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DAVID JOY |
Là Où Les Lumières Se PerdentAux éditions SONATINEVisitez leur site |
715Lectures depuisLe mardi 7 Septembre 2016
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Une lecture de |
Les McNeely sont implantés depuis bien longtemps dans le comté de Jackson, à l’ouest de la Caroline du Nord, une région rurale et forestière. The Creek, c’est l’endroit isolé où habitent les McNeely. “The Creek était un endroit magnifique, mais c’était l’anarchie et ça l’avait toujours été. La terre n’était guère propice à l’agriculture, donc les gens qui s’y étaient installés autrefois étaient principalement des ivrognes et des voleurs.” Une région où, en toute discrétion, Charlie McNeely a pu développer son commerce. Sous couvert de tenir un garage, il est le principal pourvoyeur de cristal meth du secteur. Il en fournit même à sa pitoyable femme Laura, qui vit seule dans un gourbi insalubre. Il a la réputation de supprimer sans hésitation les gêneurs, en posant une petite Bible près de leurs cadavres. Il bénéficie de protections, dont celle du lieutenant de police Rogers. Âgé de dix-huit ans, Jacob McNeely est le fils de Charlie et Laura. Voilà déjà deux ans qu’il a quitté le collège. Comme si son destin était tout tracé, hors de la société. À cause du nom redouté de son père, il ne s’est d’ailleurs jamais fait de vrais copains. Il n’y a qu’une personne qui ait toujours compté pour lui, Maggie Jennings. Amis depuis l’enfance, ils ont été en couple au temps de l’adolescence, avant de rompre quand Jacob quitta le collège. Maggie, dont les parents sont plus instables qu’il ne semble, partira d’ici un prochain jour : c’est ce que lui souhaite Jacob, tout en sachant qu’il est encore amoureux d’elle. Mais le quotidien du jeune homme, c’est plutôt la violence que la romance. Les frères Cabe, que son père emploie au garage, ont enlevé sur ordre de Charlie McNeely un jeune du coin, Robbie Douglas. Il avait eu le tort d’être trop bavard sur les activités du père de Jacob. Salement torturé, le corps de Robbie est abandonné dans les bois par les Cabe. Entre dégoût et abus de drogues, Jacob se bagarre dans une soirée de fête où il s’est incrusté, avec le petit ami du moment de Maggie. Un geste qui incite la jeune fille à renouer avec Jacob. Une bagarre qui entraîne aussi de possibles suites pénales pour Jacob, lors d’un contrôle routier. Quand il est mis en état d’arrestation, un avocat ami de Charlie McNeely y remédiera en plaidant un simple malentendu. Toutefois, un autre problème se pose, car Robbie Douglas n’est pas tout-à-fait mort. Charlie McNeely adopte une solution personnelle pour résoudre la question, avec l’aide de son fils. La police n’a pas de raison de l’inquiéter, puisque c’est lui qui les contactent. Par contre, ça ne s’arrange pas du côté de la mère de Jacob, internée quelques jours en psychiatrie suite à un ardent délire. Malgré de vagues projets d’avenir avec Maggie — ils pourraient partir vivre ensemble à Wilmington, le bilan est sombre pour Jacob : “Il était impossible d’échapper à qui j’étais, à l’endroit d’où je venais. J’avais été chié par une mère accro à la meth, qui venait juste d’être libérée de l’asile de fous. J’étais le fils d’un père qui me planterait un couteau dans la gorge pendant mon sommeil si l’humeur le prenait. Le sang est plus épais que l’eau, et je me noyais dedans.” La violence meurtrière plane trop autour de lui pour qu’il ne sombre pas à son tour… “J’essayais de donner l’impression que je me foutais que ce soit elle ou Jésus, comme si je n’éprouvais pas le moindre sentiment. [Maggie] a ouvert la porte, est entrée et a marché sur le tapis qui nous servait à battre nos bottes pour en ôter la boue. Elle portait un jean moulant qui semblait collé à ses jambes, des sandales de plage en cuir qui laissaient voir des ongles couverts de vernis citron vert. Un débardeur ample avec des motifs en dentelle, de la couleur du corail, enveloppait son torse. L’encolure était basse et laissait voir le bronzage de sa poitrine, la légère ombre de ses omoplates. Elle s’est plantée sur le tapis, sans s’approcher, comme si ce petit rectangle était une île ou je ne sais quoi, et que tout ce parquet était un océan que ni elle ni moi ne pouvions traverser à la nage pour nous rejoindre.” Perdus au milieu de nulle part, les décors décrits par l’auteur existent. Une poignée de bourgades qui s’étirent le long de routes principales. Des mobiles-homes plus ou moins vétustes cachés au bout d’un chemin de campagne, ou derrière un entrepôt inutilisé. Un garage servant de relais pour vendre de la drogue, et blanchir l’argent récolté. Une seule école-collège pour les jeunes de plusieurs lieues à la ronde. Des flics généralement peu efficaces contre les trafics, soit parce qu’ils se croient plus malins que la population du cru, soit qu’ils sont corrompus. Et puis des habitants aimantés à ces paysages, renonçant à une autre vie puisqu’ils vivotent correctement par ici. Ils n’ont pas besoin de luxe, tant qu’ils peuvent s’offrir leurs doses d’alcools divers et de cristal meth. Un contexte propice à l’indolence qui convient au jeune Jacob. S’il est sans illusion sur son futur, peut-être pourra-t-il extraire de cette fange l’amour de sa vie, Maggie ? “Elle était bien trop splendide pour être assise à côté de moi sur ce canapé miteux. Cette maison, cette ville et tout ce qui s’y rattachait n’étaient pas à sa hauteur, et ne l’avait jamais été. Moi non plus, je n’étais pas à sa hauteur, mais elle n’avait jamais semblé le remarquer, ou du moins jamais s’en soucier.” Mission rédemptrice ? Conscience d’être le fils du Diable ? Lucidité relative, après une suite de morts violentes ? L’esprit de Jacob ne peut sûrement pas être apaisé tant qu’il n’aura pas réagi. Si cette histoire est mouvementée, sans doute est-elle d’abord basée sur la psychologie de ce héros. Par son écriture, David Joy fait le parallèle entre ces paysages majestueux, qui devraient être symboles de liberté ou de tranquillité, et l’ambiance vérolée et sinistre régnant autour du père et du fils. Une intrigue maîtrisée qui, malgré une part de romantisme, reste marquée par une noire fatalité. |