Le thème du personnage d’écrivain narrateur dans un roman, policier ou non, a été traité à moult reprises, avec plus ou moins de force, d’imprégnation, de véracité, de présence dans le récit. C’est pour l’auteur le moyen de se mettre en scène sans pour autant se montrer impudique. De développer également sa façon de travailler, de rechercher les idées, de créer l’ambiance propice pour écrire, de confronter l’auteur face à une page blanche ou à son ordinateur, de composer avec les éléments extérieurs, que ce soit le voisinage, les lecteurs, la famille ; de se montrer un être humain comme les autres avec ses joies, ses peines, ses soucis, ses petits bonheurs tout en mettant en exergue sa recherche de la solitude. Car un romancier n’est pas tout à fait comme un autre travailleur : il n’a pas d’horaires imposés, son cerveau est continuellement en ébullition même lorsqu’il sacrifie aux tâches les plus simples comme se préparer à manger. Et lorsqu’une idée fuse, qu’une phrase se construit inconsciemment, il lui faut les coucher immédiatement sur le papier sous peine d’évaporation fatale, de les perdre dans les limbes de la création. Franck Marquez est un écrivain reconnu, ayant à son actif une dizaine de livres qui obtiennent un vif succès. Il a abandonné son travail d’informaticien au profit de l’écriture dix ans auparavant, et il ne s’en plaint pas. Il possède sa fierté « L’éditeur m’avait fait une confiance quasi aveugle, me qualifiant dès les débuts de digne successeur de Grangé mais je me méfiais comme la peste de ses appellations à la mords-moi-le-nœud… Je voulais être Franck Marquez, j’écrivais du Franck Marquez, je ne voulais pas être un à la manière de… ». Afin de pouvoir travailler sereinement il a acheté une maison à Brighton-les-pins, petit village près de Cayeux sur mer sur la côte picarde, a aménagé ses pièces de travail en privilégiant le confort, et ainsi isolé il rédige son prochain roman. Il imagine un personnage d’Irlandais et il est content de ses premières pages jusqu’au jour où, cherchant l’inspiration pour la suite, il rencontre un Irlandais qui pourrait ressembler à celui qu’il a imaginé. Jimmy O’Shea le reconnait et chambre quelque peu l’écrivain sorti avec une bouteille de bière. Or Jimmy possède le don, du moins c’est ce que s’imagine Marquez, de lire dans ses pensées et de le devancer dans leurs conversations. Autre personnage qui s’immisce dans ce coin tranquille, un automobiliste qui manque l’écraser. Marquez s’emporte et bouscule l’homme. Jimmy fournit à Marquez une coupure de journal le représentant au pied de sa maison en train de siroter une bière comportant une légende plutôt ironique. Ce qui ne peut prêter à conséquence mais chiffonne l’écrivain et le met hors de lui. Le journaliste indélicat ne peut qu’être le chauffard qui a failli l’écraser. Sa femme et sa fille doivent passer le week-end avec lui, ce qui ne l’enchante guère, malgré que le manque ressenti de l’absence de Rosa sa fille et peut-être aussi le sentiment de culpabilité de la délaisser. Quant aux relations avec sa femme Anne, elles se sont distendues. Travaille-t-il de trop, cela se pourrait car il est sujet de plus en plus souvent à des migraines, à s’imaginer être entouré de fantômes et même à des pertes de conscience, de courtes phases le rendant comateux. Mais la fin du séjour d’Anne et de Rosa se solde par un drame. L’Irlandais est un homme discret même s’il empiète sur la vie de Franck, se rendant souvent utile dans les moments délicats, mais sous des dehors bourrus il cache un profond secret que l’écrivain découvrira dans des circonstances au cours desquels lui-même est en proie à un abattement doublé de colère. Ce roman est construit à la façon d’une mille-feuille, plusieurs strates empilées l’une sur l’autre, de plus en plus fines à mesure qu’avance le récit, et que l’on dévore une à une. La description de l’univers d’un écrivain, puis ses mésaventures, ses relations familiales puis le drame, puis la découverte du secret de l’Irlandais, puis… et ainsi de suite. Le lecteur est plongé dans différents univers qui se dévoilent peu à peu, l’aspect psychologique s’effaçant devant le suspense, l’émotionnel, l’angoisse s’insinuant ensuite puis une légère approche de fantastique. Passant de la première personne du singulier à la troisième personne, le texte invite le lecteur à devenir partie prenante, à s’investir dans le personnage principal de cette histoire puis à en être le spectateur. La fin de l’ouvrage est une mise en abîme tandis que l’épilogue est à classer dans le genre du serpent qui se mord la queue. Un vrai bonheur de lecture et un tour de force que ne renieraient pas des romanciers chevronnés.
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