Avant tout, il est indispensable de préciser qu'il ne s'agit pas d'un recueil de nouvelles au sens strict. D'une part, il y a une photo d'ambiance signée Hermance Triay, à laquelle vient s'ajouter une image de l'arme du crime. D'autre part, un texte court de Marc Villard pour compléter l'illustration par la fiction. Un exercice vingt fois renouvelé, grâce à une variété de photographies et de textes. La rencontre entre l'instant figé restitué par une photo, et l'écrit développant des scènes vivantes, c'est une idée créative qui fonctionne fort bien ici. Est-il besoin de rappeler que Marc Villard est un maître de la nouvelle, du format court ? Américanophile, il est habile pour dessiner en quelques traits le contexte des nombreux textes se passant aux États-Unis. Jouant avec les clichés et les codes du roman noir, son regard est souvent enjoué, et la tonalité apparaît toujours juste. Un survol de quelques-uns des textes de cet ouvrage : Rivière profonde : la disparition d'une jeune vacancière sur une petite rivière d'Arizona, où elle était en villégiature avec sa famille et des amis locaux. À bout de souffle : Serge est un jeune type pourchassé par trois truands bien sapés, de Corvisart à la Gare d'Austerlitz. Le flingue capricieux : Stan trouve l'occasion de supprimer le mari garagiste de Cynthia, sa maîtresse, mais le caractère d'une femme peut être aussi imprévisible qu'un pistolet. La neige endormie : en Arizona, dans un décor enneigé, ce trio de braqueurs choisit la même adresse que le SDF Bones pour planquer le butin de son casse. En plein cœur : par un froid de canard à Clamart, la prostituée qui se fait appeler Diana est agressée par son client dans un terrain vague décoré. Velours : Vincent et Fabienne mènent une vie cossue, mais les trahisons passées du braqueur de banque que fut Vincent vont le rattrapper. La femme volage : en Californie, du côté de San Diego, l'agent immobilier Chuck a fini par tuer sa femme qui le cocufiait avec un militaire, mais la suite reste un sacré chantier. La part des autres : c'est en prison que fut programmé le braquage d'une banque d'Halifax, un coup qui vire bientôt au carnage, y compris pour les deux truands rescapés. Dans la cave : à Memphis, le policier Walker ne peut guère intervenir dans la vie de couple de sa jeune sœur Cindy, vingt-six ans, bien qu'elle soit souvent battue par son acariâtre mari et couverte de bleus. Bienvenue en Amérique : à dix kilomètres de Los Angeles, récupérer des clandestins chinois dont peu ont survécu dans leur conteneur n'est pas une mission de tous repos. La banque : enquête sur le meurtre d'une jeune chanteuse de country, venue retirer de l'argent au distributeur de billet de la Bank of América, non loin de chez elle. À vendre : en cavale, Mary et Franck squattent une maison à vendre dans l'Illinois, avant de fourguer leur stock de drogue, mais cet endroit est moins sûr que prévu. Et encore huit autres histoires courtes, quelques pages, tout aussi ciselées, accompagnées de photographies originales, d'images que nous voyons parfois sans assez les regarder. Une harmonie, que l'on pourrait qualifier de chaleureuse, règne entre les deux expressions artistiques dans cet ouvrage. Un aspect différent de “l'idée polar” !
