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HERVE JAOUEN |
Carnets IrlandaisAux éditions OUEST-FRANCE |
1754Lectures depuisLe lundi 4 Mai 2015
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Une lecture de |
Parution 24 avril 2015. 936 pages. 28,00€. Comprend Journal d'Irlande, Chroniques irlandaises, La Cocaïne des tourbières et Suite irlandaise.
Le noir lui allait si bien, pourtant Hervé Jaouen troque de temps en temps la couleur fétiche, avec le rouge, de sa carrière de romancier pour celle plus verte de l'Irlande, qui est devenue comme une seconde patrie.
Sa carrière de littérateur a débuté avec La Mariée rouge, roman réédité avec en complément six nouvelles, ce mois-ci chez Bibliomnibus. Cet ouvrage fut le déclencheur d'une carrière littéraire multiforme, Hervé Jaouen abordant quasiment tous les genres, du noir le plus noir, au rose érotique, en passant par la science-fiction et les albums jeunesse. Mais là où il prend une dimension de témoin, ce sont ses chroniques irlandaises qui au début ne devaient se résoudre qu'en trois volumes, puis qu'il a enrichi, profondément attaché à cette île qu'il a prise comme décor pour quelques romans dont Connemara Queen ou Le Cahier noir.
Ses deux premiers ouvrages sur l'Irlande, Journal d'Irlande qui porte sur une période s'étalant de 1977 à 1983 édité en 1985 aux éditions Calligram, puis Chroniques irlandaises qui va de 1990 jusqu'en 1995, publié en 1995 aux éditions Ouest-France. Deux ouvrages qui ont compté dans sa carrière. Hervé Jaouen s'en explique : Ma femme et moi adorons l'Irlande - la dernière terre habitable d'Europe, comme le dit si bien Michel Déon - et on serait bien allés y habiter si ça n'avait pas posé un tas de problèmes : le boulot de ma femme, la scolarité des gosses, mes parents âgés, etc. On a trouvé un moyen terme : on y va le plus souvent possible. Ce qui m'a amené à écrire des notes de voyage, Journal d’Irlande, Chroniques irlandaises et La cocaïne des tourbières. Je dois dire que cette trilogie a fait autant pour ma notoriété que mes polars, en donnant de moi une autre image, ce que je voulais, d'ailleurs. Quant à être traduit en anglais, c'est presque impossible. Le monde anglophone a une telle production qu'il n'a guère besoin de nous, auteurs continentaux. Ça a toujours été ainsi, malgré les efforts développés par les éditeurs français ou les institutions françaises à l'étranger. Connemara Queen a été traduit en anglais, par une étudiante anglaise dans le cadre d'une maîtrise de traductologie. J'ai fait lire la traduction à un agent anglais et à un agent américain. Ils l'ont trouvée bonne, voire excellente, côté américain. Malgré cela, ils n'ont pas pu la placer. Pourquoi ? Parce que, m'a dit l'agent américain en question, la plupart des éditeurs n'achètent pas un livre mais un auteur. Auteur qui doit être présent, dont on doit pouvoir vendre l'image. Heureusement que nous n'en sommes pas encore là, en France.
