Vous connaissez tous la chanson d’Alain Souchon, J’ai dix ans ? Le narrateur lui aussi a dix ans, mais il ne se contente pas de casser la gueule à la récré. Il tue. D’abord, sa mère, à sa naissance, mais ça ne compte pas. Puis son demi-frère, laissant croire à son père et à sa nouvelle mère que c’est un accident de balançoire. Puis c’est la maîtresse d’école qui subit sa vindicte. Officiellement elle est tombée sur un coin de son bureau. En réalité, il s’est aidé d’une pierre. De toute façon il a agit en toute impunité, car il sait que ses copains ne diront rien. De toute façon, c’était pas une vraie maîtresse d’école, pas une vrai école non plus et ils n’étaient que quatre élèves. Lui, Laurie, Adrien et Marcus. Mais Marcus ne compte pas car il est noir. Donc la maîtresse d’école est enterrée dans la maison de bois avec la croix, et fait exceptionnel, le curé, qui est vieux, ne passe pas une cassette, mais lit un texte. Faut dire que dans le village à eux, ils ne sont pas nombreux. Faut presque compter sur les doigts des mains. Il y a le narrateur, son père et sa nouvelle mère. Y a Laurie et ses parents, dont la mère ne fait rien de la journée sauf qu’à crier comme les loups. Et le père qui halète le soir dans la chambre de Laurie. Y a aussi la catin que le père d’Adrien va voir, un soir sur deux, tandis que c’est le père du narrateur qui lui rend visite les autres soirs. Y’a aussi les parents de Marcus, mais eux ils ne comptent pas, puis l’épicière qui a un chat. Toutes les semaines le facteur passe, apportant les cassettes et les pensions des trois couples blancs. Les parents de Marcus eux ne touchent rien. Une vie tranquille, en autarcie, et au-delà des collines, le monde. Un monde que le narrateur découvre le soir avec son livre qu’il planque sous son lit. Un roman dur, poignant, qui révèle toute la détresse d’une certaine frange de gamins, d’hier ou d’aujourd’hui. Le narrateur vit dans un village peuplé d’une quinzaine de personnes, mais il serait dans une HLM, ce serait pareil. Ses pensées sont la destruction des autres, pourquoi, il ne le dit pas mais c’est devenu une obsession. Une forme de liberté guère rassurante pour les adultes qui ne comprennent pas les attentes et les obsessions des gamins. Peut-être un peu d’amour, de présence. C’est un bouquin qui ne doit pas être lu par des gosses, même s’il dépeint leur mode de pensée. Les temps ont bien changé, ou bien on ne se rappelle plus de quoi étaient faits nos aspirations, nos souhaits, nos colères, nos rancœurs lorsque nous avions l’âge du narrateur. Un livre court, ramassé, dur, qu’on aimerait lire comme un conte, mais qui n’est peut-être qu’un reflet de la vie.
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