|
|
SYLVAIN KERMICI |
Hors La NuitAux éditions SERIE NOIREVisitez leur site |
822Lectures depuisLe mercredi 10 Decembre 2014
|
Une lecture de |
Vous avez perdu vos parents dans un laps de temps finalement assez court, trois ans. Crise cardiaque pour l'un, Alzheimer pour l'autre, imparable et ordinaire. Votre frère aîné Antoine n'a pas paru plus ému que ça. Ensuite, votre trajet pour rentrer du boulot sous la pluie vous semble sale, morne, insipide. Une halte dans un bistrot où l'on ne vous connaît pas ne vous requinque guère. Ça ne vous surprend pas. Enfin, vous regagnez votre logement loué depuis une dizaine d'années, resté anonyme. Autant que vous l'êtes aussi, transparent, au bureau vis-à-vis de vos collègues. Pour Noël, vous allez réveillonner chez votre frère et son épouse enceinte, Isabelle. Ça ne change rien à votre solitude, ambiance trop convenue malgré la sympathie de votre belle-sœur. Inadaptation au monde réel, vous savez bien que tel est votre cas. À cause de la fatigue au travail et de cette multitude croisée dans les rues, vous avez l'impression que votre appartement a été visité en votre absence. Vous n'imaginez pas qu'il s'agit de paranoïa. Vos photos de familles confirment douloureusement votre peu d'importance depuis toujours. Vous admettez être attiré par votre belle-sœur. Non pas pour le lien qu'Isabelle préserve avec votre frère Antoine. Juste parce que c'est elle, et qu'elle hante quasiment en permanence vos pensées. Vous vous interrogez sur la réalité des gens autour de vous, dans ce théâtre qu'est la rue. Vous vous débarrassez de votre téléphone qui sonne, mais auquel vous ne répondiez plus. Ainsi, vous coupez le contact avec Isabelle. Vous vivez tel recroquevillé dans votre appartement. Que vous videz bientôt de tout ce qui vous dérange, vous étouffe. Votre obsession envers Isabelle s'amplifie, image sans doute déformée. Dehors, vous y allez encore, malgré ces passants trop nombreux, obligé de vous frayer un passage. Vous utilisez le téléphone public d'un hall d'hôtel. Ce n'est pas à Antoine que vous voulez parler. Isabelle, sa voix au bout du fil, vous fait-elle toujours du bien ? Aller jusqu'à chez eux, clandestinement, peut-être. Aller jusqu'où dans votre isolement, dans votre tête ? L'auteur s'impose un double handicap. D'abord, il s'agit d'un court roman de cent pages. Le format “novela” ne convainc pas forcément, bien qu'il puisse s'avérer le mieux adapté à certains textes, comme ici. Ensuite, il est légitime de se poser des questions sur le côté “exercice de style” choisi dans ce cas. Très souvent, le résultat est abscons, creux, trop peaufiné au point d'en devenir artificiel, avec parfois une “déconstruction” outrancière du récit. On n'aborde pas sans méfiance un roman court cultivant une écriture particulière, il faut le reconnaître. La forme voulue par Sylvain Kermici offre, malgré la quasi-absence de dialogues, un vrai tempo à cette intrigue. Il ne tombe jamais dans le piège du “décousu”. Le pari est donc parfaitement réussi. Ce narrateur anonyme, mal dans sa peau et dans son quotidien, nous apparaît familier. On a connu un voisin ou un collègue comme lui. Ni antipathique, ni assez liant pour qu'on s'en fasse un ami. Est-ce lui qui s'écarte sur le passage des autres, ou l'inverse ? Est-ce qu'il fuit parce qu'il est trop timoré, se réfugiant certainement dans son espace privé ? On n'a pas à s'attarder sur le sujet. Fait-il une fixation sur une séduisante employée qu'il côtoie, sur une femme du voisinage ou de sa famille ? Son anonymat le rend pourtant asexué aux yeux des autres. Dans notre société du “socialement inséré”, aucune raison de redouter un dérapage criminel, un passage à l'acte. Néanmoins, le subconscient de chacun reste fort énigmatique. Le portrait d'un de nos contemporains, voilà ce que dessine Sylvain Kermici dans cette histoire à découvrir. |