo d’escogriffes menaçants revient à la charge. Et là, c’est un affrontement spectaculaire qui va se produire. Lorsqu’il aura déterminé l’arme du crime, le policier Sammartino pourra s’en contenter. Mais Dachi, lui, veut savoir toute la vérité… (Extrait) “Le fauve cligne des yeux, montre les crocs, s’avance. Il lance la patte. Le bâton casse net. Sur la banquette, tous se lèvent d’un bond. Léda recule, d’un pas seulement. Elle fait à nouveau claquer son fouet devant la gueule ouverte et tonne, d’une voix si profonde, si puissante, que les humains autour se figent : "Debout ! Debout Poum ! Allez, hop, debout !" Le tigre feule, les oreilles rabattues, mais il ne bronche plus. Elle ne le lâche pas des yeux. Ce qui se passe entre eux, en cet instant, restera un mystère. Deux fauves face-à-face. Elle pointe le tronçon du bâton pour lui faire comprendre qu’elle ne lâche rien. Et répète avec plus de douceur : "Bon garçon, Poum !" ” Les milieux du cirque ont probablement servi de décors à quelques polars. Par exemple “Aztèques freaks”, une aventure de Gabriel Lecouvreur (Le Poulpe) par Stéphane Pajot, en 2012. Il est vrai que l’ambiance visuelle convient en priorité au cinéma. Comment ne pas se souvenir du troublant film de Tod Browning “La monstrueuse parade” (Freaks, 1932), en particulier. De “La Piste aux Étoiles” aux plus récents festivals du cirque, la télévision a montré aussi le caractère de ces spectacles, avec leurs numéros acrobatiques, mystérieux, joyeux quand arrivent les clowns, dangereux face aux fauves, impressionnant avec ses éléphants, majestueux avec ses chevaux. Quand un cirque donne ses représentations dans une ville, le public répond généralement présent. Du plaisir pour petits et grands ! C’est ce contexte sur lequel il s’est bien informé, qu’utilise ici l’auteur, d’une manière très convaincante. Grâce à lui, on imagine aisément ce petit groupe d’artistes, confronté à un homicide, mais masquant également quelques-uns de leurs sombres secrets. En effet, si la tonalité se veut d’abord souriante, si le récit est rythmé à souhaits, l’histoire repose sur une intrigue de bon aloi. Certes, ce n’est pas l’officier de police de service qui creusera trop profondément, il faut plus sûrement compter sur Dachi El Ahmed. Un mystique pétri de culture orientale, admirateur des grands poètes arabes ? Oui, mais c’est tout autant un homme d’action, quand cela s’avère nécessaire. Non seulement un roman fort distrayant, mais un polar enjoué qui réussit à nous captiver.
Une autre lecture duLes Tigres Ne Crachent Pas Le Morceaude PAUL MAUGENDRE |
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Parution le 6 mars 2017. 218 pages. 14,00€. Quitte à en avoir une indigestion... Promis juré, ils ne diront pas qui leur a refilé de la viande fraîche pour leur petit-déjeuner. Car un bon morceau de dompteur, cela ne se refuse, quelle que soit la main qui les a nourrit. Et Maurice Truche, l'un des employés du cirque Pantaleoni n'en revient pas. Il peut remballer ses gamelles, les trois tigres, Pim, Pam et Poum n'en auront pas besoin, pour le moment. Et Pam, la tigresse, qui ose jouer avec la tête d'Hildeberg, le défunt dompteur ! Il n'y a plus de respect. Raoul Babinetti, le mari et associé de Giulietta Pantaleoni, la patronne et héritière de ce petit cirque actuellement basé dans l'enceinte de l'hippodrome de Pont-de-Vivaux à Marseille, ne peut que regretter la défection du clou du spectacle. Pis, il faut prévenir la police, qui va enquêter, et peut-être mettre les jours du chapiteau en danger. Toutefois, le légiste leur apprend une bonne nouvelle, les tigres ne sont pas fautifs. Ils ont simplement profité de l'aubaine. En effet, après avoir procédé à l'examen du morceau avec lequel jouait Pam, il découvre un trou parfaitement circulaire au dessus de la glotte. Et à moins de posséder un tournevis