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PASCAL MARMET |
Le Roman Du CaféAux éditions DU ROCHERVisitez leur site |
1602Lectures depuisLe dimanche 16 Fevrier 2014
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Une lecture de |
Comme disait ma grand-mère : Café bouillu, café foutu ! Lorsque vous êtes en train de déguster, les yeux fermés, une tasse de café après un bon repas, pour un moment de détente entre collègues, ou en avalant la tête ailleurs votre jus matinal, vous êtes-vous demandé d'où provenait cette fragrance et ce goût, différents selon les occasions et le breuvage servi ? Et pourquoi bon nombre d'écrivains, Balzac en tête, avaient une cafetière, l'ustensile pas la serveuse, à portée de main et de lèvres, tout en noircissant le papier ? Julien n'a que vingt ans mais c'est un caféologue averti qui a de tenir car son grand-père est torréfacteur, et Julien a toujours vécu au milieu des sacs de fève et l'odeur des grains en train de chauffer à la température adéquate. Sa mère est décédée lors de son accouchement et le père n'a plus jamais remis les pieds dans l'échoppe. Ils n'étaient pas mariés, et le grand-père a élevé seul son héritier. Mais Julien n'a jamais vraiment été accepté, encaissant sans rien dire les reproches dont le plus grave se résumait en ceci : il était le meurtrier de sa mère. Puis vers huit ou neuf ans, Julien est devenu progressivement aveugle, sans qu'une possible intervention médicale puisse être envisagée. Son nez a pris la relève et il peut rien qu'en humant la subtile odeur d'un fumet citer la variété de la graine, et ses papilles ne sont pas en reste. Mais l'univers du café il connait, du début, de la plantation de la plante, les diverses variétés, l'art de torréfier, et celui de déguster bien évidemment. Il connait aussi le côté Noir du café, pratiqué par des courtiers qui à l'aide d'artifices font monter ou baisser les cours selon leurs intérêts. Julien vient d'être mis à la porte par son grand-père car il a osé une comparaison qui n'a pas été du goût de son aïeul. Lorsqu'il a balancé devant les clients que Nespresso serait au café ce que furent les aldéhydes dans le Shalimar de Guerlain et qu'y résister serait pure folie, j'ai vu rouge. Sans ménagement je l'ai attrapé par le col et je l'ai jeté dehors avec sa sacoche et sa canne. Alors Julien n'a eu d'autre recours que demander à son amie d'enfance Johanna de l'héberger. Ce qu'elle a accepté sans barguigner. Elle est journaliste mais elle veut changer de métier. Elle se verrait bien boulangère mais pour l'instant Julien est là et elle écoute avec un certain ravissement et beaucoup de curiosité toutes les anecdotes qu'il lui narre avec emphase. Cela va naturellement de la légende de ce petit chevrier qui se rendit compte que ses chèvres étaient plus fougueuses après avoir ingéré des cerises de café (c'est ainsi que se nomment les baies avec leur pulpe) jusqu'à nos jours avec grand renfort de publicité pour des capsules vantées par un acteur de cinéma, vendues dans des salons luxueux bien loin des paquets de moulu pour prolétaires, en passant par l'arrivée en France, la consécration de ce breuvage d'abord chez Procope (le plus ancien café de Paris même s'il a perdu de son charme et de son aura), et les indispensables conseils perdus de vue. Par exemple même pour du café moulu emballé sous vide, il est préférable après ouverture de le conserver au réfrigérateur. Julien et Johanna décident de s'envoler pour le Brésil et de se rendre dans une plantation, fournisseur du grand-père torréfacteur, qui demeure à taille humaine, respectueuse de la production sans utiliser toutes sortes de produits néfastes pour la santé. Pendant ce temps, le grand-père de Julien se retrouve à l'hôpital et couché sur son lit, piqué de partout avec des perfusions comme une poupée vaudou, il se remémore les vingt années passées auprès de son petit-fils, se rendant compte que peu à peu il s'est mal conduit envers lui. Mais la mort de sa fille lors de son accouchement l'a traumatisé et il ne sait plus que penser. Comme c'est si près, l'enfance, quand on a soixante-dix automnes, comme c'est si loin à quarante ans. L'histoire du café ne fait qu'un avec l'histoire de la France : Les cafés deviennent restaurants, et le quartier du Palais Royal un immense bordel à ciel ouvert. On ne se cache plus et on consomme les baisers sous les arcades; c'est alors que Louis-Philippe ordonne la fermeture des tripots coupe-jarrets et chasse les filles à coups de cravache. Lentement, sous le voile épais du puritanisme, le quartier s'ennuie, s'endort, les clients se font rares, le déclin est proche. Les cafés ferment sous l'indifférence générale. L'histoire se répète de nos jours sous une autre forme, et l'économie dépend souvent de décisions arbitraires. L'histoire de Julien et de Johanna, leurs tribulations, puis celle narrée par le grand-père s'imbriquent dans celle du café. L'on ne se rend pas compte devant son bol ou sa tasse, chez soi ou au café, combien la préparation de la précieuse graine demande de soins et de manipulations. Bon grain, bonne mouture, bonne préparation, méthode à dépressurisation ou extraction douce en alambic de verre... Sélectionner les grains, c'est bien, mais de la plantation jusqu'à l'extraction, une vingtaine d'étapes sont déterminantes pour la vertu du breuvage. Il est loin le temps de ma grand-mère qui versait l'eau bouillante sur la poudre disposée sur un lit de chicorée, une chaussette servant de filtre. D'où probablement l'expression jus de chaussette pour un breuvage limite consommable, et pour celui qui était franchement à jeter, jus de chaussette de facteur rural. Un roman doublé d'une étude très riche, très érudite sans être rébarbative, avec en annexes des conseils de préparation, de choix dans les grains, et des articles comme Les grands crus, Les femmes et le café, La santé par le café, Avec ou sans sucre, et même Les vertus et recettes du marc de café. Un ouvrage qui vous fera déguster le café autrement, et si vous passez devant l'échoppe d'un torréfacteur, humez cette odeur qui s'échappe et embaume l'atmosphère. Après le Roman du Parfum et le Roman du Café, pourquoi ne pas rêver au Roman du Chocolat ?Tiens, je me prendrai bien un petit maragogype, moi ! Sans sucre, évidemment. |
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