Ce dernier roman de François Muratet, publié à ce jour, peut se ranger dans la catégorie Science Fiction… Alors pourquoi en rendre compte sur ce site spécialement réservé à la littérature policière ? Parce que très loin du galimatias mystique aux relents religieux qui traverse bon nombre d’écrits d’anticipation, en deçà de son habillage SF, La révolte des rats dresse une sorte d’état des lieux du monde et pointe les germes de la barbarie qu’il renferme, à la façon des polars.
Après avoir réglé les problèmes périphériques (Irak, Somalie, Syrie, Iran…) à coup de canons et face aux exigences des milieux patronaux, en 2049, à Londres, à Paris, Budapest et Berlin les bataillons miliciens prennent le pouvoir ! Dans une Europe ébranlée par la crise économique mondiale, le Rassemblement des Milices impose, à coups de matraques électriques, la loi des grands trusts, la loi de JCN, maître incontesté de l’informatique et de l’intelligence artificielle. Les émeutes sont matées, les opposants emprisonnés… les villes sont réorganisées comme au bon vieux temps de l’apartheid… Serait-il minuit dans le siècle ? Dans l’ombre, les forces de la rébellion se réorganisent. Aux USA les rebelles semblent sur le point de défaire les forces gouvernementales et les tueurs lâchés, par les services les plus obscurs de l’Etat, sur les traces d’un mythique dirigeant, demeurent impuissants… L’heure de la victoire des masses opprimées et spoliées de leurs droits les plus élémentaires sonne. Les banlieues envahissent les quartiers interdits, de toutes parts les forces miliciennes refluent. Plus rien n’arrêtera la colère des masses… Mais bien avant que l’assaut final ne soit lancé la révolution était trahie, étranglée et défigurée… comme tant de fois dans le passé !
Si l’on fait abstraction des « exagérations » anticipationnistes que reste-t-il de La révolte des rats ? La description, certes romanesque, mais pourtant fidèle de l’histoire de ce XX siècle. Socialisme ou Barbarie, pronostiquait Cornélius Castoriadis. Force est de constater que la barbarie mondialiste semble l’avoir emportée. Alors, quoi d’étonnant à ce que François Muratet ne développe pas une vision particulièrement optimiste de l’avenir, qui l’amène à ressusciter, certes sous une forme surprenante, le « petit père des peuples », son organisation internationale et qu’il résolve l’alternative en Socialisme et Barbarie.
Cette « lecture » de la révolte des rats n’est qu’une des multiples lectures possibles du roman. Il peut aussi se lire comme une histoire d’amour sur fond de chaos, ou comme la quête par un homme passablement désabusé d’un sens à la vie. Mais aussi comme la course folle d’un tueur cynique que l’argent ne paraît même plus motiver… autant de lectures possibles de ce roman qui se savoure d’abord et surtout comme un thriller fascinant, au style efficace et tranchant, rapide et visuel… Et le lecteur se met à rêver de l’univers glauque de Blade Runner, des lumières qui s’éteignent alors qu’à l’écran apparaît : La révolte des rats
Une autre lecture duLa Révolte Des Ratsde PAUL MAUGENDRE |
|
Parution Juin 2003. 418 pages. Bon anniversaire à François Muratet, né le 27 janvier 1958. En 2049, l’Europe, élargie à quarante membres, voit arriver au pouvoir Pim Head, le leader du Rassemblement des Milices, une importante société prestataire de services tournée vers la politique. Les Etats-Unis de toute l’Amérique du Nord ont vu le regroupement du Canada et du Mexique aux USA. Mais pour autant le contexte économique est en régression, et les grèves, les contestations, les manifestations se développent sur les deux continents, sans oublier les guerres d’indépendance qui fleurissent ça et là. En Europe la Milice prend le relais, musclé, de la police. En Amérique du Nord, c’est le spectre de la guerre civile qui se profile, avec à la tête des contestataires, un nommé David, insaisissable. Le libéralisme à outrance est le maître mot tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Pourtant dans la communauté européenne, certains se révoltent, appartenant à une section politique bannie, les Hypercommunistes. D’autres travaillent sur des programmes de micro-ordinateurs à l’intelligence artificielle extrêmement développée puisqu'un dialogue peut s’échanger entre la machine et l’homme. Des sommes considérables d’argent transitent sur des comptes parfois au grand dam de leurs bénéficiaires. Quant aux politiciens, ce sont toujours les mêmes : ils rêvent d’asseoir une suprématie impérialiste au détriment de ceux qu’ils dirigent, bafouant le social sans état d’âme. Dans ce roman de politique-fiction, construit comme un puzzle, François Muratet nous dépeint ce que pourrait être l’Europe et le monde en général dans une quarantaine d’années. On ne peut dire que ce soit du pessimisme, mais il s’agit d’une vision inquiétante et crédible de notre avenir, peut-être plus proche que nous le pensons. Une analyse et une projection pertinentes que des événements récents, mais François Muratet avait déjà bouclé son roman, confirment. Les personnages se croisent, se rencontrent, se perdent de vue, d’autres surgissent, évoluent au fil du temps, des tueurs à la solde de l’Agence parcourent l’Amérique lisant Jack London, mais tous sont plus ou moins des pantins alors qu’ils pensent se mouvoir, régis par leurs propres idées, leurs propres convictions. Un livre dense, mais pas ardu, qui fait réfléchir et envisager le pire.
|
|