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SAM MILLAR |
On The BrinksAux éditions SEUILVisitez leur site |
3027Lectures depuisLe jeudi 7 Mars 2013
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Une lecture de |
Son grand-père Alexandre Millar venait d’une famille très protestante. Sa grand-mère Elizabeth O’Neill était une catholique militante. Ce fut elle qui imposa la religion de la famille. Sam Millar vécut son enfance à Belfast, dans le quartier de Lancaster Street, durant la décennie 1960. Pas facile d’être un catholique pauvre dans ce secteur où défilaient régulièrement les Orangemen, venant les provoquer. Pas simple, quand on a une mère dépressive alcoolique et un père au caractère dur. “Les catholiques sont comme des soucoupes en Irlande du Nord : près de la tasse, mais jamais autorisés à savourer son contenu” disait-il avec colère. Et puis, il y eut la manifestation meurtrière du 30 janvier 1972. Avec son frère aîné Danny, Sam en revient sain et sauf, mais marqué par la violence des Anglais. À quatorze ans, c’est le début de sa conscience politique. Alors qu’il commence à travailler aux abattoirs, un deuxième acte va frapper Sam. Son meilleur ami Jim Kerr, dix-sept ans, est assassiné par un protestant. Désormais, pour Sam, c’est la fin de la soumission aux Beefs et aux Orangemen extrémistes. Toutefois, l’action politique le mène très vite en prison, à Long Kesh. Pas question d’être assimilé aux vulgaires détenus, puisqu’il est prisonnier politique. Évoquer le cycle de brimades sévères face à la Rébellion des plus décidés de l’IRA, dont Sam fait partie ? Le bras de fer entre les réfractaires au travail et à l’uniforme des prisons, les traitements de plus en plus dégradants ? La pression permanente, la puanteur à laquelle succède des bains obligatoires, façon nazis ? Des alliés au sein de Long Kesh, des personnages autant chez les détenus que parmi les matons ? Tout cela, seul Sam Millar peut savoir au fond de lui ce que représenta ce long tunnel. Huit ans de prison, de guerre psychologique. Puis arriva la mort de Bobby Sands, le plus symbolique des martyrs de la cause nord-irlandaise. Négocier avec l’ennemi ou tenter de s’évader ? Sam Milar les aura à l’usure. Il est finalement relâché. Sam s’est installé à New York, dans le Queens. Clandestin, il fréquente le milieu des casinos plus ou moins illégaux, tolérés, rançonnés. Il pourrait y trouver sa place, en tant que croupier. À moins qu’il ne choisisse de suivre son ami Ronnie Gibbons, qui compte ouvrir son propre casino. Sam reste méfiant, il n’a pas tort. Autour de Ronnie, l’organisation familiale fausse le projet. Et cette cliente âgée à l’allure digne, mieux vaut ne pas être trop gentil avec elle. Ratage sur toute la ligne. Connaissant Tom, un ex-flic aujourd’hui agent de la Brinks, Sam songe à un braquage de leur entrepôt. La première tentative, avec Ronnie, échoue presque inévitablement. Avec la complicité de son copain Marco, en janvier 1993, la seconde est la bonne. “Trois minutes. C’est tout ce que ça nous prit. D’une facilité effrayante. En sortant du bâtiment pour aller récupérer le fourgon, un drôle de sentiment me parcourut. J’étais déçu. Ça ne me paraissait pas naturel. Trois ans de préparation et c’était bouclé en trois minutes. Pour une obscure raison, c’est moi qui me sentais volé.” De l’adrénaline, oui, mais pourtant un coup de branquignol, mal exécuté. Plus de sept millions de dollars dans la tirelire de Sam et Marco, quand même. Sam Millar se crée une façade respectable, en ouvrant une boutique de bédés de collection qui tourne bien. Époux de Bernadette, père de famille, accepté dans le quartier, tout irait à peu près bien. Sauf qu’il est urgent de trouver un endroit où planquer le butin. Il peut compter sur le Père Pat, un prêtre irlandais hors norme, qui dispose d’un appartement. Depuis l’attaque du dépôt de la Brinks à Rochester, tous les flics sont sur les dents. Sam est bientôt