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JEROME LEROY |
L'ange GardienAux éditions SERIE NOIREVisitez leur site |
402Lectures depuisLe mercredi 17 Septembre 2014
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Une lecture de |
L'Unité est une organisation qui, depuis les débuts de la 5e République, n'existe pas. Quel que soit le régime, son rôle est d'éradiquer ceux pouvant être nuisibles à la démocratie. Limiter le foutoir dans notre société en déséquilibre. Voilà trente ans que le sexagénaire Berthet est un des exécuteurs au service de l'occulte Unité. Souvent agissant seul, comme quand il élimina un trésorier-payeur-général du Bloc Patriotique. Parfois en trio avec Couthon et la redoutable Desmoulins, telle cette mission visant des personnages du Moyen-Orient. Supprimer des citoyens lambda, à l'occasion, ce qui est plus embarrassant pour Berthet. Les ordres viennent de Losey, qui n'a rien d'un simple bureaucrate de ministère, sans doute présent depuis les débuts de l'Unité. Quand il n'est pas en mission, Berthet privilégie la poésie et le bien-vivre, profitant d'une de ses multiples planques. Alors qu'il séjourne à Lisbonne avec son amante noire, Amina, Berthet s'aperçoit qu'on veut l'assassiner, à son tour. Peu surprenant pour lui, car la modernisation de l'Unité est en cours. On aurait juste pu sélectionner des tueurs plus reluisants. Barbouzerie foireuse. S'il a été décidé de tuer Berthet, ce n'est pas tant une question d'âge ou parce qu'il en sait trop. Depuis une vingtaine d'années, en parallèle des opérations pour l'Unité, Berthet protège une gamine originaire d'un quartier modeste de Roubaix. Les plus mesquins l'ont cru pédophile, alors que ses sentiments sont purs. Berthet a senti le potentiel de la jeune fille, l'a accompagné sans se faire remarquer dans sa progression politique. Kardiatou Diop est désormais une politicienne incontournable, la secrétaire d’État préférée des Français. Raison de plus pour la protéger encore et toujours, au risque de se faire tuer à Lisbonne. Compagnon de la prof Hélène Rieux, ancien enseignant lui-même, Martin Joubert est un pigiste de l'édition. Âgé de près de cinquante ans, il avoue un bilan déprimant. Même si son jeune ami et agent Alex Guivarch lui soutient le moral. Écrire des pornos pour mémés, publier des chroniques sur un site Internet extrêmement droitier, et maintenant se voir proposer la rédaction d'un livre destinés aux fachos, ça devient impossible. Refuser la toute dernière offre, c'est même se mettre en danger pour Alex et lui. Les nazillons Gruber et Delrio font appel à Stanko, le n°1 de la sécurité au Bloc Patriotique, pour dérouiller avec ses sbires ces récalcitrants. C'est alors qu'intervient Berthet. Car Berthet a besoin de Martin Joubert. Il lui faut un écrivain pour raconter noir sur blanc toute la vérité sur l'Unité. Pour garantir la sécurité de Kardiatou Diop, tout en se protégeant lui-même, grâce à ses révélations. La très populaire secrétaire d’État est candidate à Brévin-les-Monts, face à la leader du Bloc Patriotique. Berthet sent que c'est un coup fourré de l'Unité, une manœuvre qui pourrait conduire à de sérieux ennuis pour Kardiatou. Après élimination de quelques skins, Berthet et Martin Joubert entrent en clandestinité, dans les parages de Brévin-les-Monts… Saint-John Perse (1887-1975), à la fois poète et diplomate, a écrit : “La démocratie, plus qu'aucun autre régime, exige l'exercice de l'autorité.” En effet, la stabilité politique se doit d'être encadrée par des institutions solides. Pas de méthodes répressives à l'exemple des dictatures, pas d'oligarchie élitaire concentrant les pouvoirs, la démocratie consiste à faire appliquer un respect des règles communes pour le bien de tous. Que reste-t-il donc de ce simple principe dans nos sociétés ? Sont-elles gangrenées par des réseaux occultes, par la propagande aujourd'hui appelée communication, par la parole décomplexée autorisant à insulter tout adversaire, par l'immédiateté interdisant de réfléchir plus loin ? Vaut-il mieux désigner une bourgade du Limousin comme repaire de terroriste, afin de faire oublier aux citoyens que nos supposés dirigeants de tous bords ne sont plus que des comptables ? Non, Jérôme Leroy ne pose pas ces questions dans ce roman. Pourtant, elles sont là, juste derrière la carrière de tueur de Berthet, le quotidien déprimant de Martin Joubert, ou l'ascension politique de Kartadiou Diop. Le train de la démocratie a déraillé depuis longtemps, il cahote hors de la voie tracée, et nous faisons comme si tout allait bien. On veut croire à un renouveau, à une courageuse ministre de la Justice, à une Rama Yade ou une Najat Vallaud-Belkacem rayonnantes. Même si l'hystérie populiste gagne du terrain. Berthet est de ceux qui défendent cet espoir jusqu'au bout. Alors, ces officines secrètes genre l'Unité, ces think tank (ou laboratoires d'idées, c'est plus joli), ces économistes et politologues disant tout et son contraire, on s'en débarrasse quand ? Sans doute jamais, car “La démocratie exige l'exercice de l'autorité”. Jérôme Leroy illustre toutes ces failles de nos sociétés, ces errements et ces approximations. Et nous rappelle que, si la poésie n'a pas de valeur marchande, elle permet de se sentir quelquefois plus apaisés. |