HERVE JAOUEN

Dans « la chasse aux merles », l'auteur se propose d'illustrer l'idée d'un ami, jeune avocat, qui prétend qu'il existe une justice de classe :
« Un rang social modeste entrainera l'accumulation de présomptions à l'encontre du suspect et forcera l'intime conviction du juge. A l'inverse, on aura tendance à rechercher la preuve de l'innocence dès lors qu'il s'agira d'un prévenu dont le rang social est élevé »

Objectif atteint.

Avec sa crasse physique et morale, ses cinq enfants entassés dans un appartement fortement imprégné des vapeurs d'alcool et de vinasse, Loupeau, dit le Clignotant, est le suspect idéal. D'autant plus que les deux victimes étaient de ses connaissances : Lacloche et Fredo -son propre beau-fils. Ça ne rate pas; un policier, dilettante, mène l'enquête et fait arrêter Loupeau qui évidemment est innocent. De cela tout le monde s'en moque; on ne lâche pas facilement un tel suspect. Mais la vérité est plus compliquée. Elle a le visage des enfants du béton qui jugent, condamnent et exécutent, pour de rire bien sûr.
De braves gosses, ceux de la bande du Côteau à qui les parents fonctionnaires assurent une existence décente. Ce n'est pas comme ceux de la bande de la rue de la Pompe, dont le chef est justement Fredo, le beau-fils assassin.
Elle est émouvante la préadolescence qui s'éveille à la sexualité, travaille bien en classe et joue a la guerre, parce que qu'est-ce qu'on peut bien faire d'autre pendant les grandes vacances.
Mais elle est terrible, et c'est peu dire qu'on est glacé d'horreur, quand on la voit jouer à la guerre, comme les grands, sans le moindre sentiment de culpabilité.
Et si le jeu tourne au drame, elle est trop bien nourrie pour que ça lui donne des cauchemars.

Jaouen refuse les clichés faciles sur la jeunesse abandonnée à elle-même dans les grands ensembles inhumains. L'intrigue et la réflexion sont aussi troublantes l’une que l'autre; elles mettent à jour toute la noirceur qui se cache sous les apparences tranquilles du quotidien.

C'est triste à pleurer et on rit à chaque page. On appelle cela l'humour noir.

février 1985