|
|
HERVE LE CORRE |
Prendre Les Loups Pour Des ChiensAux éditions RIVAGESVisitez leur site |
331Lectures depuisLe mercredi 2 Fevrier 2017
|
Une lecture de |
Le jeune Franck vient de purger cinq ans de prison pour braquage à Gradignan. Jamais il n’a dénoncé son grand frère Fabien, complice dans cette affaire qui a rapporté un beau pactole. Contrairement à ce que pensait Franck, ce n’est pas Fabien qui l’attend à la sortie, mais la compagne de celui-ci, Jessica. Elle explique que son frère est parti pour quelques semaines en Espagne, à Valence, pour son bizness. Franck sera logé dans une caravane, chez la famille de Jessica. Ils habitent en bordure de forêt, du côté de Bazas et de Langon, dans la région bordelaise. Roland, le père, maquille des voitures volées pour Serge Weiss, un caïd gitan qui n’est pas du genre à plaisanter. Maryse, la mère, d’allure aussi âgée et vulgaire que Roland, passe son temps à picoler et à fumer, travaillant ponctuellement. Leur chien Goliath, un molosse inquiétant, rôde dans leur propriété. Franck trouve Jessica très excitante. Si elle n’est pas tellement farouche, son caractère peut s’avérer changeant, nerveusement survolté. Elle a une fille âgée de huit ans, Rachel. Presque mutique, du moins peu causante, la gamine. Avec des réactions étranges, comme de se laisser couler dans la piscine familiale. Jessica semble l’adorer, mais peut se montrer brutale envers Rachel. Sans aller jusqu’à copiner, Franck parvient à apprivoiser la fillette. Ce qui l’embête, c’est que son frère reste injoignable au téléphone. Par prudence, estime Jessica, ce qui constitue une bonne raison. Franck a compris qu’il vaut mieux rester à l’écart du gitan Serge, qu’il voit tel un fauve cruel. S’étant acheté une voiture, il conduit Jessica à Biscarrosse, sur la côte. Mais bientôt la fête tourne mal pour tous les deux. C’est le Serbe et sa bande qui ont violé la jeune femme et agressé Franck. Des trafiquants de drogue adeptes de la violence, des durs ne laissant rien passer. Après un bref retour chez ses parents, Jessica trouve refuge chez un de ses riches amis, Patrice Soler, mêlé lui aussi aux trafics de stupéfiants. Sûrement pas le meilleur moyen pour elle de retrouver un équilibre. S’il n’est pas tellement aguerri, Franck n’a pas tort de penser qu’il va dominer ce Soler, en débarquant chez lui avec une arme. Il récupère Jessica, qu’il ramène dans sa famille. Elle finit par lui avouer le problème : Fabien, elle et ses parents sont embringués dans un gros deal de drogue, pour lequel ils se sont endettés. Le Serbe et son gang sont de moins en moins patients, ce qui explique l’agression de Biscarrosse. Franck reprend contact avec ses amis Nora et Lucas, parents d’un bébé de neuf mois. Si Nora aspire à une vie stable, Lucas vivote de petits jobs et autres combines. Quand Franck fait appel à lui pour lancer des représailles contre le Serbe, Lucas répond présent. Jessica les accompagne. Mais la baston mouvementée qui s’ensuit n’est pas sans conséquences. Faire appel à Serge le Gitan, comme le suggère le père de Jessica ? Franck a maintenant de bonnes raisons de vouloir régler ce conflit tout seul… (Extrait) “Il s’est allongé sur le lit dans une odeur de linge propre et il a fermé les yeux en pensant à Fabien et à la bringue qu’ils feraient à son retour avant de s’arracher d’ici et commencer à vivre vraiment. Et puis parce que cette baraque, avec ce chien monstrueux, cette fille qui avait l’air vraiment chaude, et cette petite quasi muette, lui semblait bizarre, bancale. Quelque chose dans l’air, comme un relent, la trace d’une ancienne puanteur qui empêchait parfois de respirer à fond. Rien à voir avec la prison. Il n’aurait pas su dire vraiment ce qu’il ressentait…” Le début de cette histoire ne prétend pas être original. Un type sortant de prison, c’est un des postulats les plus classiques du polar, une base qui peut dériver vers le tragique ou se décliner dans des intrigues plus légères. On se doute que le héros ne va pas sagement se résoudre à une tranquille réinsertion, résultat d’une maturité acquise en prison. Éviter les embrouilles, s’insérer socialement, ce n’est pas à la portée de la plupart des délinquants libérés. En s’installant chez la famille de la compagne de son frère absent, Franck ne peut que replonger dans un climat décalé. Là réside le point fort de ce roman : l’auteur nous présente avec réalisme des protagonistes assumant leur marginalité décomplexée. Oui, ils existent bel et bien, ces gens vivant "hors système". Qu’ils traficotent de la drogue dans l’espoir de gros gains rapides, un bizness souvent moins rentable qu’ils ne l’ont cru, c’est plus que probable. Qu’ils maquillent des véhicules volés (à destination de pays de l’Est, mais aussi pour des clients bien Français), c’est une de leurs filières favorites. Qu’ils travaillent sur des chantiers du bâtiment au noir, et qu’ils appliquent toutes les ressources possibles de l’économie parallèle, c’est certain. Il n’est question que de fortes sommes, de dizaines de milliers d’Euros, de transactions hyper-lucratives, quand on les écoute. Dans les faits, ces minables vivotent chichement, glanant un peu de fric de-ci, de-là. Ce qu’ils n’admettront jamais, évidemment. Tel est le monde que décrit ici admirablement l’auteur. Un microcosme où, logiquement, la violence finit toujours par s’imposer. Le personnage de Jessica incarne toute l’instabilité de cet univers-là. Élève intelligente et déjà effrontée, elle se prit dès l’adolescence pour une "presque adulte" et ne cessa plus de faire n’importe quoi, d’agir à sa guise. Le contexte familial s’y prêtait, ce que ses parents ne mesurent même pas. La seule qui puisse – éventuellement – être encore sauvée, c’est la petite Rachel, la fille de Jessica. Au-delà d’un scénario agité de péripéties, c’est une ambiance malsaine, crue, menaçante, et même "animale" par les comportements, que nous fait partager Hervé Le Corre dans “Prendre les loups pour des chiens”. Un roman noir de très belle qualité, dense et implacable, dans la meilleure veine de ce genre littéraire. |
Autres titres de |