Il pleut dru sur New York en ce matin de mars. Quelques heures plus tôt, un homme a été tué d'un coup de pic-à-glace dans un club coûteux du Village, ni un endroit sélect, ni un boui-boui. La police est sur place. La victime était le révérend Jonathan Prentis, âgé de cinquante-et-un ans. Originaire de l'Arkansas, cet évangéliste baroudeur prêchait afin de sauver les âmes en perdition face à tous les vices. Il avait passé trois semaines à New York. Il venait d'animer un dernier meeting au Madison Square Garden, pour cent quatre-vingt-seize personnes. Il devait poursuivre les jours suivants à Chicago. Le lieutenant Nathan Shapiro et l'inspecteur Tony Cook, de la Criminelle Sud, mènent l'enquête. Selon le serveur français, le révérend Prentis était habillé “en civil”. Il est arrivé seul, mais plus tard une jolie blonde se trouvait avec lui dans son box. Plusieurs whiskies ont été consommés, alors que l'ecclésiastique prônait l'abstinence. Fils de rabbin, le lieutenant Shapiro n'est ni à l'aise dans ce contexte chrétien, ni sûr d'être à la hauteur face à cette affaire. Tony Cook espère des infos grâce à son amie Rachel Farmer. La police investit le QG du révérend, un étage de l'Hôtel Wexley. Higgs, adjoint dévoué de Prentis, répond aux questions de Shapiro. Le décès de “la Voix” ne sera pas sans conséquences. Mme Hope Prentis, une blonde trentenaire, n'a pas vu son mari depuis six heures du soir, la veille. Enrhumée, elle est sous médicaments. Mme Prentis est la sœur du trésorier de la “Mission de la Rédemption”, raison sociale de cette société religieuse. Ils engagent des chorales de pros pour leurs réunions évangéliques, dont vingt-quatre permanents qui ont des alibis. Après le chef de chorale, Shapiro rencontre la mastoc et rigoriste Mme Mathews, économe de la Mission. Tony Cross enquête dans un autre hôtel de luxe, sur la Cinquième Avenue, non loin du Village. Prentis y a séjourné seul avant ses prestations, fin février. Un client courtois sans histoire, ne fréquentant pas le bar de l'hôtel. Néanmoins, rien n'exclut qu'il ait reçu une femme dans sa chambre. Tony Cook pensait avoir une piste du côté de la choriste Janet Rushton. Elle vient d'être assassinée, étouffée dans son appartement. Arthur Minor, son chevalier servant, n'est sûrement pour rien dans la mort de Janet. Possible que ce soit elle, la blonde vue avec le révérend au club. Possible qu'elle lui ait servi de “guide” dans la préparation de ses réunions évangéliques new-yorkaises. Ça reste à confirmer. Quant à la très pieuse Hope Prentis, des dates de voyages aériens posent question. Le témoignage du nommé Rex Prince aidera sans doute Shapiro et Cook, avant de présenter leurs conclusions à Cornélius Ogden, le délégué du District Attorney... C'est une enquête policière traditionnelle et de belle qualité que nous propose “La mort du prêcheur”. À l'évidence, c'est son contexte qui lui donne sa place dans la Série Noire. La victime est un de ces évangélistes médiatisés, à l'époque surtout par les journaux, qui se servent d'un supposé charisme pour répandre leur version de la foi religieuse. Un peu de séduction, une dose de fanatisme, des discours enflammés, des mises en scènes à grand spectacle, ces révérends plus ou moins autoproclamés soignent (encore aujourd'hui) leur bizness. L'activité de ces pasteurs génère des sommes très importantes, dons déductibles des impôts, même s'ils affectent de ne pas s'intéresser à l'argent. Croyance sincère ? C'est possible, mais beaucoup de ces groupuscules religieux ressemblent fort à des sectes. Un double crime d'ordre privé ou en lien avec la “Mission de la Rédemption” ? On le verra à l'heure du dénouement. La plupart des romans de Richard Lockridge (1898-1982) écrits avec sa femme Frances Lockridge (1896-1963) ont été publiés en France chez Le Masque : dix-huit sur vingt-deux titres, loin de la totalité des œuvres de ce couple productif. On connaît mal la série qui fit leur gloire aux États-Unis, les enquêtes de Mr et Mrs North. Seuls cinq titres, dont “Mort d'un géant” (Albin Michel, 1954), “L'essence du drame” (Fleuve Noir, 1984) et trois autres au Masque ont été traduits. Deux suspenses de Richard Lockridge sont sortis dans la Série Noire : “La mort du prêcheur” (1971) et “Le bavard silencieux” (1973). Le lieutenant Nathan Shapiro fut pourtant le héros d'une dizaine de romans, dont “Un rai de lumière” (Le Masque, 1978), seule autre histoire traduite dans cette série.