dénoncé, observé par la police sans qu’il s’en doute. L’appartement servant de planque est sous surveillance. Pat et Sam tombent dans les griffes des enquêteurs, tandis que l’essentiel du butin se volatilise. L’avocat de Sam est un cador. On frôle l’abandon des charges contre son client, qui va écoper du minimum. L’avenir s’éclaircit tant soit peu pour Sam Millar, qui retrouvera une Irlande du Nord plus apaisée… Il y a des livres autour desquels il n’est pas indispensable d’argumenter. Comme une évidence, cet ouvrage est de qualité supérieure, voilà tout. Cette histoire n’est pas de la fiction, il s’agit d’une autobiographie. Ou plutôt d’un “polar-vérité”, s’il faut imaginer une étiquette plus précise. Le parcours d’un type pas ordinaire, son témoignage. Digne d’un incroyable scénario à suspense, c’est vrai. Quelqu’un ayant traversé de telles mésaventures aurait le droit de se prendre pour un héros. Sam Millar a assez d’humour, de dérision, et prend suffisamment de recul, pour éviter ce piège de l’autosatisfaction. Il a lutté, s’est rebellé face à l’inhumanité, pour une cause qu’il estimait juste, avant de réaliser un des plus gros braquages perpétrés aux Etats-Unis. Ce n’est pas la notion d’échec ou de réussite, ni même aucun jugement, qui importent pour lui, c’est d’avoir “vécu ça”. Des épreuves, des humiliations, des hasards. Rafler sept millions de dollars, et ne pas savoir quoi en faire. Pas le destin de tout le monde. Encore faut-il être capable de transcrire avec talent ce que l’on a enduré, d’en dire le maximum sans se flatter, se glorifier. Sam Millar y parvient, car c’est un véritable écrivain. Et sans doute faut-il souligner la complicité de Patrick Raynal, son traducteur, qui transcrit les nuances de ce texte. L’un des meilleurs polars de l’année est autobiographique : il mérite le plus chaleureux “Coup de cœur”.
Roman autobiographique ou autobiographie romancée? Si l’histoire vraie que nous narre Sam Millar était un roman, bon nombre de lecteurs s’écrieraient au scandale, arguant que tout ce qui est écrit est peu crédible. Mais c’est justement ce manque de crédibilité qui fait que cette histoire l’est car elle est véridique. Incroyable mais vrai. Dès son plus jeune âge Sam Millar est bousculé par la vie, un père souvent absent travaillant dans la marine marchande, une mère qui se tue au travail, récurant sans cesse puis se mettant à boire et tentant de se suicider à de nombreuses reprises. Son enfance pauvre l’amène à troquer des pommes contre des choux et autres légumes chez l’épicier. Il doit toujours courir, son père étant attentif à la durée de ses déplacements, n’hésitant pas à élever la voix même pour rien. Les années passent et on retrouve Sam Millar dans la prison de Long Kesh. La prison de Long Kesh ressemble plus à des oubliettes qu’à une prison cinq étoiles. Pas de téléviseurs, de radio, de la bouffe que même les corbeaux dédaignent, les détenus vivent quasiment nus habillés seulement d’un torchon qui leur sert de pagne, alors qu’il n’y a pas de chauffage l’hiver et qu’ils n’ont pas d’endroit pour uriner ou déféquer. Ils n’ont vraiment pas de pots. Les tortures physiques et psychiques ne leur sont pas épargnées. Et s’ils sont nus, c’est parce qu’ils ont refusé d’endosser l’uniforme pénitentiaire anglais réservé aux prisonniers de l’IRA. Il fait partie, comme tous ceux qui sont internés dans les geôles contigües, des Blanket men. Les irréductibles qui prônent la rébellion. Et lorsqu’ils entendent le crissement de bottes neuves, cela signifie que l’un des leurs a décidé de franchir la barrière. Parfois l’un des matons, tous des Beefs (des Anglais) dont le plus virulent et le plus sadique a été surnommé la Verrue humaine, les attache avec une corde par le pénis et les traine par terre, le corps frottant sur les graviers ou le bitume. Pourtant, ils arrivent à garder le moral grâce aux blagues de potaches qu’ils se balancent d’une grille à l’autre, des