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JACQUES MONDOLONI |
Pas D’argot Pour Mister RicheAux éditions LA BRANCHEVisitez leur site |
2369Lectures depuisLe lundi 5 Avril 2010
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Une lecture de |
Léon est âgé de quinze ans. Il préfère qu’on l’appelle Rodrigue. Ses parents sont divorcés. Son jeune frère vit avec leur mégère de mère. Léon habite à Orsay, avec son père Étienne. Ce dernier exerce le curieux métier de collecteur d’argot. Pour les dictionnaires spécialisés des Éditions du Hauban, son père traque le vocable original, l’authentique formulation argotique, l’expression imagée. Léon suit les travaux paternel, y trouvant comme lui un certain plaisir. Cette passion, c’est aussi ce qui a accéléré le naufrage du mariage d’Étienne : pour un recueil consacré aux mots de la prostitution, il avait abusé des turpitudes sexuelles hors du couple. Aujourd’hui, l’éditeur fait pression sur Étienne pour qu’il termine le dernier ouvrage au plus vite, en trouvant un maximum de citations relatives à l’argot. Séparation, pression, deux raisons expliquant le drame qui se produit. En effet, Léon intervient alors que son père est sur le point de se suicider. Sous le choc, même si sa blessure est légère, Étienne s’enferme dans un profond mutisme. Mesurant les conséquences, Léon estime qu’il doit prendre en charge la situation. Se barricadant dans leur maison, il interdit l’accès à sa mère. Son frère, il n’a rien conte lui, mais il ne peut se laisser attendrir. Même lorsque sa mère revient, bien décidée à forcer l’entrée, Léon résiste. Il y a aussi l’aspect scolaire du problème, depuis qu’il sèche les cours. On le prévient que l’assistante sociale va déclencher une procédure dès le lendemain. Il est temps de faire appel à un ami de son père, son mécène protecteur. Léon contacte ce Mister Riche, qui arrive bientôt. Dans l’urgence, l’homme décide d’un départ rapide. Ils voyagent de nuit, pour une destination qu’ignore encore Léon. Leur équipée se termine dans le Sud, en bord de mer, du côté de Ramatuelle. Mister Riche les héberge au Centre. À vrai dire, l’adolescent se demande s’ils n’ont pas été piégés, s’ils ne sont pas plutôt séquestrés dans cette sorte de maison de repos. Entre “le Cagoulé”, pas très rassurant, et “le Tristounet”, un suicidaire qui se soigne avec du Fernand Raynaud à haute dose, l’ambiance n’est pas vraiment agréable pour un jeune de son âge. Tout de même, il vit une heureuse expérience avec Lisa. Par-dessus tout, Léon voudrait bien connaître le véritable lien entre son père et Mister Riche… Ce court roman comporte deux thèmes. D’abord, l’amour du langage, du mot, à travers la quête érudite d’Étienne. “…Il juge plaisant, et salubre, de pratiquer la collecte des mots hors d’usage, de les peser au retour de la cueillette, de se les mettre en bouche en guise d’apéritif avant le dîner […] Plus que tout, il préférait arpenter le terrain, boire le sirop de la rue, camper devant le zinc, trinquer avec quelques trognes au parler imagé dans un tripot, son oreille à l’affût du vocable.” Saine passion que d’aimer le vocabulaire, fut-il désuet ou d’un argot vieillot. L’autre sujet, c’est l’histoire initiatique de l’adolescent face à ses responsabilités. Le moment de la prise de conscience, qu’il doit se comporter “en adulte” ou, plus exactement, protéger ses proches, défendre son entourage. Devenir “le père ou la mère de ses parents” reste sans doute l’acte le plus difficile d’une vie. L’auteur traite ces thèmes avec une grande part d’humour. Ce qui nous donne un roman souriant, d’une lecture très plaisante.
Devenir le père de son propre père, ce n’est pas courant et pourtant c’est ce qui advient à Léon, quinze ans lorsqu’il surprend son père dans la bibliothèque familiale, un canon de fusil dans la bouche. Léon a empêché son père de se suicider. Depuis Etienne végète, et Léon est obligé de jouer à l’infirmière (Le coup fatal est bien parti en emportant un morceau d’oreille et occasionnant quelques dégâts parmi les livres), au cuisinier, au comptable, au maître de maison tout en continuant en pointillé les études. Mais pourquoi son géniteur en est-il arrivé là ? Le départ de sa femme, surnommée la Méduse, et donc de la mère de Léon, suite à une incompatibilité d’humeur, entraînant avec elle leur fils cadet, soit le frère de Léon ? Son travail épuisant comme récolteur de mots d’argot pour un éditeur toujours plus exigeant, sillonnant la capitale dans tous les lieux susceptibles de satisfaire sa quête ? Les deux cumulés peut-être ou encore autre chose. Dans le carnet d’adresse de son père, Léon relève un numéro de téléphone correspondant à un certain Mister Riche, lequel approvisionne le compte bancaire familial lorsque celui-ci se trouve fort dépourvu. L’état d’Etienne ne s’améliorant pas - il est devenu quasiment autiste suite à la déflagration qui lui aurait provoqué un court-circuit dans les méninges - Léon se résigne à faire appel à ce Mister Riche inconnu de lui mais qui pourrait se révéler comme une roue de secours, en espérant qu’elle ne soit pas crevée (la roue). Jacques Mondoloni est un auteur qui se montre fort discret, alternant romans de science fiction, romans noirs, romans pour adolescents, documents et même pièces de théâtre, mais il ne nous les livre qu’au compte-gouttes. Le jeu du Petit Poucet à la Série Noire, Je suis une herbe chez J’ai Lu, Richard Cœur de Lièvre à L’Atalante, Les Milles, le train de la liberté chez Pocket, Les enfants de Freinet au Temps des cerises, Corsica blues à L’Atalante, la série des Goulags mous au Fleuve Noir rééditée chez Florent-Massot, autant de réussites dont il peut être fier. Et j’en oublie bien sûr. Son style est élégant, précis quel que soit le domaine abordé. C’est avec plaisir que nous le retrouvons après une période de disette et nous espérons le retrouver prochainement dans ses histoires souvent empreintes de la complexité des liens familiaux. |
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