Ivoire, défense de rire, plus communément appelé Ivy, est un écrivain indépendant, un pigiste, spécialisé dans la rédaction d’articles destinés à des suppléments hebdomadaires féminins d’un quotidien. Produits de beauté pseudo parapharmaceutiques et autres articles supposés rajeunir les femmes d’une quinzaine d’années en dix jours, des rubriques servant de support aux placards publicitaires qui le valent bien. Ivy vit en solitaire, ou presque. Depuis trois ans un chat s’est imposé à lui, et comme l’auteur n’a guère d’imagination en dehors de la rédaction des textes pour lesquels il est appointé, il l’a appelé Il. Et Il passe la plupart de son temps sur les toits, allant et venant grâce à une ouverture de la salle de bain. Un matin, à peine éveillé, Ivy découvre avec stupeur un doigt dans son lavabo, un trophée qu’Il lui a apporté en gage de reconnaissance. Au début Ivy est déboussolé, que faire de ce morceau d’os enrobé de muscles et de peau. Un beau doigt pourtant, bien propre, l’ongle net et bien taillé, celui d’un homme, déduction aisée à cause des poils qui parsèment une phalange. Ivy le place dans un pochon puis après moult réflexions décide de se rendre au commissariat le plus proche. Il est accueilli par le lieutenant de police Danielle Battaglini qui ne peut faire autrement que prendre sa déposition et le doigt orphelin. Alors évidemment Danielle, accompagnée de son adjoint, perquisitionne chez l’auteur, réquisitionnant son ordinateur, l’outil de travail, on ne sait jamais des fois que la main serait cachée à l’intérieur, et autres bricoles dont la carte sim du téléphone portable d’Ivy. Seulement, Il ramène le lendemain le frère jumeau, ou presque, du doigt qu’Ivy s’empresse d’apporter à la policière. Le petit jeu initié par Il continue jusqu’à ce que les cinq doigts soient récupérés et que l’honneur d’Ivy soit sauf et que les soupçons qui pèsent sur lui soient dissipés. Fin du chapitre Complainte digitale. Dans le chapitre suivant intitulé Bric-à-brac, nous retrouvons quelques mois plus tard Ivy et Danielle qui vivent ensemble, une fois chez l’un une fois chez l’autre, le chat devenu Boris les suivant dans leurs pérégrinations. Une jeune fille, une Anglaise, a disparu, probablement kidnappée, et l’auteur de ce rapt a laissé en évidence dans l’appartement un tiroir avec collé dessus un papier sur lequel est écrit : Où ? Quand ? Comment ? C’est là qu’Ivy va devoir démontrer ses talents d’observateur façon Sherlock Holmes en analysant le contenu du fourbi inhérent à tout tiroir servant de dépotoir. Et ainsi de suite durant cinq chapitres qui peuvent se lire indépendamment comme des nouvelles mais qui s’articulent l’une l’autre, reprenant des épisodes antérieurs. Dans le quatrième chapitre au titre éponyme du roman, nous retrouvons Ivy en fin gourmet, en épicurien même, préparant avec amour un plat de coquillages et crustacés, qu’il va déguster en compagnie avec l’adjoint de Danielle chez celle-ci. Il va jusqu’à faire découvrir la cave que le père de celle-ci a constituée à son invité. Mais est-ce une bonne initiative ? Le personnage créé par Jean Hennegé, qui narre à la première personne ses aventures ou mésaventures ne manque pas d’intérêt et est même franchement sympathique. Ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler un loser ou un être exceptionnel, non tout simplement quelqu’un d’ordinaire pétri de bon sens. Il nous fait part de ses réflexions, sur tout et rien, il ratiocine, il digresse, ses pensées vagabondes tout comme les nôtres, lorsque nous passons d’un sujet à un autre sans parfois qu’il y ait un rapport pour retourner à l’idée originelle. De petits incidents parsèment son quotidien et il ne peut s’empêcher de vitupérer contre les utilisateurs de téléphone portable qui dégoisent dans la rue à un interlocuteur invisible leur intimité, gênant par là-même les passants honnêtes, et qui se demandent pourquoi ceux-ci les regardent comme s’ils étaient des bêtes fauves lâchées en liberté. Ce sont ceux qui enquiquinent le monde qui se sentent agressés. Mais ce n’est pas le seul exemple de bon sens glissé entre ces pages.
Une autre lecture duMerci Pour Les Fruits De Merde JEANNE DESAUBRY |
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Est-on propriétaire d’un chat ou propriété du chat qui squatte votre appartement ? C’est la question que se pose Boris, le héros, au début de ce roman dôle et décalé ce qu’il faut, parfois grave, et tout du long, soutenu par un rythme et des rebondissements improbables. Boris Ivory, pigiste hypocondriaque et célibataire par obligation est le souffre-douleur préféré d’un chat qu’il nourrit de beignets vapeur à la crevette. Ce qui n’empêche pas le félin de chasser, ramenant des proies à moitié dévorées qu’il dépose pieusement dans le lavabo de la salle de bain. Le journaliste pénètre chaque matin dans la pièce avec inquiétude, un sac poubelle dans une main, de l’eau de javel dans l’autre. Un jour, le pire est dépassé : après les oiseaux, les souris, voici ... les restes humains. Son histoire invraisemblable va lui attirer l’attention peu agréable de la police, mais lui permettre de rencontrer une jeune lieutenant pour laquelle il va totalement craquer. Mais on n’en est qu’au début d’une suite d’évènement loufoques et foutraques, pourtant fort bien orchestrés par un auteur doté d’un sacré sens de l’humour… Le roman est composé de trois parties qui pourraient être indépendantes, et l’étrange déconvenue qu’on rencontre à la fin de la première partie s’achevant en queue de poisson, se trouve largement compensée par la découverte ultérieure qu’on s’est bien fait balader. Pour un premier roman, Hennegé se permet une désinvolture élégante, prenant ses lecteurs à contre pieds, capable de leur servir un paragraphe gastronomique, suivi d’une scène de crime, relayé elle-même par une baston, puis une scène tendre et tout ça moins de pages qu’il en faut à d’autres pour camper leur énième serial killer. Chez Galodé, on édite Buan, doté d’un sens extrême de la dérision, dont les héros s’approchent d’un San Antonio. Aujourd’hui, avec Hennegé, cette maison d’édition prouve derechef que le sens de l’humour et la légèreté se marient à merveille avec le polar, au même titre que la gravité ou le suspens, et que d’ailleurs, ceci n’empêche pas cela. Suis-je claire ? Hmm ? Personnellement, je reprendrai bien un peu de fruits de mer, et le vin blanc qui va avec… 18 €, 182 pages
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