La cocaïne des tourbières, dont je précise qu’il s’agit d’une titre à double sens, puisqu’il peut aussi bien signifier que l’Irlande est une drogue et que les gaz qui se dégagent des tourbières produisent des effets similaires à cet alcaloïde, est un agréable patchwork de souvenirs, d’impressions, de petits faits divers, sur la pêche bien entendu mais également sur le mode de vie des Irlandais. Lors d'un entretien, j'avais posé les question suivantes, en rafale, à Hervé Jaouen qui a bien voulu se prêter au jeu. Te promènes-tu toujours avec un petit carnet pour noter au fur et à mesure ces chroniques, même si après coup elles ne se semblent pas intéressantes à retranscrire ? Les touristes français ne se montrent guère à leur avantage. Un problème de civisme ? En France bon nombre de nos concitoyens reprochent aux touristes britanniques de ne pas s’adapter ne serait-ce qu’à notre langue et de ne pas faire d’efforts. Le ressens-tu comme tel et fais-tu des comparaisons entre l’attitude des Français à l’étranger et des étrangers (touristes) en France ? Peu après L’Adieu aux îles j’ai écrit la première mouture de Journal d’Irlande. Toujours avec dans l’idée de brouiller les pistes, de m’éloigner du polar, pour mieux y revenir un peu plus tard avec Coup de chaleur, Histoires d’ombres, Hôpital souterrain, entre autres. Certains lecteurs ont été déconcertés, mais la plupart ont compris très vite que je tenais à ma liberté d’inspiration, que je ne me cantonnerais pas dans un genre. Michel Lebrun, dans sa préface à Toutes les couleurs du noir, a merveilleusement exprimé cela en me qualifiant de " Monsieur Plus… écrivain doué de diversité… grand pervers qui se complaît à défier l’analyse, refuser les étiquettes, affiner sans cesse un talent original…romancier ou missile à têtes multiples… " Rien n’aurait pu me faire plus plaisir, surtout venant de Michel Lebrun. Quand j’ai lu ça, j’ai su que c’en était fini pour moi du débat, intérieur ou extérieur, entre littérature blanche/noire (tiens, à propos, le blanc et le noir sous les deux couleurs du drapeau breton !), polar/pas polar, continuons d’écrire, point. La cocaïne des tourbières est le troisième et le dernier volume de ma trilogie irlandaise. D’ailleurs, pour que je ne sois pas tenté de continuer, les trois bouquins viennent de paraître en poche. Et sous coffret. (Précision: en 2002 chez Ouest France). Une façon bien "physique" de montrer qu’ils forment un tout définitif. Ils sont bouclés à l’intérieur de ce coffret. L’année dernière, pour la première fois, en Irlande je n’avais pas un carnet dans la poche. Oui, pendant quelque vingt ans, j’ai pris des notes. Mais peu. Je l’explique dans un avant-propos, aux Chroniques je crois. Je n’ai noté, pour écrire ces trois livres, que des choses dont il me serait difficile de me souvenir exactement – par exemple des jeux de mots et des histoires drôles, des métaphores ou des images qu’on est incapable de retrouver après. Il se trouve que ma mémoire ne m’a jamais fait défaut, au moment de rédiger. Au contraire, l’Irlande exerce une telle influence sur moi que quelques mots notés ont toujours suffi à me remettre en mémoire toute une scène, d’une ou de plusieurs pages. Je crois qu’il y a un mot en psychologie, pour traduire ce phénomène, mais il ne me revient pas, à la minute présente. Mystérieux, en tout cas. Tu me trouves un peu méchant avec les touristes français ? C’est vrai qu’en Irlande je les fuis, comme d’autres me fuient, sans doute. Les amoureux de l’Irlande ne veulent pas partager. C’est vrai aussi que certains Français, pas les amoureux, se comportent très mal, en Irlande ou ailleurs. La réciproque est-elle vrai ? Franchement je n’en sais rien. Je ne fréquente guère les touristes étrangers en Bretagne. Je les fuis, aussi, en partant… en Irlande une partie de l’été, ou bien en faisant du bateau pendant les week-ends. Tout ce que je peux dire c’est que nous avons des amis allemands, que nous voyons tous les ans, parce qu’ils louent une maison pas loin de chez nous. Des gens absolument charmants, qui font un réel effort pour s’adapter. En une dizaine de séjours ils ont appris le français.
