|
|
HERVE JAOUEN |
Le Vicomte Aux Pieds NusAux éditions PRESSES DE LA CITEVisitez leur site |
1361Lectures depuisLe jeudi 9 Mars 2017
|
Une lecture de |
C’est en 1895 dans le Pays Bigouden que débute l’épopée de la comtesse Hortense de Penarbily et de son fils Gonzague. Âgée de quarante-neuf ans, Hortense est veuve. En son manoir, elle maintient un certain standing en accueillant des hôtes payants. Gonzague et sa sœur Bérénice furent éduqués par une préceptrice galloise. À vingt-huit ans, bilingue, Gonzague s’affiche étudiant en droit. C’est surtout un fêtard, séducteur et dépensier. Sa mère est endettée, il l’est encore bien davantage. Va-t-il s’assagir en épousant une fille de la bonne société nantaise ? Non, il s’agit d’une filouterie au détriment de sa belle-famille. Qui ne tarde pas à porter plainte. Ce qui oblige Gonzague à quitter la France au plus tôt. Sur le paquebot à destination de l’Amérique, le jeune homme découvre une invention qui paraît promise à un bel avenir : le cinématographe. Gonzague s’installe quelques temps à New York. Si la métropole le fascine, il n’a pas les moyens d’investir dans la projection de films. Retour en Bretagne, pour solliciter la comtesse Hortense. Celle-ci n’est pas opposée à vivre l’expérience avec son fils. L’argent du futur mari de Bérénice permettra au duo de se lancer dans l’aventure. Les frères Lumière fournissent des films éducatifs, et ceux de Georges Méliès sont spectaculaires. L’incorrigible Gonzague y ajoute un film grivois. Et les voilà partis pour le Canada. Car c’est à Montréal qu’ils comptent s’établir. Grâce à un cousin consul de France, et avec la bénédiction d’un archevêque, une salle est aménagée pour la projection. La première séance est encensée par le journal "La Presse", et le succès est vite au rendez-vous. Certes, ils ont un concurrent français agressif, qui se fait appeler Harry Foxfield. Malgré lui, les séances en salle et la tournée des écoles à des fins pédagogiques rapportent gros. Partout, ils sont bien accueillis. En particulier par le curé, Breton d’origine, de Saint-Jérôme, dans les Laurentides. Un nouvel archevêque va contrarier le programme. Qu’importe ! Hortense et Gonzague continuent à Ottawa, évitant tout contact avec les religieux cette fois, avant de se diriger vers New York. Le cinématographe est déjà omniprésent dans la grande ville américaine de leurs espoirs. Ils vivotent, ne pouvant rien développer à leur idée. Pour Hortense, un rapide détour par la Bretagne est nécessaire, afin de rebondir et d’améliorer leur sort. Quand elle retourne en Amérique, Gonzague leur a trouvé un riche mécène, propriétaire à Atlantic City. Cet Irlandais ne tardera pas à devenir très intime avec Hortense. La comtesse et son fils ne s’interrogent guère sur la source financière de ses investissements, même si ce Dermot a beaucoup de partenaires et de "cousins". C’est en Floride puis à Saint-Louis, Missouri, que l’Irlandais place sa fortune. Pour Hortense et Gonzague, c’est l’heure de l’opulence. Peut-être leur faudra-t-il un jour plier bagage. Pourtant, le périple du duo se poursuivra de Saint-Pierre-et-Miquelon jusqu’à Saint-Malo. Si la comtesse Hortense regagne son manoir en Bigoudénie, Gonzague tente avec sa compagne Suzanne de nouveaux exploits dans le Paris artistique du début du 20e siècle. À cœur vaillant, rien d’impossible. Gonzague serait même capable de produire, outre des coquineries, un vrai film de cinéma !… (Extrait) “D’abord rembrunis par son culot, au fil de la journée ils se montrèrent de plus en plus prolixes, surpris et flattés de la curiosité de ce passager. Ses questions pertinentes tranchaient sur les conversations mondaines qui les avaient bassinés la veille au soir. En vérité, si ce n’est qu’il fut interrompu par les siestes et les soirées festives, le dialogue dura jusqu’à la fin de la traversée. Au passage du paquebot sous la Statue de la Liberté, Gonzague aurait pu prétendre au brevet de technicien du cinématographe. Qu’avait-il réclamé qu’on lui apprenne ? Comment saisir les images et comment les