Une autre lecture duScènes De Crimede PAUL MAUGENDRE |
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Collection Collatéral. Parution le 2 octobre. 160 pages. 14,90€. Et Marc vit l'Art... La tradition veut (exige ?) que le nom de l'auteur, ou du scénariste, précède celui du compositeur ou du dessinateur. Mais ayant envie de bousculer cette tradition et afin de faire preuve de courtoisie j'aurais tendance à écrire plutôt : Hermance Triay et Marc Villard : Scènes de crime. Mais bon, ne chipotons pas et laissons-nous aller à vagabonder dans cet ouvrage qui fait la part belle à la photo. D'ailleurs, qui de la poule ou de l'œuf... Le texte vient-il en complément de la photo ou inversement ? Marc Villard est un minimaliste et en vingt courts textes de deux ou trois pages il met sa plume au service de l'image. Car c'est bien ainsi que cela est conçu. D'abord une photo double page puis le texte qui devient un peu une légende, ou une épitaphe, accompagnant un tableau. Décor forestier et bucolique pour Rivière profonde, mais il ne faut pas se laisser prendre au piège de cette douceur et sérénité apparentes. Les Tucker tiennent une scierie dans l'Arizona. L'été les touristes et campeurs affluent. Parmi eux un couple et leur fille Sophie, seize ans. Les deux fils Tucker, sensiblement du même âge, tournent autour d'elle comme les libellules sur la rivière. Mais ce petit coin de l'Arizona n'est pas Venise, et les promenades à deux ne sont pas accompagnées d'un gondolier. Changement de décor immédiat dans A bout de souffle. Marc Villard nous ramène à Paris, dans le quartier de la Gare d'Austerlitz. Et pour avoir dansé et plus avec Nadia, Serge risque de se retrouver à Waterloo. Le soleil ne brille pas la nuit, même sur les tessons de bouteilles. On sait qu'aux Etats-Unis, les armes sont un signe de virilité, surtout pour donner la mort. Et le mort n'est plus viril. Dans Le flingue capricieux Cynthia, qui s'est mariée deux fois, cède aux avances du narrateur, et celui-ci pense l'emmener loin ailleurs, loin de son mari qui en plus d'être garagiste est un cogneur. C'est pas beau de cogner une femme, surtout sans raison. Nouveau voyage aller en Arizona dans La neige endormie puis retour dans la banlieue parisienne avec En plein cœur, et les aller-retour continuent pour le plus grand plaisir du lecteur qui découvre d'autres facettes. De l'amour bafoué par exemple. Ainsi dans La femme volage, Butch, même s'il ne fume pas, possède chez lui un cendrier, lequel objet rencontrera le visage de sa femme car celle-ci a un amant. Et ce n'est pas tant le fait qu'elle le trompe avec un militaire mais d'explications oiseuses qu'il n'accepte pas. L'adultère est aussi le thème de Tout corps plongé dans un liquide. Steve et Jenny s'aiment. Seulement, si la femme de Steve est partie avec un musicien, Jenny est toujours mariée avec un passionné de stock-car. Et comme il ne fait plus attention à elle, trop occupé à parier, à admirer les voitures promises aux carambolages et aux filles qui vont avec, le meilleur moyen est de s'en débarrasser. Et quoi de mieux pour cacher le corps que des sacs poubelles et un plongeon dans les eaux d'un étang. Je ne vais pas tout vous narrer, sachant que déjà j'en ai écrit beaucoup, pourtant il me faut vous préciser que si vous découvrez ces histoires dans l'ensemble, il y a un petit point que j'ai omis. Le dénouement ! Le dénouement ou plutôt la chute, tout simplement qui joue avec humour, causticité et dérision sur des situations tragiques. Comme un pied-de-nez à l'attention du lecteur et qui tient en une phrase, la dernière. Comme une bonne photo vaut mieux qu'un long discours, je vous en propose deux ou trois afin de mieux comprendre l'exercice de style auquel Marc Villard s'est prêté. Car contrairement à ce que j'ai écrit au début de ma chronique, je soupçonne fortement Marc Villard de s'être penché sur le dossier contenant les clichés d'Hermance Triay et, sans en avoir l'air, laissé vagabonder son imagination. Si l'on ne présente plus Marc Villard, Hermance Triay est peut-être plus effacée derrière son rôle de photographe. Une femme de l'ombre qui met des décors ou des personnages en lumière. J'ai eu l'occasion de rencontrer Hermance Triay à plusieurs reprises, notamment à un festival à Saint-Quentin en Yvelines en 2005. Nous avions discuté sur sa participation à quelques ouvrages de la collection Noir Urbain aux éditions Autrement dont les illustrations de Venin, place du Maucaillou d'Eric Tarrade.
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