références à des personnages de bandes dessinées, comme Hulk, Superman et consorts. Huit ans qu’il va trainer dans le Bloc H, déménageant parfois d’aile en aile, recevant la visite d’un toubib, le Docteur Pap surnommé ainsi à cause du nœud papillon qu’il arbore. Il enchaine aussi les lettres au Pape, sans effet, et pour lui la religion catholique ne correspond plus à rien, laissant faire ces ignominies. Les Orangemen, d’obédience protestante, et les représentants de la religion catholique sont à mettre dans le même panier. Tout comme les représentants du Sinn Fein composé de traîtres. Ils suivent également la lutte de Bobby Sands et sa grève de la faim, sans que cela émeuve le moins du Miss Tatcher. Enfin c’est la libération. Sam émigre aux Etats-Unis et devient employé dans un casino clandestin new-yorkais. Il apprend à être croupier puis directeur des caisses, un métier comme un autre, jusqu’au jour où le patron doit mettre la clé sous la porte suite à une descente de police et que le tripot est bouclé. Alors Sam devient bouquiniste, spécialisé en bandes dessinées, les fameux comics qui ont alimenté l’imaginaire des gamins. Mais la rencontre avec un ami, ancien policier et responsable de la sécurité du dépôt de la Brinks à Rochester lui fournit l’idée de dévaliser l’entreprise, en douceur, avec quelques compagnons. Sam Millar narre son enfance et ses années d’enfermement à Long Kesh appelée aussi Prison de Maze, dans un style sobre mais poignant non dénué d’humour. Si les prisonniers n’ont pas droit au sucre, ce n’est pas grave. Il s’en félicite même car au moins ils n’auront pas de problème de dentition, ce qui aurait ajouté un mal à ceux qu’ils subissaient déjà. Le nom de Liam O’Flaherty, auteur notamment du Mouchard et de Insurrection, a plané tout au long de cette lecture, le lecteur se rangeant aux côtés des Indépendantistes, des réfractaires, la religion une fois de plus devenu le flambeau des exactions. La partie américaine, casinos clandestins et surtout braquage du dépôt de la Brinks et les aventures et mésaventures qui en découlent font penser au personnage de Dortmunder de Donald Westlake, tout en sachant qu’il ne s’agit pas de fiction mais de la réalité. Je ne vais pas m’étendre plus longtemps sur cette partie américaine, ne désirant pas trop déflorer l’histoire afin d’en préserver l’attrait aux lecteurs, et la quatrième de couverture étant déjà un peu trop explicite à mon avis, mais l’on se croirait dans un roman ou un film de gangsters un peu naïfs. Avec pudeur, Sam Millar efface de son récit tous les moments qu’il juge inutiles, et qu’il élude savamment. Ainsi entre une partie de son enfance et son arrivée à Long Kesh, c’est le trou noir. Il est prisonnier, mais le lecteur doit le constater, et ne pas se poser de questions sur le pourquoi et le comment. De même entre sa libération et son emploi dans le casino clandestin, rideau. Tout juste si au détour d’une phrase on apprend qu’il est marié et qu’il a trois enfants à l’époque où il devient libraire. D’ailleurs cette partie ne renvoie plus à Dortmunder mais à Bernie Rhodenbarr, le héros de Lawrence Block, qui cumule les fonctions de libraire le jour et cambrioleur la nuit. Mais peut-être Sam Miller a-t-il l’intention de rédiger une suite, levant quelques voiles supplémentaires sur des épisodes cachés. On the brinks reste une autobiographie, parfois dure, poignante, émouvante, parfois franchement irrésistible, et est une formidable leçon de courage. Sam Millar s’inscrit dans la longue lignée des auteurs écrivains, certains ayant eu comme lui la chance de pouvoir échapper à leur condition, d’autres moins tel Caryl Chessmann, auteur en prison de quatre témoignages traduits en France aux Presses de la Cité à la fin des années 50 : Cellule 2455 couloir de la mort, À travers les barreaux, Face à la justice, Fils de la haine, mais ceci est une autre histoire.
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