Malgré ses promesses et souhait d'arrêter d'évoquer l'Irlande, Hervé Jaouen a repris la plume, ne pouvant s'empêcher d'évoquer ses séjours en la Verte Erin. Ce qui a donné Suite irlandaise en 2008 édité aux Presses de la Cité. A la sortie de ce quatrième opus j'écrivais ceci : Les chroniques d’Hervé Jaouen sur ses vacances en Irlande se dégustent comme l’on grappille des baies sauvages sur les arbrisseaux des talus, comme les mûres accrochées aux ronces, comme les “ blosses ”, ou prunelles sauvages, âpres mais tentantes car leur ramage buccal n’est pas en rapport avec leur plumage visuel. L’auteur nous entraîne en compagnie d’Oscar Wilde et W.B. Yeats ou encore Ken Bruen, sur les chemins d’une terre bénie des dieux et surtout des pêcheurs à la ligne. Avec en surimpression la musique de Bono. Depuis ses premières incursions dans le Connemara, le Donegal ou le Mayo, les paysages ont bien changés. Des villes se sont étendues, des maisons ont poussé dans les landes désertiques, le tourisme fait grimper les prix. Heureusement, Hervé Jaouen et sa femme se sont fait des relations durables et ils retrouvent tous les ans depuis des décennies les propriétaires des “ Beds and Breakfests ” accueillants où ils sont reçus en amis. Les anecdotes s’enchaînent les unes aux autres, empruntant parfois des chemins de traverse, comme dans une conversation. Hervé Jaouen est un passionné de l’Irlande, de ses paysages, des relations qu’il peut entretenir avec les autochtones, des parties de pêche en solitaire ou avec des amis, mais c’est un amoureux lucide. Comme partout ailleurs, l’Irlande mute, se modernise physiquement, les mentalités évoluant et même les Irlandais eux-mêmes ne s’y retrouvent pas toujours. Heureusement des lieux de calme et de sérénité subsistent pour le plus grand bonheur des vrais touristes, de ceux qui ne s’imposent pas vacanciers colonisateurs. Breton de naissance Hervé Jaouen est Irlandais dans l’âme, d’ailleurs il existe de nombreux points communs entre ces deux contrées. Alors je ne demande qu’une chose, que notre raconteur d’histoire rallie souvent la verte Erin et nous ramène des souvenirs savoureux comme dans cet ouvrage.
Hervé Jaouen écrit avec ses yeux et avec son cœur et nous fait partager agréablement ses souvenirs, ses impressions de voyages. Alors suivez le guide, Hervé Jaouen connait fort bien son sujet.
Pour retrouver l'entretien complet avec Hervé Jaouen, je vous incite à vous rendre sur les liens ci-dessous :
http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/article-entretien-avec-herve-jaouen-le-barde-du-neopolar-106542831.html
http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/article-entretien-avec-herve-jaouen-suite-et-fin-106551972.html
Il existe une vraie tradition littéraire des journaux d’écrivains où, généralement en marge de leur œuvre, ils se racontent à travers des propos personnels. C'est ce qu'a fait Hervé Jaouen depuis 1977, transmettant sa passion pour l'Irlande à travers plusieurs ouvrages : Journal d'Irlande (de 1977 à 1989), Chroniques irlandaises (de 1990 à 1995), La cocaïne des tourbières (2002), Suite irlandaise (2008). L'intégrale de ces quatre livres est réunie maintenant en un seul volume, publié aux Éditions Ouest-France. Quand Hervé Jaouen débarque pour la première fois en Irlande, il n'a encore guère de repères. Mais c'est un pays où se nouent vite les contacts, pour peu qu'on aime causer, que l'on ne refuse pas de boire, et qu'on soit attentif à leur parler anglais avec l'accent local. À cette époque, les Irlandais ne peuvent être insensibles à la situation en Ulster. Sur ce point, il faut qu'un continental soit clair à leur égard. D'ailleurs, la franchise est toujours la plus payante avec ces farouches îliens. Observer, aussi bien les châteaux que chacun des paysages traversés, et surtout la population qui reste souvent typique, c'est ainsi que le voyageur s'acclimate lors de