ou quelque objet similaire, un tigre n'a pu perforer délibérément, ou non, la trachée du pauvre Hildeberg qui ne pourra dénoncer son agresseur. Malgré tout, le spectacle doit continuer, la survie du cirque Pantaleoni en dépend. Car, même si les artistes ne sont guère nombreux, Raoul ne peut se résoudre à les congédier. D'ailleurs où iraient-ils, personne n'embauche. Raoul s'envoie en l'air comme homme-canon, mais il ne peut assurer le spectacle seul. Parmi les artistes qui composent sa petit troupe, citons en premier la belle, la superbe, l'ébouriffante, la grande Miléna (ce n'est pas moi qui le dis mais Raoul qui la présente ainsi), l'écuyère, l'Amazone (ne vous trompez pas d'adresse !) venue de Hongrie et qui avec ses deux frères, Vlad et Andrès, assure un excellent spectacle de voltige. Ensuite la jeune Perle de Rosée en Jade Précieux, acrobate-jongleuse-contorsionniste, d'origine peut-être chinoise. Ne chinoisons pas. Et enfin, pour clore la partie féminine, Alice, la benjamine, dix ans et demi, tireuse de cartes, fille d'illusionniste, dresseuse de crickets, ces charmants insectes auxquels elle apprend à faire du trapèze, d'origine Rom probablement. Chez les hommes, bon d'accord, exit le dompteur. Mais il reste toutefois Bibi le clown et Mitchum l'illusionniste, dont ce n'est pas le véritable patronyme mais est ainsi surnommé à cause de sa ressemblance vestimentaire avec l'acteur dans le rôle de Marlowe. Plus les deux monteurs de chapiteau et hommes de main, Truche dont nous avons déjà fait la connaissance dans des conditions pénibles et dramatiques, et Gaétan Noulet. Ne possédant, plus par la force des événements, de dompteur, de montreur animalier, Raoul pense alors à son vieux copains Dachi El Ahmed, prof de langues orientales, dénoueur d'intrigues occasionnel, rêveur et sage, adepte de la culture orientale. Dachi accepte de monter un numéro avec le cobra qui se morfond tout seul dans son vivarium, non sans appréhension, on le comprend. Et son amie-amante Léda la Grecque, infirmière de son état, n'apprécie pas du tout cette nouvelle activité. Toutefois elle démontrera par la suite qu'elle est femme à poigne. Dachi, le soufi, requiert également les services de son ami Grook, profession journaliste. Tandis que Sammartino, le policier chargé de l'enquête s'empêtre parmi les présumés coupables, c'est une mode, Dachi lui aussi se lance dans l'aventure, fouillant dans le passé de chacun des protagonistes. Car chacun d'eux possède son armoire à balais dans lequel il range des cadavres, des accrocs avec la justice, ou de petites déviances. Ainsi, non je ne vous en dévoilerai pas plus, Bibi, l'alcoolique et joueur invétéré, qui doit de l'argent à des camarades de jeu qui le tannent pour qu'il règle ses dettes. Ce roman dont l'enquête est nébuleuse, pour Dachi mais pas pour le lecteur, comporte quelques belles scènes d'action. Par exemple lorsque Léda se frotte aux tigres, habillée en dompteuse (dommage qu'elle ne se soit pas laissée prendre en photo) ou lorsque Dachi poursuit une voiture à dos de dromadaire. Mais c'est également une incursion vivante dans le quotidien des circassiens, et des problèmes que ces gens du voyage peuvent rencontrer dans leur travail et dans la vie courante. Mais ce n'est pas tout, l'auteur se fait un petit plaisir en incluant dans son texte, outre des citations d'Omar Khayyâm, par le truchement des conversations et des pensées de Dachi, des bribes extraites de l'œuvre de Shakespeare et de Baudelaire dans la bouche de Mitchum l'illusionniste qui a perdu beaucoup de ses illusions et se révèle plus humain que son attitude pourrait le laisser penser. Un bon roman qui nous ouvre de belles perspectives concernant l'avenir littéraire de l'auteur et qui sort, enfin, des sentiers, voire des autoroutes, battus.
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