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NIKOS MAURICE |
L'infiltré De La HavaneAux éditions LA DIFFERENCEVisitez leur site |
549Lectures depuisLe jeudi 4 Fevrier 2016
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Une lecture de |
Printemps 1958. Vivant à La Nouvelle-Orléans, Thompson est âgé de trente-quatre ans. Ex-journaliste ayant eu des ennuis avec le maccarthysme, il s'est associé à Larry Kurtz en tant que détectives privés. Après l'avoir initié au métier, Kurtz a disparu de la circulation depuis plusieurs années. Peu de clients pour Thompson, ce qui lui laisse le loisir de flirter par téléphone avec son amie Cordelia, qui habite Tijuana. Un enseignant cubain, Alfredo Jiménez, contacte Thompson à son bureau. Guillermo Melcador, chef du Comité pour la République Cubaine a probablement été arrêté par la police du dictateur Batista. Jorge Jiménez, fils d'Alfredo, assure la direction par intérim du Comité. Son père voudrait à la fois protéger Jorge, et savoir ce qu'est devenu Guillermo. Thompson accepte la mission. Le détective débarque à La Havane, ville américanisée grâce à l'argent mafieux, et où sont implantés des intérêts économiques étasuniens. Il va loger chez les Jiménez, d'abord sans dévoiler à Jorge son rôle réel. Il fait très rapidement connaissance avec le noyau dur du Comité. Même s'ils sont actifs, telle la séduisante militante Celia, afin que le peuple prenne en main son destin, l'objectif révolutionnaire apparaît encore fort incertain. Valdés et ses soutiens n'adhèrent pas à la propagande marxiste, créant une faction dans leur Comité. Quant à l'action radicale, qui signifie de s'exposer à la répression, ce groupe ne paraît pas le plus aguerri pour ça. Thompson sent que son enquête avance mollement : “Tu as un rythme un brin nonchalant, mais tu ne peux pas marcher plus vite que la Révolution.” Le détective s'interroge sur Valdés, qui semble être l'amant de Bianca, la sœur du disparu. Il explore clandestinement l'appartement dudit Valdés, sans y dénicher d'indice flagrant. Maria-Rosa et Esteban, vieux couple de militants, le renseignent sur les atermoiements politiques de Valdés, dont ils se méfient. Avec ces deux-là, plus Celia, son amie féministe Jade, et Thompson, le Comité tient tête à Valdés et à ses alliés. Michele, un fêtard qui fait du bizness avec les Américains, reste peu hostile à "la ligne" suivie par Jorge, sans se mouiller tellement. Le détective bénéficie d'un ange gardien, le costaud Pepito, qui refuse de préciser au service de qui il intervient. Il est efficace, pas de doute. Jorge se fâche lorsqu'il comprend que Thompson est détective, et non un sympathisant politique. Le vieux Rafael García confirme que Valdés pourrait être un espion, au service de Batista ou même de la CIA. Accumuler des faits concordants sans preuve réelle, Thompson admet que ça frise la paranoïa. En juillet, le Comité est toujours en proie aux tensions. “Le temps était venu de nous armer. Il le fallait pour appuyer les rebelles quand ils entreraient à La Havane et pour neutraliser les milices de Batista le jour J.” Entre les consignes du M26 de Castro à la radio, et les batailles victorieuses de ses troupes, les militants sont optimistes autant que prudents. Valdés, fausse piste ? Côté cœur, Thompson peut-il conquérir Celia, d'autant que Cordelia ne sera finalement pas absente des évènements ? Après l'automne, la dictature de Batista commence à vaciller, malgré l'appui de ses amis américains. Janvier 1959 va lancer la Révolution, aussi imparfaite soit-elle… Il va sans dire que, pour aborder un tel épisode historique, l'auteur s'est parfaitement documenté. Il respecte la chronologie des prémices de la révolution cubaine, la montée en puissance du mouvement autour de Fidel Castro. Sans masquer les dissensions existant parmi les divers courants politiques opposés à Batista et à l'omniprésence américaine. Ni les éventuelles trahisons, communes dans ces situations. Indépendance ou communisme à la Cubaine, l'essentiel reste de changer la donne. Les mafieux blanchissent leur fortune en exploitant des casinos, les groupes étasuniens font de gros profits, une très faible part de la population locale vit correctement, le plus grand nombre étant miséreux et opprimé. En toile de fond, nous est présenté “de l'intérieur” ce combat plein d'incertitudes. Thompson, détective privé menant une enquête, emprunte quelques caractéristiques de ce type de personnages. Sans en abuser, toutefois. Il est trop jeune (la trentaine) pour se montrer cynique et désabusé. Il applique ce que son ex-associé Kurtz lui enseigna, sans précipitation inutile mais en restant conscient du danger et de l'enjeu. L'ambiance de La Havane en ce temps-là est restituée avec soin, sans lourdeur explicative. On est dans un vrai roman d'aventures, avec ses péripéties, sans qu'on n'oublie jamais le contexte. Ce qui n'empêche pas l'auteur de nous offrir de très beaux moments souriants. La révolution s'accompagne ici d'un certain humour. En mettant Sherlock Holmes, Hercule Poirot et Karl Marx sur le même plan : “Marx est le plus grand détective de l'économie. La valeur d'une marchandise, c'est comme la malédiction des Baskerville : on la croit surnaturelle, extraordinaire, immuable, elle n'est en fait que l'œuvre de l'homme” selon Alfredo Jiménez. L'attirante Celia expose sa conception singulière des relations sexuelles : “Le sexe, c'est comme les langoustes ? répétai-je stupéfait „Ÿ Oui, assuma Celia avec un sourire de provocation. J'adore les langoustes, mais si je n'en mange pas, je ne vais pas en mourir. Quand il y en a, en revanche, j'en profite tant que je peux.” Quant à Cordelia, dont on aura remarqué l'ironie au cours du récit, gare à sa réaction drôlatique : “Cordelia, les bras croisés, nous considérait d'un air offusqué. „Ÿ Évidemment, les hommes ont des fusils ! Et moi, je me défends comment ? Avec des répliques cinglantes ?” De la première à la dernière page, chaque scène nous séduit par sa justesse. Cette intrigue de Nikos Maurice est une très belle réussite : comme le détective Thompson, on regrette de quitter Cuba une fois la mission terminée. |