ses premières virées dans ce pays. Mille anecdotes, comme celle-ci dans un pub de Galway : “Aux murs en pierres apparentes sont accrochés des cadres de tailles variées… Il y a une grande huile d'un jeune homme qui tient sa canne à mouche comme un sauvage sa sagaie. En cinq heures, un jour de juin 1947, il a pris onze saumons. Ses bottes sont au centre de l'éventail arrangé par le peintre… À gauche du comptoir est épinglée une carte : l'Europe vue par les Irlandais. Rayée de la carte, l'Angleterre. J'ai pensé à ce bistrot de Quimper autrefois : "Interdit aux chiens et aux Français".” C'est en sillonnant de manière aléatoire l'Irlande, non sans profiter du plaisir de la pêche dès que l'occasion s'en présentera, qu'Hervé Jaouen s'initie (le mot n'est pas trop fort) à l'esprit irlandais. Ces périples sont aussi source d'inspiration pour le romancier : “Comment ne pas terminer cette glorification de la fishing widow par l'évocation de son contraire, je veux parler de la pécheresse, la veuve de pêche, infidèle, qui mouche son chagrin dans l'adultère. Sauf à mon insu, je n'en ai fréquenté que de littéraires […] J'ai moi-même, dans "Histoires d'ombres", créé un personnage de fishing widow, adultère et maléfique, inspirée d'une certaine réalité. Par la toute-puissance du narrateur, elle sera précipitée du haut d'un rocher, dans une rivière.” Tant de rencontres inopinées ou devenant plus courantes, de situations parfois insolites, dont Jaouen pourra se servir dans ses romans irlandais, tel "Le testament des McGovern" (pour n'en citer qu'un). Passent les années, le couple Jaouen continue à découvrir les multiples facettes d'un pays, que l'écrivain retrace dans les trois premiers tomes. Dans "Suite irlandaise", l'Irlande change en ces années 2000, et la population accepte cette évolution. Craignant un peu de ne plus trouver autant de personnages attachants ou particuliers, et de lieux de pêche satisfaisants, Jaouen constate la modernisation. Avec sa coutumière lucidité, sans porter de jugement. Joséphine, qui les accueillait depuis dix-huit ans à Cushlough House va prendre une retraite méritée. D’autres farmhouses n’intéresse le couple que s’il y sent une ambiance amicale, sincèrement chaleureuse. Peut-être chez Mary Lydon ? À Ballrinrobe, le pub de J.J.Gannon où ils avaient leurs habitudes a été refait à neuf. Pas si mal. L’important est d’éviter le tourisme friqué, de traquer l’authenticité. La pêche est toujours le prétexte de leur voyage. Même si certaines sorties sur les lacs, en baie de Ballynalty ou sur la Cong River, sont parfois risquées. Même si truites et saumons se font rares. Même si les tarifs des droits de pêche frisent l’escroquerie (l’Irlande change). L’essentiel, c’est la population : “Je ne sais pas si c’est une question de chance. Plutôt une question de résonance magnétique entre l’Irlande et le voyageur. Mais bon, pour ne pas assassiner les rêves de ceux qui poursuivent les cerfs-volants avec des semelles de plombs, disons, oui, que la chance me sourit”. Hommages aux écrivains, aussi, y compris ceux du roman noir : “Le Galway que décrit Ken Bruen dans ses polars serait-il une réalité ? Un Galway hanté par une population de marginaux, alcooliques, junkies, trafiquants en tous genres, au milieu desquels son personnage Jack Taylor ex-flic viré de la Garda, consommateur lui-même d’un tas de substances vénéneuses, mène des enquêtes déjantées… Le roman noir est un roman de légère anticipation.” On connaît les romans d'Hervé Jaouen. Son œuvre littéraire comporte également cet aspect-là, ces souvenirs qu'on ne saurait qualifier de "touristiques". Du vécu, des récits où l'on retrouve la tonalité fluide, amusée, lucide, tendre, de l'auteur. Grâce à cette intégrale des quatre titres, c'est un regard ethnologique (et vivant) sur l'Irlande depuis près de quarante ans qui nous est proposé. |
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