Commençons par le début. Il était une fois 68 ; il était une fois une jeunesse révoltée… Mais ne perdons pas de temps et venons-en au dénouement, puisque jeunesse passe et « Que rien ne t'arrête Auguste retraite. » De 68 à 2012, la route a été longue, fastidieuse et fatigante… il a bien fallu équilibrer le poids de l’âge en s’allégeant de quelques idéaux. Martin Martin, surnommé le gamin en ces temps lointains, a rejoint d’obscures officines du Capital spécialisées dans la lutte contre les intérêts du prolétariat, en d’autres termes dans la défense du monde libre. Mais voilà qu’en cette veille d’élection présidentielle – qui comme chacun le sait maintenant verra la défaite du sortant Marcoussy- le pouvoir en place décide qu’il est devenu un danger pour la République. En des termes plus directs, Marcoussy ordonne l’exécution de Martin Martin et charge l’un de ses hauts fonctionnaires et admirateurs d’organiser l’opération. Vous l’aurez compris, l’opération tourne au désastre et les bataillons de tueurs en uniforme ne peuvent rien contre ce Martin Martin qui n’est plus un gamin et qui a séjourné quelque temps dans la Légion. Pour autant l’ex-combattant de la révolution mondiale n’est pas tiré d’affaire puisque c’est toute la machine d’Etat qui le désigne à la vindicte populaire comme étant un terroriste actif. Alors, celui qui maintenant est devenu la cible parce qu’il en sait trop, n’a pas d’autres choix que de tenter de réactiver de très vieilles amitiés et de s’abriter simultanément sous le parapluie de la presse. Voilà les raisons qui le conduisent à contacter Auguste et à se glisser dans la couche de Lou… Ce premier polar d’Hugues Leforestier met en scène des personnages de fiction, que chacun identifiera facilement. Ceci étant, chacun conviendra qu’ils évoluent dans un univers fictif que tissent des faits et des comportements réels. Il ne restera plus, à chacun, qu’à choisir vers qui va sa sympathie : à l’ex-théoricien de « Vers la guerre civile » ou à ex-partisan du Comité pour la Reconstruction de la Quatrième Internationale (CRQI) Pour ma part, elle ira vers l’esprit frondeur de ce nouveau venu dans le monde du polar qui d’évidence a fréquenté quelques conseillers tant il sait en rendre toute la morgue.
Une autre lecture duRéseau D'étatde PAUL MAUGENDRE |
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… Les fuites existent avant toutes les élections ; c’est même le meilleur moment pour abattre les candidats en montrant les cartes qu’on a contre eux. Alors que la France vit à l’heure des élections présidentielles, des événements qui passent d’abord inaperçus du grand public mais seront diffusés par la suite, se déroulent dans l’ombre. Un homme est désigné comme la cible du pouvoir et toutes les polices françaises le traquent. Il parvient à s’échapper de la souricière dans laquelle les forces de l’ordre voulaient l’enfermer et quitte la région du Doubs où il se cachait, et se rend à Paris. Il renoue avec l’un des ses anciens comparses, Auguste, devenu le patron d’un journal dit de gauche, La Liberté. Pendant ce temps, dans un restaurant huppé, Mariono, qui est au parfum, doit déjeuner en compagnie de Lou, une journaliste, afin de lui communiquer de soi-disant informations sur une opération en cours. Mais il est interrompu dans son approche par un appel téléphonique de l’Elysée. Mariono est un conseiller spécial du président Marcoussy. La cible, plus connu sous le sobriquet de Martin Martin, a fréquenté dans les années soixante-dix un groupe de trotskystes, dont Auguste mais également l’ancien Premier Ministre Jansen. Pourchassé, Martin Martin est considéré comme l’homme à abattre car possédant selon toutes vraisemblance un dossier brûlant, mais les tensions entre Mariono et Bauman, responsable de la sécurité, sont vives. Chacun désirant s’approprier les bonnes grâces de Marcoussy. Arrivé à Roissy, Martin Martin parvient une fois de plus à filer à l’anglaise au nez et à la barbe des policiers chargés de l’appréhender. Penser à mai 68 ainsi qu’aux débuts de son journal La Liberté, offrent