projeter. Qu’avait-il mémorisé ? Les tâtonnements qui avaient précédé la mise au point du procédé des vues animées à partir d’images fixes […] Edison met au point son kinétographe qui permet d’enregistrer le mouvement sur une pellicule de 35mm de largeur qu’une manivelle fait avancer grâce à des perforations et à un système de griffes ; suit l’invention, par le même Edison, du kinétoscope qui restitue, par l’avancement du ruban selon le même système, le mouvement capté par le kinétographe…” Certains Bretons d’autrefois s’éloignèrent de leur région en devenant marin. Par goût d’exotisme, quelques-uns s’expatrièrent pour ne plus revenir. D’autres choisirent de fuir la misère des campagnes et des familles trop nombreuses, s’installant à Paris ou ailleurs en France. Les plus téméraires franchirent l’Atlantique pour vivre sur le continent américain. Des passionnés d’Histoire se souviennent du cas de Marie de Kerstrat qui, avec son fils Henry, crut en l’avenir de cette invention qui attirait les foules, le cinématographe. Il n’est pas question pour Hervé Jaouen de présenter une biographie de ce duo, à propos duquel d’autres ont déjà écrit. Il s’inspire de l’originalité et du volontarisme de ces personnages, afin de concocter un roman fertile en rebondissements, dans un contexte attirant pour les plus hardis des Bretons. Quand on réfléchit à ces débuts de l’industrie du cinéma, on prend conscience que son essor fut fulgurant. En moins de vingt ans, ça devient le spectacle par excellence, avec les gains faramineux qu’il engendre. Époque héroïque, s’il en fut ! Nous voici entraînés à l’Est des États-Unis. Non sans être passés par le Québec, tout aussi dynamique que son voisin, encore que le poids religieux y soit toujours lourd en ce temps-là. Ne nous étonnons pas d’y croiser un bienveillant curé breton, ils étaient partout. Toujours un certain humour dans les histoires de cet auteur, ne l’oublions pas. Écrivant depuis environ quarante ans, Hervé Jaouen a été légitimement récompensé par de nombreux prix littéraires prestigieux. Il n’est donc pas indispensable de souligner sa maestria. Ce foisonnant roman d’aventure séduira autant ceux qui connaissent son talent que, sûrement, de nouveaux lecteurs.
Parution le 2 mars 2017. 464 pages.20,00€.
Un clin d'œil à la Comtesse déchaussée ?
En cet été 1895, le vicomte Gonzague de Penarbily, est plus occupé fréquenter les cercles de jeux ou à ôter l'opercule de jeunes pucelles britanniques qu'à se consacrer à ses études de droit. A vingt-huit ans, on a l'avenir devant soi. Il est en vacances chez sa mère, Hortense de Penarbily, une veuve qui a hérité d'un manoir et quelques terres et métairies dans le pays bigouden, mais ce n'est pas pour autant que l'argent coule à flots. Ce serait plutôt le contraire, et afin de garder un rang social digne de son titre, Hortense a transformé son manoir et des dépendances en gîtes fort prisé par une clientèle venue d'Outre-manche. Gonzague batifole donc dans la cabine de bains ou joue les herboristes laissant à sa jeune compagne admirer l'envers des feuilles, tout en sachant que dans un mois il doit se marier avec une jeune fille de bonne famille nantaise, dénuée de titre de noblesse mais fort pourvue en dot. Sa sœur Bérénice, plus jeune de deux ans, est promise au fils du notaire local, lequel sait parfaitement gérer ses affaires en plus de celles de la famille Penarbily. Bérénice est offusquée par les frasques de son frère, tandis qu'Hortense est fière de son coq. Les mois passent, Gonzague se marie, mais dilapide rapidement la dot. Et crime de lèse-épouse, il utilise un condom lors de ses devoirs conjugaux. La mariée n'est pas bréhaigne comme ses parents aurait pu le supposer. Bref, le divorce est prononcé et le père bafoué n'en reste pas là. Alors Gonzague, qui sent le souffle des policiers dans son dos, décide de quitter la France. Il pense d'abord se réfugier en Angleterre, mais finalement il embarque pour les Etats-Unis en deuxième classe. Les cabines ressemblent à des chambrées de caserne, six lits sur deux rangées superposées, mais