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PIERRE LEMAITRE |
Robe De MariéAux éditions CALMANN-LEVY SUSPENSEVisitez leur site |
3346Lectures depuisLe mercredi 6 Janvier 2010
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Une lecture de |
Âgée de 28 ans, Sophie Duguet reste perturbée depuis le décès de son mari Vincent. Même avant l’accident qui laissa celui-ci impotent, la vie de Sophie était désorganisée, elle commençait à ne plus maîtriser son existence. Aujourd’hui, elle est employée par la famille Gervais. Elle garde leur fils Léo, six ans. Un matin, Sophie découvre l’enfant mort dans sa chambre. On l’a étranglé avec un lacet d’une chaussure appartenant à la jeune femme. En l’absence des parents, égarée, Sophie ne sait comment réagir. Elle prend la fuite, espérant trouver la force de se concentrer. Bien que la situation lui paraisse irréelle, elle n’exclut pas un acte inconscient de folie. Elle a tué cet enfant. Sophie prend quelques affaires chez elle, passe à sa banque. À la Gare de Lyon, où on lui a volé sa valise, elle sympathise avec Véronique, qui lui vient en aide. L’ayant suivie à son domicile, Sophie est prise de vertige. C’est dans cet état qu’elle tue Véronique. Sa cavale se poursuit sous l’identité de sa victime, puis sous d’autres noms. Huit mois plus tard, on ne l’a toujours pas retrouvée. Elle n’a jamais contacté son père, sa seule famille. Employée dans un fast-food, elle se fait appeler Juliette. Sophie pense avoir trouvé une solution pour obtenir définitivement une identité solide. Elle contacte un fournisseur de faux-papiers, dont le tarif est cher, très cher. Elle s’arrange quand même pour réunir la somme demandée. La voilà en possession d’un acte de naissance au nom de Marianne Leblanc, qui n’est valide que quelques mois. Sophie s’est adressée à des agences matrimoniales. Sous son identité de femme mariée, il ne sera quasiment plus possible de la retrouver. Elle ne vise pas l’époux idéal. Même ce sergent-chef, ennuyeux et transparent, si facile à séduire, finit par lui convenir. Il ne se montre pas indiscret sur le passé secret de la jeune femme. Ce Frantz Berg n’est pas aussi insipide qu’elle le craignait, constate-t-elle après leur mariage. Malgré la stabilité que lui apporte Frantz, l’état de santé de Sophie se dégrade à nouveau. Elle est toujours hantée par la mort de Vincent, dont l’accident de voiture puis le suicide n’ont jamais été éclaircis. Dans ses cauchemars, Sophie entend voix de ses victimes. Malgré l’apaisante présence de Frantz, minée par l’angoisse et la fatigue, Sophie s’étiole. Elle fugue, se comporte en suicidaire… Il est vrai que ce résumé ne dévoile pas l’intégralité de l’histoire. Il ne s’agit que du parcours de Sophie, entre fuite et démence. Dans l’ombre, un autre protagoniste joue un rôle capital. En proie à d’étranges obsessions, ce dernier fait preuve d’une lucidité perverse. Sans doute peut-on lire ce roman tel qu’il nous est raconté. Mais une lecture distanciée, sans chercher une totale empathie avec Sophie et les divers personnages, est probablement préférable. Car les détails qui nous sont révélés, et ceux que l’on nous laisse deviner, sont les pièces d’un puzzle démoniaque. Même quand l’image finale parait devant nous, le suspense subsiste jusqu’au dénouement. C’est un scénario digne des meilleurs films d’Hitchcock qu’a concocté là Pierre Lemaitre. Passionnante serait un faible terme pour qualifier cette intrigue d’une très belle intensité. Après “Travail soigné”, primé au festival de Cognac, “Robe de marié” a reçu plusieurs prix mérités en 2009, au salon Sang d’Encre de Vienne et à celui de Montigny.
Le cerveau de Sophie est constitué de petits cubes, comme ceux avec lesquels jouent les bambins. Des cubes que l’on peut empiler afin de construire une pyramide, ou emboiter les uns dans les autres. Sauf que dans le cerveau de Sophie, elle a beau essayer de les placer dans un sens ou dans un autre, elle n’arrive à rien. Depuis quelques mois elle perd ses objets, des cadeaux destinés à un anniversaire, elle les retrouve ailleurs, là où elle n’aurait jamais pensé les déposer, ce qui amène des tensions dans son couple. Elle a des absences mentales, croit avoir provoqué la mort de sa belle-mère et de son mari handicapé suite à un accident. Elle n’a aucun souvenir de ses actes, pourtant elle avait consigné dans un carnet ses gestes, comme le lui avait préconisé un psy. Mais le carnet a disparu. Une perturbation mentale qui lui joue des très mauvais tours, comme ce matin où elle se réveille et découvre dans son lit le petit Léo, ligoté et étranglé. Elle a été obligée de démissionner de son travail et a pris un emploi de nurse, gardant Léo, un enfant de six ans. Panique à bord. Elle n’a plus rien à se raccrocher, pas même à Valérie, sa meilleure copine à qui elle avait raconté par mails ses malheurs, les trop nombreux incidents qui émaillent sa vie, qui l’a délitent. Elle fuit, et afin de mettre tous les atouts dans sa manche, elle change de nom. Elle va même jusqu’à se remarier, trouvant dans une agence matrimoniale l’époux qui devrait pouvoir lui permettre de se reconstruire. Mais peut-on échapper à son destin lorsque celui-ci est non seulement écrit mais téléguidé, lorsque les cartes sont biseautées ? Si les ombres d’Alfred Hitchcock et de Brian de Palma planent sur cette histoire particulièrement machiavélique, comme le signale la quatrième de couverture, je pencherai plutôt pour invoquer les références littéraires, par exemple William Irish, Boileau-Narcejac ou encore G.J. Arnaud. Une forme d’hommage au talent de Pierre Lemaitre à installer un climat d’angoisse et de psychose, une atmosphère diabolique, une sombre histoire de harcèlement et de vengeance puisée dans un quotidien constitué de peur, de crainte, de prémices de folie orchestrée savamment. Car Pierre Lemaitre ne se contente pas de relater les déboires de Sophie, oserais-je écrire les malheurs de Sophie, il met en scène deux personnages qui s’affrontent plus ou moins ouvertement, et dont les motivations sont issues d’un drame familial. La deuxième partie, qui est constituée de notes écrites dans un agenda, éclaire en partie l’intrigue, mais l’épilogue est savamment agencé, orchestré, et ne laissera de glace aucun des lecteurs. Un roman qui a reçu de nombreux prix notamment au festival Sang d’encre de Vienne en 2009, prix qui sont largement justifiés. Et croyez-moi, il n’y a pas de faute d’orthographe dans le titre. |
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