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NATSUO KIRINO |
L'île De TôkyôAux éditions SEUILVisitez leur site |
1852Lectures depuisLe samedi 27 Avril 2013
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Une lecture de |
C'est une île perdue quelque part au large des Philippines. Elle est inhabitée, jusqu'au jour où Kiyoko et son mari Takashi y font naufrage. Plus tard, une vingtaine de jeunes Japonais vont y échouer à leur tour. S'ils envient le couple, qui a pu sauver des vêtements et autres biens matériels, les nouveaux venus s'organisent bientôt en hameaux. À part Watanabé, qui s'isole du côté de la principale plage de l'île. Tous ont baptisé ces lieux “l'île de Tôkyô”, adoptant un mode de vie mollasson. L'arrivée de onze Chinois naufragés ne perturbe pas longtemps les Japonais. Solidaires, s'installant dans un village qu'ils nomment Hongkong, les Chinois s'activent plus sérieusement. Ils font des échanges avec les Japonais, mais ne tissent de liens qu'avec Watanabé. Si les bidons sur la plage peuvent être radioactifs, ce dernier s'en est fait une maison. Les Chinois exploitent eux aussi les ressources de l'île. Au décès de Takashi, tombé du cap Sainara, Kiyoko est très convoitée en tant qu'unique femme de l'île. Âgée de quarante-six ans, elle reste séduisante. Successivement, elle va épouser le viril et violent Kasukabé, puis l'imbécile Noboru. Ces deux-là aussi ne tarderont pas à périr au cap Sainara. Au sommet de son prestige, Kiyoko va trouver un quatrième mari. Le tirage au sort désigne GM, qui semble pouvoir devenir un bon époux. Choqué à la suite du naufrage, celui que Kiyoko a renommé Yutaka est amnésique. Les Chinois ont façonné les bidons de la plage, afin d'en faire deux barques. S'ils n'ont pas l'intention de s'embarrasser de Watanabé, leur chef accepte que Kiyoko prenne la mer avec eux. Une expérience éprouvante pour la quadragénaire. Ayant dérivé, la barque des cinq rescapés chinois et de Kiyoko revient aborder l'île de Tôkyô, quelques semaines plus tard. Si Kiyoko prétexte un enlèvement, des choses ont changé ici. Ayant retrouvé la mémoire, Gunji Mori fait maintenant figure de meneur du groupe. En réalité, il simulait l'amnésie. Il a réquisitionné les biens de Kiyoko, dont la “maison” ressemble désormais à un dépotoir. Les Chinois ont disparu, créant discrètement un nouveau village. S'il est toujours proscrit, Watanabé ne doute pas d'avoir un jour sa revanche. L'aura de Kiyoko a nettement baissé auprès des Japonais. Toutefois, contre toute attente, elle découvre être enceinte, affirmant que Gunji Mori est le père du futur bébé. État maternel qui lui donne une certaine part de supériorité, à condition qu'on ne la prenne pas à l'avenir pour une mère-pondeuse. C'est Toshio, hanté par le fantôme de sa défunte sœur, qui a incité Gunji Mori a s'afficher en meneur. Certes, l'organisation est meilleure, mais les chances d'échapper à l'île de Tôkyô restent quasiment inexistantes... Évidemment, il ne s'agit pas strictement d'un polar. Un roman dans la lignée de “Robinson Crusoé”, c'est vrai pour l'idée initiale. Avec Vendredi, le héros de Daniel Defoe resta bien seul sur son île déserte. Ici sont rapidement réunis vingt-quatre Japonais, dont une femme, et onze Chinois. Très tôt, on évacue l'espoir d'un improbable sauvetage extérieur. Deux groupes, le début d'une petite société, qui se doit donc de gérer la situation qui s'est imposée à elle. Voilà ce que Natsuo Kirino, auteure confirmée et multi-récompensée, veut nous décrire. Si la tonalité est riche en nuances, l'observation de cette île n'est pas dénuée d'une cruauté légitime. Avec un certain humour, quand même. La mûre Kiyoko est au centre du récit, s'identifiant elle-même à cette “île mère” qui les abrite, passant par différents stades selon l'évolution de leur histoire commune. On suit également les cas singuliers de Gunji Mori, Watanabé, Yang et d'autres personnages majeurs. L'adaptation et la cohabitation ne sont pas aisées, dans cet étroit monde. On en écarte ceux qui le troubleraient trop, tel l'excentrique Watanabé (qui apporte une belle fantaisie à l'aventure) ou les hommes d'un hameau devenus distillateurs d'alcool. Chacun porte ses souvenirs autant que ses mensonges. Ambiguïtés et rapports de force sont de rigueur. Ils n'ont pas forcément conscience de se créer là une vie nouvelle, alors que les rites et traditions perdurent. Au delà des péripéties, l'ambiance s'avère vite fascinante. Un roman de qualité supérieure, à n'en pas douter. |