la cohabitation avec les autres passagers est enrichissante. Deux techniciens de la compagnie cinématographique des frères Lumière partagent sa cabine, et curieux à juste titre, Gonzague demande des détails sur cette invention. A New-York, il existe déjà les petits films et le projecteur inventé par Edison, mais aussi bien les vues animées et l'appareil ne valent pas ceux des Frères Lumière. Alors Gonzague rentre en France, réussit à convaincre sa mère à participer à la nouvelle aventure du cinéma et tous deux se rendent à Lyon chez les frères Lumière puis à Paris ils rencontrent Méliès dont les productions sont plus abouties encore. C'est le départ pour le Canada, et munis du matériel ils s'installent à Montréal. Appuyés par le clergé local qu'ils invitent à visionner leurs vues animées édifiantes, ils aménagent une salle et proposent même des séances à mi tarif pour les scolaires. L'argent rentre et Hortense, en femme réfléchie économise afin de rembourser leurs dettes, les hypothèques et acheter de nouveaux films. C'est le début de la fortune. Ensuite ils iront aux USA, en Floride, dans le Missouri... Mais les aigrefins veillent, Edison n'est pas satisfait de la concurrence, Hortense s'éprend d'un homme et vice versa, l'argent rentre dans les caisses, Gonzague fait la connaissance de Suzanne, une Louisianaise expansive, pétulante et affranchie qui l'aime, le suivra et l'aidera dans ses entreprises, n'hésitant pas à payer de son corps lorsque le besoin s'en fait sentir, en tout bien tout honneur. Mais comme d'habitude, grandeur est suivi de décadence...
Le Vicomte aux pieds nus nous emmène sur trente ans d'une saga familiale foisonnante dont Hervé Jaouen possède le secret. Tout d'abord le lecteur est confronté à une ambiance bretonne tout en étant gauloise, et il suivra les aventures désordonnées de Gonzague dans ses divers périples. Il sera indulgent, tout comme Hortense la mère, envers ce fils de famille dépensier et folâtre, applaudira à ce qui pourrait être une rédemption lorsqu'il décide de trouver une occupation rémunératrice en s'adaptant à de nouvelles technologies, en étant un novateur dans ce qui n'était pas encore appelé le septième art, travaillant même ensuite lors du retour en France après un départ précipité des Etats-Unis, après un passage à Saint-Pierre Miquelon, comme scénariste et réalisateur-producteur de sa propre production cinématographique. Il tremblera lorsque Gonzague et Hortense, ainsi que son mari, seront la proie de cousins américains qui ne respectent pas la famille. D'ailleurs intercalé dans la linéarité du récit, le journal d'Hortense nous entraîne au cœur de leurs pérégrinations mouvementées, amoureuses, exploratrices. De plus la jeune nation possède une appétence pour les nouvelles technologies, se les appropriant en y apportant quelques modifications, en déposant les brevets, et instaurant le commerce unilatéral, tout pour l'exportation, rien pour l'importation. Phénomène amplifié de nos jours dans tous les domaines, ou quasiment. Mais le lecteur s'amusera surtout car ce roman n'engendre pas la morosité. C'est drôle, c'est vivant, c'est émouvant, c'est égrillard, c'est historique, c'est frais et vivifiant, c'est impertinent, c'est distrayant.... Tout sauf ennuyeux !
Si j'ai qualifié ce roman de saga familiale, ce n'est pas tant parce qu'il s'étale sur trente ans, mais bien parce que j'ai relevé quelques greffons, quelques bourgeons qui pourraient donner lieu à des suites. Par exemple, lors de leur séjour à Saint-Pierre et Miquelon, Hortense et son fils se trouvent en présence d'un Emmanuel Turgot. Et cela nous ramène à un ouvrage précédent de l'auteur. Mais d'autres indices laissent à penser que Hervé Jaouen va explorer la vie quotidienne et les tribulations de Suzanne, de Madeline, fille que Gonzague a eu au Canada mais qu'il n'a jamais connue, Bérénice, la sœur de Gonzague qui au contraire de sa mère n'apprécie pas du tout les frasques de son frère, voire d'autres personnages qui évoluent dans ce roman et qui mériteraient d'être étoffés.
|
Autres titres de |