Une autre lecture duLa Mort Du Prêcheurde PAUL MAUGENDRE |
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Freach no more - 1970. Traduction de Denise May N°1444. Parution octobre 1971. 256 pages. Faites ce que je vous dis, mais pas ce que je fais ! Le célèbre pasteur évangéliste Jonathan Prentis a été retrouvé mort, assassiné d'un coup de pic à glace, dans une boîte de nuit. Lui qui prêchait la vertu, dénonçait les méfaits de l'alcool et du tabac ! Cook et Shapiro de la Brigade Criminelle ne peuvent que constater que Prentis avait dérogé à ses pieux principes en buvant au moins quatre whiskies en compagnie d'une jeune femme blonde. A l'hôtel où la mission logeait temporairement, Higgs, l'adjoint de Prentis, ne peut en croire ses oreilles. Cependant il se retranche un peu trop derrière l'humilité, avouant aider Prentis dans la rédaction de ses sermons, de ses articles paraissant dans des magazines, laissant tout le mérite de l'inspiration à l'évangéliste, la Voix comme était surnommé Prentis. La Voix a été découvert habillé en costume de ville, tenue pour le moins inhabituelle chez lui. La petite amie de Cook ayant eu l'occasion de fréquenter l'une des nombreuses choristes embauchées lors de la venue de Prentis pour mettre en valeur ses sermons, le policier se rend chez la chanteuse. Il trouve porte close. Pas étonnant celle-ci (la chanteuse, pas la porte !) a été assassinée, étouffée par un oreiller. Détail troublant, la jeune choriste, une belle blonde qui s'avère être celle vue en compagnie du prédicateur, repose sur son lit, sa robe soigneusement lissée sur ses jambes. Cook et Shapiro se partagent les tâches. Ils interrogent les membres de la congrégation religieuse : madame Prentis, blonde, cadette de vingt ans du prêcheur, Farmington, responsable de l'embauche des choristes et ex-chanteur d'opéra, Higgs, l'adjoint-nègre en écriture, madame Matthews, l'intendante, et monsieur Pruitt qui n'est autre que le frère de madame Prentis et responsable de questions diverses. Les différentes déclarations recueillies par les policiers sont édifiantes. Ainsi la veuve, enrhumée et ayant soi-disant avalé un somnifère le soir du meurtre, a pris l'avion pour se rendre de l'Arkansas, siège social de la confrérie, jusqu'à Saint-Louis, le dimanche 22 février, puis effectué une retraite dans une mission proche de New-York. Détail banal en apparence mais en contradiction avec les sentiments religieux de madame Prentis qui d'habitude ne fait rien le dimanche, pas même de voyages. Autre détail qui décante cette enquête, madame Prentis n'avait plus fait l'amour avec son mari depuis qu'elle avait appris qu'elle était stérile. Le péché de chair n'ayant aucune raison d'être puisqu'elle ne pouvait procréer. Quant à l'évangéliste, il se rendait régulièrement en reconnaissance dans les villes dans lesquelles il devait prêcher, une semaine ou deux avant le gros de la troupe, afin de se tremper dans l'atmosphère délétère de la cité à purifier. La mort du prêcheur nous invite à une incursion dans l'univers des évangélistes, un univers régit, quoi que l'on pense, par les biens matériels. Il faut bien vivre certes, mais certaines contributions forcées relèvent plus du pot de vin ou du chantage que de la donation. Ainsi Farrington, qui engage les choristes au taux de cinquante dollars par jour - c'est l'intendante qui règle les cachets - leur demande une participation de dix pour cent pour alimenter les caisses de l'Eglise de la Rédemption. Et chacun doit glisser, dans l'enveloppe sur laquelle le nom du donateur figure, cinq dollars et déposer son obole dans une urne. Prentis n'était peut-être pas au courant de ce prélèvement, ayant d'autres chats à fouetter. Ce roman honnête pêche cependant par le style. Nos professeurs de français nous exhortaient à écrire des phrases courtes, de préférence à de longs développements. Ici nous avons droit à un style télégraphique, surtout dans les dialogues. Citation: Personne n'a intérêt à aller raconter un mensonge qui peut être démasqué immédiatement. Curiosité : Richard Lockridge a principalement écrit en duo avec sa femme Leslie décédée en 1963.
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