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MARCUS MALTE |
Le GarçonAux éditions ZULMAVisitez leur site |
1065Lectures depuisLe mardi 7 Decembre 2016
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Une lecture de |
Parution le 18 août 2016. 544 pages. 23,50€. Existe en version numérique : 12,99€. Lorsque la littérature Noire et la littérature Blanche s'unissent, cela donne cinquante nuances de Gris... ponctuées de rose tendre. Le Garçon. Un roman plein de bruit et de fureur, de charme et d'amour, de violence et de morts, de calme et de poésie, un roman qui relate à travers l'existence d'un garçon puis d'un homme trente ans d'histoire et d'histoires de 1908 à 1938. Chargé de vieilles hardes déposées dans une hotte fabriquée en peaux de chèvres le Garçon s'en va là-bas, vers la mer. C'est un adolescent de quatorze ans, mutique, qui ne sait ni lire, ni écrire. Les hardes bougent. C'est sa vieille mère d'une petite trentaine d'années qu'il porte ainsi, encouragé par la voix qui répète comme une antienne, la mer, la mer. Vieille avant l'heure, la mère, usée, affaiblie, malade, poitrinaire, la mère ne verra pas la mer. Parce que, lorsque le Garçon arrive devant l'étendue d'eau, il ne s'agit pas de la mer qui s'étale devant lui, mais l'étang de Berre. Et puis parce que la mère est morte. Il ne lui reste plus qu'à retourner d'où ils sont partis, quatre heures de marche, chargé de son fardeau qui ne marmonne plus. Plus rien ne le rattache à la masure dans laquelle ils vivaient tous d'eux d'expédients. Il construit un bûcher et place le corps de la mère dessus, et lorsqu'il ne reste plus que des cendre il part à l'aventure. Il monte vers le nord, grimpant dans les arbres, vivant de braconnages et de rapines. Des fruits, des poissons, parfois un animal. De sa vie il n'a côtoyé personne, juste aperçu de temps à autre des voyageurs. Il marche, durant des semaines, effectuant un périple circulaire, s'approchant parfois des fermes, des bourgades, épiant les habitants, singeant leurs gestes. Il apprend, sans comprendre. Il se repose dans une grotte dans laquelle il a découvert des trésors, des os, des tessons de vase, une pointe de javelot en silex, des pendeloques, un dé à jouer qu'il enfoui dans sa boîte d'allumettes, où gît déjà un os de grenouille. Il continue sa route jusqu'à une nouvelle caverne et lorsqu'il se réveille un fusil est pointé sur lui. Il est emmené dans un hameau d'une petite quinzaine de personnes, des enfants, des vieillards, des adultes, qui le considèrent comme une anomalie vivante. Pourtant il vivra durant des semaines dans ce petit bourg retiré, participant même comme figurant à la traditionnelle crèche de Noël. Mais comme tous les intrus dont on ne connaît pas l'origine, il est chassé lorsqu'un incident géologique se produit. Il sera recueilli par un forain, un ancien lutteur de foire qui a parcouru les Etats-Unis dans un cirque. Le Garçon devient l'aide, l'assistant de Brabek, l'ogre des Carpates, qui se produit sur les places des villages et petites villes, couchant dans la roulotte tiré par un cheval hongre. Mais le bonheur est relatif et de courte durée. Bientôt le Garçon devra tailler la route avec pour compagnon le cheval et comme toit la roulotte. Jusqu'au jour où le destin se manifeste sous la forme d'une voiture conduite trop rapidement par une jeune fille sur une route où il n'y a passage que pour un seul véhicule. Le choc est inévitable et le Garçon se réveille avec Emma, la responsable du choc, comme ange-gardien. Et pour le Garçon c'est vraiment un choc. Il est adopté par Emma, de quelques années plus vieille que lui, il a maintenant seize ans, et par son père. Elle va l'appeler Félix, en hommage à Mendelssohn, car elle apprécie particulièrement ce compositeur dont elle joue admirablement les œuvres au piano. Son père et elle se chargent de l'éducation du Garçon mais il ne sait toujours pas lire et écrire. Il ne le saura jamais. Et s'il ne parle pas, cela ne gêne pas Emma qui se chargera de son éducation sentimentale. Emma, fille de Gustave, tout un symbole... C'est le temps des découvertes, des relations charnelles, de l'empire des sens, mais au loin se profilent de lourds nuages, annonciateurs de grêles d'obus, de mitrailles, de tranchées. Le Garçon part à la guerre.