une seconde jeunesse à Auguste qui fait appel à ses anciens compagnons de combats. Ces anciens gauchistes, des trotskistes mais également des maoïstes, sont devenus banquiers, producteurs et autres personnages influents de la vie économique et culturelle française. Bien installés dans un statut de parvenus, ils ne peuvent résister aux sirènes du passé. Les petits coups tordus entre Mariano et Bauman, afin de démontrer au président qu’ils sont à ses bottes, qu’ils ont bien compris ses directives, engendrent erreurs, loupés et bavures. Avec pour résultat quelques uniformes sur le carreau. Et comme il faut une belle femme dans le récit, une journaliste pour changer des espionnes, la très belle Lou de Fontaines apporte sa pierre pour consolider l’édifice. Comme si cela ne suffisait pas, de nombreuses références à la Centrafrique et à Foccart, le Monsieur Afrique de gouvernements précédents, sont disséminées, et l’on ne s’étonnera pas que la CIA et le MI6 soient évoqués. Ce roman de politique-fiction, à l’intrigue tortueuse comme les arcanes de la politique, vaut tout autant par les nombreuses péripéties et l’histoire en elle-même, que par les personnages qui en constituent le socle. Malgré l’avertissement au lecteur : Toute ressemblance, bla, bla, bla…, aussitôt corrigée par celui-ci : Ce roman est une fiction, inspirée par des faits et des personnages bien réels, les lecteurs reconnaitront sous les patronymes d’emprunt quelques personnages qui gravitent dans la sphère nébuleuse du pouvoir. Bauman est ainsi décrit : Saluant les uns et les autres d’un hochement de tête ou d’un sourire évasif, il se satisfaisait de m’être aimé de personne mais connu de tous. Quant à Marcoussy c’est de cette façon que l’auteur le présente : Marcoussy fit son entrée, séparant d’un coup la soirée comme les flots du Jourdain en deux groupes inégaux : ceux qui croyaient en sa réélection et les autres. Des applaudissements s’élevèrent. Marcoussy, rompu à l’exercice, savait que les plus enthousiastes étaient ceux qui l’aimaient le moins : il l’avait fait avant eux, encensant tous les gens de pouvoir et les méprisant d’autant plus qu’il louait leurs qualités. Plus loin, dans une conversation, le lecteur apprend, s’il ne le savait pas déjà : Marcoussy, il était dans le bouillon en 95 après s’être trompé de candidat aux présidentielles. C’était un paria, personne n’en voulait dans son parti. Jansen, qui a lamentablement échoué lors d’une élection présidentielle précédente, est issu des milieux trotskystes. Aussi, lorsqu’un journaliste, ami de Lou lui déclare : Je n’ai pas voté pour vous, vu que je suis de gauche, mais j’ai été ravi de vous rencontrer. A quoi Jansen rétorque, peu amène : Mais je suis socialiste ! Et le journaliste d’enfoncer le clou : C’est bien ce que je dis. Seulement l’auteur, parfois mélange les pièces du puzzle, fusionnant à ses personnages dont on est sûr d’avoir reconnu les portraits, les traits d’autres politiciens, ou amalgamant sciemment les dates sans les dévoiler. Le Caveau de la République dont Hugues Leforestier est l’actuel directeur, est un cabaret parisien renommé pour l’esprit frondeur qu’il professe à l’égard des personnalités politiques de la scène française. Des humoristes, des satiristes, des chansonniers, qui ne mâchaient pas leurs mots mais sans user pour autant de vulgarité mais avec férocité, s’y sont produits : Edmond Meunier, Robert Rocca, Jean Valton, Maurice Horgues, Anne-Marie Carrière mais aussi Pierre Dac, puis Patrick Sébastien, Jean Roucas, et quelques autres qui y firent leurs débuts. Et dans son roman Hugues Leforestier prolonge cet humour corrosif, et parfois on croit lire un feuilleton que l’on pouvait lire dans le Canard Enchaîné du temps de Gaulle: La Cour, puis après le départ du général, La Régence. Hugues Leforestier perpétue cet esprit frondeur dont on a bien besoin de temps en temps pour se rendre compte qu’on existe toujours en tant qu’êtres humains et non pas comme des pions que l’on peut manipuler sans vergogne.
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