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PHILLIP QUINN MORRIS |
Mister AlabamaAux éditions FINITUDEVisitez leur site |
1091Lectures depuisLe mercredi 13 Octobre 2016
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Une lecture de |
Été 1979. Dans le nord de l’Alabama, Mud Creek se situe quasiment au confluent de la Tennessee River et de l’Elk River. Âgé de vingt-huit ans, Alvin Lee Fuqua a développé son corps en pratiquant le culturisme, car il visait de devenir Mister América. Il s’était assez bien débrouillé dans des concours similaires. Alvin espérait donc passer à la télé et finir par jouer dans des films avec Burt Reynolds. Sa sœur aînée Alma n’était-elle pas comédienne, aussi ? Certes, cette anorexique ne se produisait que dans une ville des environs. Mais son show au Sam’s Cosmic Café rencontrait un vrai succès. Alvin réalisa qu’il fallait réviser ses prétentions à la baisse : la vie dans son coin tranquille d’Alabama avait des avantages. Alvin est issu d’une famille qui pratiqua pendant des décennies la contrebande de whisky et la pêche dans le Marais de Beaulah. Il ne reste plus que quelques connaisseurs qui achètent encore l’alcool frelaté. Ça fait belle lurette que le whisky légal est moins coûteux. C’est son meilleur ami, Johnny Ray, quarante-deux ans, qui avait reprit cette activité après les parents d’Alvin. Mais leur principal revenu, ils le tirent de la pêche aux moules. Ils sont quelques-uns à plonger dans la Tennessee River, pour ramener des quantités d’énormes moules. C’est un produit qui intéresse les Japonais, donc les intermédiaires paient bien. Discrètement, Johnny Ray envisage aussi de se lancer dans la chasse aux trésors. Car on trouve des épaves de bateaux dans le chenal, qu’il ne serait pas idiot d’explorer. Il n’est pas rare que tous les plongeurs pêcheurs de moules du coin se réunissent chez Alvin pour faire la fête, écluser pas mal d’alcool en écoutant de la musique hard, et se taper des filles. Une de ces soirées va être fatale à Johnny Ray. Sa mort fait suite à un problème de décompression en plongée, la maladie des caissons. Un décès forcément très marquant pour leur groupe d’amis, qui voyaient en Johnny Ray un solide exemple. Ce n’est pas Ginger, amante ponctuelle d’Alvin, qui lui remontera le moral. Le shérif Jennings a toujours été plutôt amical. Il avertit Alvin que la veuve de Johnny Ray risque des graves soucis. Donna, trente-huit ans, ne s’occupe pas du tout de ses mômes, Jenny et Deward, déscolarisés depuis les obsèques de leur père. La situation ne cesse de se compliquer pour Alvin, qui doit prendre en charge les enfants de Donna, puis aussi finalement la veuve de son ami. Entre-temps, Alvin a repris ses exercices de musculation, mais peut-être pas pour retenter le titre de Mister America. Il redoute également d’avoir les mêmes problèmes en plongée que Johnny Ray. Surtout qu’il prévoit de descendre à grande profondeur. Entre Cliff, vétéran du Vietnam ayant pas mal trimardé, tombé amoureux de sa sœur Alma, et Freddy qui ne fume pas que du tabac conventionnel, Alvin peut se demander si son univers retrouvera une certaine sérénité… (Extrait) “Alvin ne faisait pas très souvent les courses, il n’avait pas besoin d’acheter grand-chose, puisque Freddie, Eddie, Johnny Ray et Cliff apportaient toujours de la bière, des sodas et des légumes frais. Mais depuis la mort de Johnny Ray, Alvin était obigé de faire les courses plus fréquemment. Il se disait qu’avec la disparition de son ami, sa maison avait sans doute cessé d’être un point de ralliement. Ils étaient tous venus les jours suivant l’enterrement, mais la plupart du temps, ils n’étaient restés que quelques minutes. Rien n’était plus comme avant, quand ils débarquaient un pack de bières sous le bras, se demandant pourquoi les femmes avaient cette manie de toujours changer les meubles de place.” Il n’est pas indispensable de ranger cette fiction dans une catégorie précise, roman noir ou polar. Il s’agit plus exactement d’une chronique évoquant une poignée de personnages, dans leur quotidien, au cœur d’un paysage américain spécifique. On est à la toute fin des années 1970, dans un coin de cambrousse d’un État du sud des États-Unis. On présente en majorité des hommes, donc il ne faut pas s’étonner que le langage entre eux soit peu châtié, et même carrément cru. Ce ton direct sonne juste, complétant des portraits très crédibles. Tous ces gens vivotant dans une rentable marginalité s’inspirent de personnes que l’auteur a côtoyées, même s’il appuie la caricature. Ce qui n’interdit pas la finesse. Au centre du récit, Alvin n’est pas l’alter ego de l’auteur, ce n’est pas une autobiographie. C’est un héros qui nous est sympathique car, outre une part de liberté qui émane de lui, on sent un potentiel d’initiatives à venir chez cet homme jeune. On sourit souvent à la lecture des incidents et des péripéties ponctuant la vie d’Alvin et de son entourage. Alma, Donna, Ginger et autres, les femmes sont loin d’être absentes dans cette histoire, contribuant de fort belle manière à l’ambiance singulière régnant ici. On ne doute pas que le regretté Harry Crews ait apprécié ce roman : le style n’est pas identique, mais on est dans un esprit proche. Un roman délicieusement original, à savourer. |