CLAUDE MESPLEDE

Les littératures policières sont nées au 19e siècle. Pourtant, hormis quelques rares érudits, on continua très longtemps à considérer ces romans populaires comme des produits dénués de qualités. Les enquêtes de Sherlock Holmes ou de Jules Maigret restaient du divertissement, pas de la Littérature. Même quand, durant l’Entre-deux-guerres, on commence à traduire et à publier les premiers romans noirs venus d’Amérique, on ne sait trop à quelles collections les associer. Marcel Duhamel tâtonne quelques temps après-guerre, avant de créer la Série Noire. Armand de Caro lance le Fleuve Noir vers la même époque, tandis que se développe la collection Un Mystère aux Presses de la Cité. Toutes ces publications n’ont toujours pas d’écho chez les défenseurs de la digne Littérature.

Certes, on consacre un mémorable colloque à San-Antonio/Frédéric Dard. Oui, le cinéma d’action et la littérature policière se complètent, les scénarios des uns s’inspirant des romans des autres. Mais tout ça est estampillé “populaire”, donc médiocre. La décennie 1970 commence à bousculer ce mépris des cultureux envers le polar. Sous l’influence de François Guérif, de Michel Lebrun, de Jean-Patrick Manchette, et d’éditeurs plutôt audacieux, les lecteurs de polar sortent de l’ombre. Pierre Lebedel et Alain Demouzon lancent début des années 1980 une association, “813-Les amis de la Littérature policière”. Parmi les premiers à adhérer, on compte un ouvrier d’Air France, un syndicaliste qui mène des actions culturelles, gros lecteur de la Série Noire. Un certain Claude Mesplède.

Avec lui et ceux de sa génération, les stricts littéraires perdent enfin leur hégémonie, au profit des véritables lecteurs. Bientôt, on passe de “sympathiques initiatives” à une reconnaissance générale du genre polar. Après une période creuse (fin des années 1980-début des années 1990), c’est enfin la consécration pleine et entière du polar. Avec en particulier la série Le Poulpe, dont Mesplède écrit d’ailleurs un épisode. Surtout, grâce à cet engouement, cette envie d’écrire autour du polar, qu’ont pu susciter des gens tels que Claude Mesplède. J’en parle en connaissance de cause. Il est un des seuls qui ait réussi à fédérer les amateurs de polars, se refusant à privilégier une seule chapelle au détriment des autres. Si la passion du polar se répand et se transmet partout en France et ailleurs, c’est en grande partie grâce à Claude Mesplède. Il aura toujours droit à notre respect.

Claude Mesplède publie le premier tome de ses “Trente ans d’écrits sur le polar 1982-2012” sous le label Krakoen. Parmi les articles marquants, ceux consacrés à Joseph Bialot, à Robin Cook, au James Ellroy des débuts, à Francisco González Ledesma, et une rétrospective des vingt premières années de la Série Noire. On trouve ici également la réédition revue et corrigée de son Poulpe, “Le cantique des cantines”. Et puis, un tas de chroniques dans le désordre, des textes montrant que Claude Mesplède n’a jamais perdu une once de sa passion de lecteur. C’est bel et bien le moteur qui l’anime, et qu’il a transmis à quelques-uns d’entre nous. Les plus fidèles sont toujours ses amis. Tant pis pour ceux qui se sont détournés de son état d’esprit.

Souvenons-nous que le polar n’est pas né d’un claquement de doigt, spontanément, ces dernières années. C’est parce que des gens tels Claude Mesplède ont cultivé le sillon des littératures policières depuis longtemps, qu’ils ont donné ses lettres de noblesse à ce genre que nous aimons. Ce que démontrent ces textes réunis dans “Trente ans d’écrits sur le polar 1982-2012”.