Si au début de ce récit, je n'ai pu échapper à une vague réminiscence d'Hector Malot et de Sans famille, avec les tribulations du Garçon, balloté de gauche à droite et inversement, et ses pérégrinations du sud au nord-est de la France, en compagnie d'un forain qui ne possède ni un chien ni singe, mais un cheval, d'autres souvenirs remontent insidieusement à la surface, accompagnant la lecture. Et pourtant il s'agit bien d'un roman qui allie tous les genres ou presque de la littérature dite populaire et sociale. Marcus Malte souffle le chaud et le froid sur trente ans de l'existence du Garçon, trente années au cours desquelles toutes les couleurs de la vie sont déclinées, le noir alternant avec le rose. Mais un noir dominant. C'est un roman de l'apprentissage, apprentissage de la solitude, de la relation en société de personnes issues de différents milieux, de la tolérance, de l'amour sentimental et charnel, de la guerre, de la violence, des petites joies simples et des grandes colères. Marcus Malte sait décrire et faire partager ses sentiments d'amour et de révolte. Il est aussi à l'aise dans les scènes d'amour desquelles se dégage un érotisme plus souvent suggestif que descriptif, que dans les scènes de la vie courante ou des épisodes de la Grande guerre, que dans la poésie.
Pour mieux placer ce roman dans l'époque traversée par le Garçon, Marcus Malte établit les rétrospectives d'une année sans la dater mais que le lecteur pourra reconnaître. Et il balaie en quelques pages les événements nationaux ou internationaux. Ainsi, Georges Clémenceau, encensé par Luc Ferry, n'hésita pas à envoyer gendarmes et dragons tirer sur les ouvriers des sablières de Vigneux, Draveil et Villeneuve-Saint-Georges. Une réponse à ceux qui étaient en grève depuis cent jours et fit plus de six morts et une centaine de blessés. Les principaux dirigeants du syndicat de la Confédération Générale du Travail, la C.G.T., étant arrêtés et emprisonnés. Beau fait d'arme courageux de la part d'un ministre, socialiste radical, de l'Intérieur et président du Conseil (l'appellation du Premier Ministre d'alors) De petits épisodes, comme des vignettes, sont placés ici et là, telle la rencontre inopinée avec un soldat. Le Garçon se trouve nez à nez dans la Somme face à un peintre allemand pourvu d'une petit moustache carrée sous le nez. Marcus Malte recense également la longue liste des morts, tombés comme on dit au champ d'honneur le 28 septembre 1915, liste qui devrait être soumise, apprise à tous ces intolérants sectaires, racistes, ségrégationnistes, xénophobes qui crachent sur les réfugiés et les migrants, oubliant que parmi les nombreux soldats ayant donné leur vie pour la France, nombreux étaient ceux qui provenaient des colonies d'Outre-mer ou simplement des étrangers.
Ai-je oublié quelque chose dans ma chronique ? Voyons cherchons bien... Ah oui, ce roman a reçu le prix Fémina 2016. Pour une fois, une récompense méritée, et la reconnaissance enfin d'un talent indéniable ! Mais tous ceux qui suivent régulièrement la parution des romans de Marcus Malte pressentaient déjà le talent de celui-ci en lisant ses premiers ouvrages, dont notamment Carnage constellation paru au Fleuve Noir en février 1998.
Citation : Que nul ne sache jamais d'où provient l'émotion qui nous étreint devant la beauté d'un chant, d'un récit, d'un vers.
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