À l’Est des États-Unis, dans les années 1920, Alexander Dennison est un jeune médecin sans fortune, ni clientèle. Il est fiancé à Evelyne Curtis, fille d’un magistrat vivant chez son père. Ils s’écrivent souvent, Dennison attendant une meilleure position sociale avant de se marier. Elle lui reproche quelque peu sa mollesse de caractère. Coup de chance, Dennison est engagé comme assistant par le vieillissant docteur Charles Leatherby. Homme cultivé, il vit dans une luxueuse demeure. Surtout, le jeune médecin bénéficiera d’un salaire très confortable. Leatherby est entouré de sa sœur, Rose Lewis, et d’une infirmière, miss Hilda Napier. Il semble que cette dernière soit sur le point de se marier avec Leatherby, malgré une grande différence d’âge. Elle conseille à Alexander Dennison de renoncer à ce poste. Le jeune médecin s’interroge sur la froide Mrs Lewis : “C’était une belle femme, et jeune. Il lui donnait vingt ans de moins que son frère. De plus, elle était une hôtesse courtoise. Mais quelque chose en elle perturbait Dennison. Elle le faisait se sentir insignifiant, une ombre éphémère dans la maison.” On apprend la mort soudaine du banquier Manley, patient du docteur Leatherby qu’il avait consulté peu avant. Même une crise cardiaque chez un tel personnage entraîne une enquête. C’est alors que Jeff Folyet se manifeste chez Leatherby. Celui-ci fut pendant un temps l’assistant du vieux docteur. S’il ne suggère pas exactement que le décès du banquier serait suspect, la présence de ce Folyet paraît embarrasser la maisonnée. Néanmoins, Leatherby l’invite à séjourner chez lui. Malgré l’ambiance, Dennison se refuse à cultiver des doutes paranoïaques. Toutefois, la disparition de Folyet pose bien des questions. Auxquelles des témoignages incertains sollicités par Dennison n’apportent pas de réponses. À son hôtel, on n’a pas revu Folyet non plus, et personne n’a son adresse, à New York ou ailleurs. L’infirmière Hilda Napier se montre désormais plutôt enjôleuse envers Dennison, jouant peut-être avec lui comme avec une marionnette. Bien que le chauffeur de Leatherby ait trouvé des traces de sang dans la voiture du vieux médecin, il n’envisage pas un meurtre. Par contre, Dennison craint que Folyet ait été assassiné. En l’absence de Leatherby, le jeune docteur reçoit une curieuse patiente, Mrs Smith, qui tient absolument à obtenir la potion préparée pour elle. Risquant de commettre une erreur en lui donnant ce produit, Dennison est embarqué dans une situation qui le dépasse de plus en plus. Quel est le rôle de Folyet, mort ou vivant, et que penser de ces lettres qu’il aurait écrites ? Un nouveau décès bizarre, similaire à celui du banquier, mérite explication. Il faudra l’intervention d’une tierce personne pour éclaircir tant de faits mystérieux… (Extrait) “Ensuite, il y a ces patients que Leatherby voit à l’étage. Eh bien, quoi ? Ils viennent sans se cacher. Et lui ne fait aucun mystère de ces visites. Aucune raison, donc, de s’inquiéter à ce sujet. Il est connu et respecté au village. Il n’est pas du genre à tenir un cabinet en sous-main. Toutes les tâches qu’il m’a confiées sont parfaitement transparentes et légales. Enfin, cette affaire Manley… Folyet semble insinuer que Leatherby en sait plus long qu’il ne veut l’admettre. Folyet considère la ‘crise cardiaque’ d’un œil sceptique. Eh bien, supposons qu’il s’agisse bien d’un suicide, et que Leatherby le sache. Peu importe ! Qui diable est ce Folyet ? Non, il n’y a rien dans cette affaire Manley qui puisse m’intéresser. En y réfléchissant mieux, il n’y a rien qui puisse m’intéresser du tout. J’ai un travail légitime à accomplir. Je peux me contenter de le faire et de me mêler de mes affaires.” La romancière américaine Elisabeth Sanxay Holding (1889-1955) fut l’auteure de dix-huit romans policiers, de 1929 à 1953, et d’un certain nombre de nouvelles. À ce jour, quatre de ses titres ont été traduits : Crime étrange aux Bermudes (1946), Le vieux cheval de bataille (1952), La candide Madame Duff (1953), Au pied du mur (1953, réédité en 2013 aux Éd.Baker Street). En voici un cinquième, avec ce “Miasmes”, initialement publié en 1929, qui fut le premier suspense écrit par cette auteure. Raymond Chandler semblait tenir en haute estime Elisabeth Sanxay Holding, pour les qualités psychologiques de ses intrigues. Plusieurs de ses titres furent transposés au cinéma, dont deux films adaptés du roman “Au pied du mur” (en 1949 et en 2001). Dès le départ, le portrait du Dr Dennison reflète avec crédibilité les cas de ces jeunes diplômés d’alors. Ils avaient l’espoir de faire carrière comme médecins, mais manquaient sûrement d’un peu de maturité. Ce qui explique qu’il ne se sente pas à l’aise chez son riche confrère âgé, et qu’il soit plutôt désemparé face aux mystères qui l’entourent. Il est vrai que vont se succéder diverses péripéties fort étranges. Entre Hilda Napier, Rose Lewis, et sa fiancée Evie, Dennison n’est pas sûr de pouvoir se fier à une femme pour élucider ces sombres énigmes. Pourtant, elles sont probablement plus lucides que lui. Les rouages de cette histoire entretiennent un climat d’incertitude, un suspense inquiétant. Elisabeth Sanxay Holding appartient à la meilleure tradition de la littérature policière.
