Young TripJean Pierre Arrio et Lesa PietriAlbiana Collection Nera 2012Une ballade en Ford Mustang, ça vous dit ? Une longue virée sinueuse, du Nouveau Mexique au Mississipi, Albuquerque et le Rio Grande, à la recherche mythique de la rivière. LA rivière, celle qui réconcilierait les deux passagers qui ne se parlent guère.Elle c’est Rosa, la belle métis d’Indienne. Lui, on ne sait pas son nom… Lui seul parle. Ils roulent, et roulent encore, le blues les accompagne. Ils s’arrêtent dans des motels. Rosa ne répond pas au long monologue dont suinte la tristesse de la vie déglinguée, la panique aussi, progressive… Une vie éclatée, et ses morceaux qui volent dans les airs, au bord de la longue, longue, route…Le texte de Jean-Pierre Arrio, syncopé comme une phrase de blues, délivre son mystère et sa détresse par pan successif, répondant aux photos de Lesa Pietri. Dans ces quelques soixante pages, à la construction et à l’impression soignée, des images d’un quotidien poignant illustrent l’infinie solitude de l’amour qui se meurt, créant un contrepoint tout à la fois troublant et intriguant au texte qui mord l’imaginaire du lecteur…Je ne connais, ces dernières années, qu’un seul exemple d’un mariage aussi surprenant de la photographie et de la littérature noire : c’est Mine de Rien, d’Hugo Miserey et Max Obione dans la collection Noircitudes, aux éditions Krakoen.Dans les deux cas, l’édition très soignée d’un livre léger à prix démocratique fait la démonstration de la vitalité de la littérature noire.La petite édition, oui, renferme décidément de grands talents.
Une autre lecture duYoung Tripde PAUL MAUGENDRE |
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Down by the river… Et on the road again ! A bord de ma Ford Mustang 67, je traverse les états du Sud, un nouveau voyage de noce avec ma femme Rosa. Dans l’habitacle résonne en boucle Down by the river… A l’Ouest toute ! A l’Ouest rien de nouveau a écrit un romancier, je ne sais plus qui. Il avait dû mettre sa boussole à l’envers, il y a toujours quelque chose de nouveau à l’Ouest. Le désert. Clovis direction Gallup. Derrière nous Albuquerque où j’ai mangé seul mes enchilaladas, à peine touché à mon cheese-cake à la framboise et bu mon café. Seul à table. Rosa n’avait pas daigné m’accompagner. Faisait sûrement la tête, ou alors trop fatiguée. Pourtant elle devait avoir chaud. La Mustang n’est pas climatisée. D’ailleurs elle dort beaucoup je trouve. Mais on échange quand même des paroles. Enfin c’est surtout moi qui alimente la conversation. Au moins elle a la politesse de ne pas m’interrompre. Elle a peut-être la tête ailleurs. Faut avouer que depuis Atlanta, j’ai pas traîné en route. Petits villages, bourgades miteuses, banlieues de grandes villes, rivières rocailleuses, stations-services décrépîtes, prairies, pipelines, désert… Mississippi, Arkansas, Oklahoma, Texas… Mississipi. Nous nous sommes arêtes à Verona. Oui, Verona, comme Vérone, la cité des deux amants. On y a passé la nuit dans une remise à outils transformée en chambre. D’amour ? Non, de repos. Avec entre nous deux des barquettes d’ailes de poulet grillées. A propos de poulet, on a rencontré des flics sur la route. Je leur ai grillé les ailes. N’avaient qu’à pas se pencher par la portière et à renifler les cheveux bruns coiffés en lourde tresse de Rosa. Désolé, pas le temps de parler plus longtemps, donnez-moi l’addition, Rosa m’attends, j’aime pas la savoir seule… Musique country en fond sonore, blues à l’âme, Neil Young en témoin improvisé de la longue glissade de la Ford Mustang 67 vers l’Ouest… Just married ! Young trip est une road story façon Sailor et Lula, en moins juvénile, en moins insouciant, en plus ramassé. Le narrateur est mature et pourtant il se conduit comme un gosse qui se marie pour la seconde fois avec la même femme. Il effectue un pèlerinage en quelque sorte, une pénitence, une réparation, une mortification. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Et comme si l’attention du lecteur devait être détournée, afin qu’il ne réfléchisse pas trop et décide lui aussi de prendre la route, les photos de Lesia Pieti s’imposent, reconstituant à leur manière l’histoire. Un bel ouvrage dont les pages noires reflètent l’état d’esprit du narrateur et dont l’iconographie apporte une sensation de légèreté. Une page de texte, une page photo, le chaud et le froid qui souffle sur la route I-40, parallèle à la mythique 66 durant de nombreuses centaines de milles. Mais il est dommage que ce roman-nouvelle soit si court… Quoique ce ne soient pas le nombre de pages qui donne sa valeur… littéraire à un texte.
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