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VIVIANE JANOUIN-BENANTI |
Le Double Visage Du Dr Karl RoosAux éditions EDITIONS L ÀPART |
2901Lectures depuisLe jeudi 21 Mars 2013
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Une lecture de |
Nids d’espions en Alsace-Lorraine. En 1871, après la débâcle de l’armée française face aux troupes prussiennes, l’Alsace et la Lorraine sont annexées à la Prusse qui deviendra par la suite l’Allemagne. La défaite de l’Allemagne lors de la guerre 14/18 permit à la France de récupérer ces deux provinces. Seulement, les autochtones se sentaient plus Allemands que Français, surtout ceux nés après 1870, des affinités entretenues par la langue alsacienne. En effet le parler alsacien est beaucoup proche de l’allemand que du français. Après la signature de l’armistice, de nombreux Alsaciens réclamèrent l’autonomie et l’indépendance. Or l’état français commit de très graves erreurs qui encouragèrent cette mouvance. Ainsi selon leurs origines parentales, les Alsaciens-Lorrains sont munis de cartes, sortes de cartes d’identité, qui leur permettent ou non d’exercer certains métiers tels que fonctionnaires, et surtout d’être considérés comme bons Français. De la carte A, délivrée aux Alsaciens-Lorrains dont les parents et grands-parents sont nés en France ou en Alsace-Lorraine, donc catalogués comme bons Français, en passant par les cartes B et C jusqu’à la carte D, attribuée à ceux qui ont des ancêtres allemands, autrichiens, hongrois, les différences sont fondamentales. Les porteurs de la carte D, les maudits, même nés en Alsace, sont considérés comme des étrangers. Petit aparté. Depuis la loi Sarkozy sur les cartes d’identité françaises, un Français né à l’étranger doit prouver sa filiation et la nationalité française de son père, ce qui est pour certains un véritable casse-tête. Je le sais, j’ai été concerné et ai dû attendre trois mois pour obtenir ma nouvelle carte d’identité, sur l’ancienne figurait pourtant la mention Nationalité française, comment voulez-vous que bon nombre de jeunes des banlieues confrontés à ce problème se sentent profondément attachés à la France. Fin de l’aparté. C’est donc dans ce contexte malsain, que de nombreux Alsaciens s’érigent en dissidents et se réfugient en Suisse ou en Allemagne. Et forcément ils sont des proies faciles attirées par la suite par les discours hitlériens. Ils complotent afin que d’autres Alsaciens-Lorrains les suivent dans leur entreprise, et c’est ainsi que le Docteur Karl Roos est amené à rejoindre leur association. Pour cela il doit faire ses preuves, démontrer sa bonne foi, son engagement. Lors d’une réunion à Berlin, en avril 1920, il déclare à ses hôtes, Robert Ernst qui prépare une thèse sur l’insertion des Alsaciens-Lorrains exilés dans la vie économique allemande, et Liselotte Meyer, qu’il aime l’Allemagne ainsi qu’au colonel Haushofer qui participe à cette soirée. Il a quarante-deux ans, est Alsacien, son père était instituteur, il est docteur en linguistique et a ouvert une école privée de commerce. Il a servi sous les couleurs allemandes, comme la majorité des Alsaciens, et a été décoré de la Croix de fer allemande de 1ère classe. Et il en est fier déclare-t-il à Robert Ersnt qui toutefois se méfie. Le colonel plaide sa cause, affirmant que Roos écrit très bien. Mais Ernst n’est toujours pas convaincu, lui demandant : Si vous jouez double-jeu avec les Français, pourquoi ne serait-ce pas pareil avec nous ? Mais Roos possède des arguments : Depuis [la fin de la guerre], le ressentiment ne fait qu’enfler contre le gouvernement français. Il faut dire que tout nous sépare des Français, la religion, la langue et même notre manière de vivre est différente. Le peuple a faim, il en a contre la bourgeoisie. Et il enchaîne les récriminations contre le gouvernement français. Il est prié de cacher son jeu, afin de pouvoir obtenir un poste élevé à l’intérieur de l’appareil français, et se montrer plus stratégique. Peu après Roos fonde l’institut des Alsaciens-Lorrains, rattaché à l’université de Francfort, et surtout, deux ans après son inauguration, il crée un service de presse d’Alsace-Lorraine et une revue mensuelle, Heimatstimmen, qui est lue dans toute l’Alsace. Peu à peu il devient une figure politique en Alsace, et adopte un programme désirant rallier tous les autonomistes, qu’ils soient Flamands, Corses, Bretons… Ce qui débouche sur le procès de Colmar, mais ayant fui à Bâle il est condamné par contumace. Il obtient un procès en révision puis est élu au conseil municipal de Strasbourg. Mais ce n’est pas fini, et Viviane Janoui-Benanti retrace méticuleusement ce parcours, insérant dans son récit le parcours et l’action du docteur Joseph Weil, chef de clinique à la faculté de Strasbourg. Il a lu Mein Kampf attentivement et met en garde ses compatriotes contre les dérives des propos et des écrits nazis. Il organise une résistance juive et accueille avec la complicité de Lazare Blum et de la communauté juive strasbourgeoise les réfugiés qui affluent en France. Il est à l’origine également au début des années trente d’un institut des Etudes Juives. En coordination avec les services secrets français, il met en place un réseau de renseignements, sorte de contre-espionnage, qui aboutira à l’arrestation d’espions nazis. C’est toute cette période d’entre-deux guerres qui est reconstituée, une période de troubles, de doutes, de guerre larvée durant laquelle les Alsaciens seront partagés entre deux systèmes, mais qui révèlera des hommes nobles, ne cédant pas aux chants des sirènes nazies. Seulement, aujourd’hui encore, des nostalgiques d’un régime font encore parler d’eux, dans différents domaines, surtout par haine du Juif. L’antisémitisme n’a jamais été éradiqué. Et il est difficilement compréhensible qu’un site dédié à Karl Roos puisse exister, en l’exposant comme un martyr car il reste une figure célébrée par les autonomistes. Un livre à lire afin de se faire une idée précise sur cette époque, mais aussi sur les erreurs gouvernementales, erreurs qui se reproduisent dans les domaines de l’intégration par exemple, mais dont on ne remarque les conséquences que bien plus tard, lorsque le mal est fait. |
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