Une autre lecture duMiasmesde PAUL MAUGENDRE |
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Miasma – 1929. Traduction Jessica Stabile. Parution 15 mars 2018. 272 pages. 19,50€. ISBN : 978-2917559987 Des miasmes qui fleurent bon le suspense… Il aura fallu attendre 90 ans pour que ce roman traverse l’Atlantique et soit enfin disponible sur les étals des libraires. Certains ouvrages moins intéressants, à mon humble avis, bravent les flots beaucoup plus vite, mais ce n’est peut-être qu’un effet de mode et d’un appel du vent soufflant d’ouest en est. Or Elisabeth Sanxay Holding fut pionnière en son temps, apportant sa touche personnelle dans des romans policiers, en apparence classiques, en y incluant une forte dose de psychologie, d’émotivité, d’angoisse et de suspense. Elle a ouvert la voie à de futures grandes romancières telles que Midred Davis, Charlotte Armstrong, Ursula Curtiss puis plus près de nous Ruth Rendell, et sans oublier, côté masculin, William Irish. Et bien d’autres, ces auteurs n’étant cités qu’à titre d’exemple. Après une étude de marché, déjà, le jeune docteur Alexander Dennison s’installe dans la petite ville de Shayne, non loin de New-York. Il loue un cottage et il attend la patientèle qui ne se presse guère à son cabinet. Au bout de quelques semaines, il n’a enregistré que deux visites, et encore des malades occasionnels, de passage. Il se morfond et l’écrit à sa fiancée Evelyne. Le mariage est reporté, voire compromis, car il lui faut gagner de l’argent afin de pouvoir assurer leur subsistance. Il est obligé de se séparer de sa cuisinière, de s’occuper lui-même de son ménage, mais au moins cela lui passe le temps. Il envisage même de demander une embauche dans une compagnie maritime, au grand dam d’Evie qui lui signifie que dans ses conditions, leurs rencontres seront aléatoires puisqu’il sera sur mer. Heureusement, le docteur Leatherby, qui habite dans une grande demeure, lui propose un emploi. Offre acceptée sans discussion. D’autant qu’il sera logé, nourri, et qu’il pourra enfin exercer son profession sérénité. Le docteur Leatherby l’accueille avec sympathie, le prévenant qu’il gardera toutefois quelques clients, mais que l’âge l’oblige à rester chez lui et il ne gardera que quelques patients. Outre le docteur Leatherby, il fait la connaissance de la sœur de celui-ci, Mrs Lewis, de vingt ans plus jeune, de Miss Napier, la jeune secrétaire, et d’employés de maison, dont Miller le majordome et Ames, le chauffeur. Et il pourrait se sentir enfin dans son élément et penser à Evelyne et à leur avenir s’il ne commençait à ressentir un malaise lié à l’atmosphère du lieu, aux personnes qui y vivent, et aux patients qui rencontrent Leatherby le soir. Un homme âgé, dont les propos l’intriguent, une femme dans la fleur de l’âge qui redescend l’escalier avec des larmes plein les yeux. Miss Napier essaie d’arrondir les angles, tandis que Mrs Lewis est d’humeur changeante. Le comble est atteint, ou presque, lorsque le vieux monsieur décède d’une crise cardiaque et que l’affaire est classée comme s’il s’agissait d’une banalité. Pis, il lègue à Leatherby une somme d’argent conséquente. Et l’intrusion de Folyet, le prédécesseur de Dennison, est comme celle d’un chien dans un jeu de quilles. La quiétude dont il pensait pouvoir jouir se transforme peu à peu un trouble délétère, se muant en angoisse palpable, alors que miss Napier lui conseille de quitter la demeure, que des affrontements verbaux opposent les occupants des lieux, que l’hostilité s’installe et que des événements se produisent qu’il ne comprend pas. Une ambiance, une atmosphère étouffante dans laquelle il s’englue peu à peu, et se tisse alors une toile d’araignée dont il a du mal à se dépêtrer. Le thème développé, dans ce roman qui n’a pas vieilli, thème toujours brûlant d’actualité même, Elisabeth Sanxay Holding démontre une maîtrise parfaite de son sujet, et instillant l’angoisse de façon progressive. On pense à Alfred Hitchock. Premier concerné, Dennison se pose de nombreuses questions mais il les balaie, au départ, se trouvant sans le savoir ou le vouloir en porte-à-faux. Mais les différents personnages qu’il est amené à côtoyer, Miss Napier et Mrs Lewis principalement, ont un comportement en dualité. Elles l’incitent à partir tout en l’enjoignant de rester. Quant à son mariage avec Evelyne, peu à peu il est amené à se demander s’il a fait le bon choix. D’autant que Leatherby, lors d’une conversation à laquelle participe sa sœur, Mrs Lewis, émet des idées peu conformes à ce qui se pratiquait à l’époque. Il n’y a pas de conception moderne du mariage, affirme Leatherby. Votre idée du mariage s’appuie sur ce que l’on appelle « amour » : une passion, une fantaisie éphémère. Avec pour but le bonheur personnel de deux individus. Si vous admettez ces fondements, que les gens se marient pour être heureux, eh bien, il faut dissoudre le mariage lorsqu’ils cessent de l’être. Alors, dans ce roman d’angoisse et de frissons dans lequel se glisse une pointe d’épouvante, Elisabeth Sanxay Holding n’oublie pas qu’elle a débuté sa carrière de romancière dans l’écriture d’ouvrages sentimentaux et il en reste quelque chose. Mais nous sommes loin des romans à l’eau de rose. Et les nombreuses illustrations intérieures, vignettes ou pleine page, de Leonid Koslov ajoutent un charme étrange, vénéneux et envoûtant au texte.
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