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MARIN LEDUN

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Le mardi 7 Septembre 2016

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Marin LEDUN




Une lecture de
CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER  

Begaarts, quatre mille deux cents habitants, de longues plages de sable fin sur la côte landaise, près de Biscarosse et Mimizan. Le tourisme estival alterne avec le désœuvrement hivernal. Née dans une famille ordinaire d’ici, Émilie Boyer approche de la quarantaine. Jusqu’au printemps 2011, cette passionnée de danse fut infirmière dans un hôpital des environs. Émilie fut alors victime d’un accident de voiture. Elle en était plus responsable que le conducteur du pick-up qui la heurta. Émilie s’en tira, mais dut être amputée d’une jambe et munie d’une prothèse. Après rééducation, elle tenta de reprendre son poste à l’hôpital. Son exigeant métier d’infirmière entraînant un burn-out, elle dut démissionner.

Émilie a entamé une nouvelle vie. Elle est gardienne d’un chenil spécialisé dans l’élevage canin de chasse. En ce mois de juillet, son patron étant en vacances, elle loge dans sur place dans un mobile-home. Outre ceux dont elle a la charge, le chien Bob cohabite avec Émilie, en toute liberté. Elle l’a sauvé étant chiot, chez un vieux bonhomme acariâtre du coin. Malgré sa jambe artificielle, le loisir favori d’Émilie reste la danse. Elle fréquente la boîte de nuit du secteur, le Vituperia. Son handicap autant que son charme attirent les hommes, pour le sexe. Parfois, les femmes aussi. Telle Isabelle, mariée, mère de famille, qui se dévergonde dans ce club. Un an plus tôt, Émilie et elle sont devenues très intimes.

La rupture est intervenue entre les deux femmes, quand Émilie a éprouvé un malaise en comparant leurs vies. Par rapport à Isabelle, elle reste une déclassée. À cause du maudit accident, c’est d’une certaine façon la faute de l’autre conducteur. Ce Simon Diez, ouvrier forestier âgé de trente-sept ans. Un parcours un peu chaotique comme le sien, mais il n’a pas eu de séquelles, lui. Il n’a jamais pris de nouvelles de la santé d’Émilie, ce Simon. Il est vrai que son employeur Sarlat, pour sa propre réputation, veilla à ce qu’il n’y ait pas de suites. Simon Diez n’est pour rien dans les ratages de la vie d’Émilie, ni fautif pour l’accrochage. Mais, en cet été caniculaire, la nécessité d’une vengeance habite Émilie.

Elle a enquêté: “C’était sa mission secrète, son processus de rédemption… Trouve Simon Diez toi-même, traque-le et baise-le.” Elle a planifié son enlèvement, le 14 juillet. Elle l’a attiré jusqu’au chenil, où était préparé une sorte de cellule dans une grange. Pour qu’il réalise sa détermination, elle lui a tiré une balle de revolver dans la jambe. Elle l’a bien soigné, l’assommant avec des sédatifs. Pas de risque d’être importunée, Émilie s’occupant seule de tout. Elle a immergé la voiture de Simon dans un étang voisin. Car un duo de gendarmes est passé, cherchant des renseignements sur le disparu. Elle a accentué son allure d’handicapée, pour inspirer la pitié afin d’écarter leurs soupçons éventuels.

Jusqu’où cette fuite en avant mènera-t-elle la kidnappeuse ?…

“Émilie raccrocha, incapable d’en entendre davantage. Le poids de plusieurs tonnes revint à la charge, et se mua en un puits sans fond colossal qui menaçait de l’aspirer. Émilie se traita d’imbécile. Elle serra le poing et balança son sac à l’autre bout de la pièce du revers de la main.

— Qu’est-ce que tu croyais, pauvre conne, qu’il suffisait de tirer sur un type pour effacer le passé et reprendre ta vie à zéro ?

Elle se leva, pivota sur elle-même, croisa son regard dans le miroir de la penderie du couloir, pivota à nouveau, ramassa le revolver, et se précipita dehors. Le chien Bop s’était déplacé, et reniflait le sol près du portail. Il releva brièvement la tête pour la regarder. Émilie le mit en joue, le doigt sur la détente, prête à tirer.”

Les situations aboutissant à des "conditions criminelles" ne naissent pas sans raison. Là, on ne parle pas du banditisme meurtrier, mais de drames du quotidien. Heureux, ceux et celles qui n’ont à surmonter aucune épreuve durant leur vie. Il arrive que notre sort nous échappe, parce que des parents sont décédés trop tôt, parce que l’on s’est isolé sans s’en apercevoir, parce qu’un accident est à l’origine d’un traumatisme. On s’est débrouillé, on a cru rétablir un équilibre, sans doute illusoire. Quel élément déclenche un dérapage ? Un sentiment d’injustice que l’on a ruminé, souvent. Un manque de réponse, ce qui aiderait à tourner la page, à gommer les douleurs physiques ou mentales. Émilie ne quémande pas l’apitoiement, au contraire. Simplement, elle s’est marginalisée.

Ce roman est empreint de noirceur, oui. Néanmoins, observons le paysage : on imagine ce chenil dans une pinède landaise, la proximité d’une petite station balnéaire. Même si ce n’est pas absolument paradisiaque, rien d’un contexte digne des Enfers. Des drames, des crimes se produisent aussi dans des décors rassurants tels que celui-là, ne nous leurrons pas. C’est certainement un des messages que nous transmet l’auteur. Il nous raconte une histoire sous tension, autour d’une femme volontaire marquée par le destin, risquant de devenir hargneuse. Que nous ne haïrons probablement pas, finalement. Car il s’agit ici d’un portrait terriblement humain.

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