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SOPHIE HENAFF |
Poulets GrillésAux éditions ALBIN MICHELVisitez leur site |
1256Lectures depuisLe vendredi 3 Avril 2015
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Une lecture de |
Anne Capestan, trente-sept ans, est commissaire de police. Six mois après qu'une bavure l'ait mise sur la touche, la voici réintégrée grâce au bon vouloir de Buron, directeur de la PJ, son mentor. Pas de quoi se réjouir, toutefois : c'est d'une brigade de placardisés dont elle hérite, des recalés d'autres services. Quarante noms, mais ils seront finalement bien moins nombreux. Leur mission consistera à réétudier des affaires non résolues. Ils vont disposer d'un ancien appartement rue des Innocents, en guise de bureaux. Capestan y est rejointe par José Torrez, un flic qui porte la poisse ; Lebreton, homo veuf depuis peu, venu de l'IGS où il enquêta sur la bavure de la commissaire ; Eva Rosière, flic s'étant enrichie en écrivant des polars et des scénarios de téléfilms ; Merlot, vieux policier alcoolique ; et le caractériel Orsini, qui joue un trouble jeu avec les médias. Une fine équipe. Deux vieilles affaires attirent l'attention du groupe. La première sera confiée à Rosière et Lebreton. Il y a près de vingt ans, le marin Yann Guénan fut retrouvé dans la Seine, après avoir été exécuté. Fait majeur dans sa vie, lors du naufrage d'un navire à passagers, il put sauver des gens. Plus tard, il considéra Jallateau, constructeur du bateau, comme le grand responsable, élaborant un lourd dossier contre lui. Depuis, ce Jallateau s'est installé aux Sables d'Olonne, où il s'occupe de bateaux de plaisance. Le duo d'enquêteurs se déplacera jusqu'à lui, ce qui est assez confortable dans la Lexus d'Eva Rosière. L'homme est hostile, certes, ce qui ne le rend que modérément suspect. S'il existe une sorte de carnet de bord tenu par Yann Guénan, il faudrait que sa veuve Maëlle le leur confie. Si elle n'est plus en état de le faire, l'équipe de Capestan devra se débrouiller pour s'en emparer. Outre le cas bientôt résolu d'un jeune dealer fils de ministre, la deuxième grosse affaire concerne le meurtre d'une dame âgée sept ans plus tôt. La commissaire Capestan et le flic poissard Torrez s'en chargent. Ancienne institutrice habitant Issy-les-Moulineaux, Marie Sauzelle était encore fort active. Elle semble avoir été victime d'un cambrioleur, qui a fait aussi disparaître son chat. Quelques détails ne concordent pas, quand même. La maison n'a été ni vendue, ni entretenue depuis le décès. Tout juste est-elle surveillée par un des voisins, Serge Naulin, qui n'inspire guère confiance aux deux policiers. Un déplacement à Marsac, dans la Creuse, est nécessaire pour interroger le frère de Marie Sauzelle. Qui les accueille mal, avant d'être plus courtois. Par ailleurs, grâce aux contacts d'Orsini, le cas du dealer "fils de" connaît une certaine médiatisation afin de ne pas enterrer le sujet. Le groupe s'est légèrement étoffé, notamment avec la blonde lieutenant Evrard, ainsi qu'un expert en informatique et un brigadier. Malgré les avancées, le bilan des affaires Sauzelle et Guénan est peu encourageant. Anne Capestan doit remotiver son équipe : “Dans les films de guerre, celui qui dit "On va tous crever", il n'aide personne […] On enquête sans pression, sans procédure, sans comptes à rendre. On appartient toujours à la Police Judiciaire, on forme juste une branche à part.” Rosière et Lebreton ont déniché un possible lien entre les deux dossiers. La piste du jeune cycliste à l'allure colorée mériterait d'être suivie. Face à la position ambiguë du directeur Buron, Capestan et les siens vont devoir concurrencer leur collègue Valincourt et ses cadors de la Crim' du 36. Peut-être que la brigade de Capestan est moins ringarde, plus efficace, qu'on ne l'a cru… La comédie policière est un genre dont les rouages doivent être parfaitement huilés, afin que l'intrigue fonctionne correctement. D'abord, c'est sous le signe de l'humour que va se placer le récit : “Et toi, Eva, de la famille ? „Ÿ Oui, un chien et un fils. Mais des deux, c'est encore le chien qui téléphone le plus souvent, confia Rosière avec un haussement d'épaules fataliste.” L'auteure nous présente un groupe de flics déclassés. Elle parvient à éviter habilement un écueil courant, le risque de ne pas distinguer les personnages. Ici, chacun(e) possède assez de singularité pour être remarquable. On voit qu'il ne s'agit pas de tocards, mais de flics s'étant marginalisés au sein de la police. Entre l'exubérante Eva Rosière avec son chien Pilote, Torrez redoutant de provoquer des catastrophes, Lebreton et ses états d'âmes, on sourit beaucoup tout en apprenant à les apprécier. Beaucoup de remue-ménage en perspective, donc. Et l'aspect enquêtes criminelles, alors ? Que l'on se rassure, notre petit groupe est là pour résoudre des énigmes obscurcies par le temps, mais pas si impossibles à comprendre pour eux. Un brin de ténacité, une petite dose d'astuce, de menus détails oubliés, des vagues pistes négligées, et les voilà sur la bonne voie. À l'occasion de Quais du Polar 2015 à Lyon, le nouveau prix "Polar en séries" (dont le but est récompenser un livre, roman ou BD choisi pour son potentiel d’adaptation en série TV) a été attribué à “Poulets grillés” de Sophie Hénaff. Jolie récompense, méritée, pour ce premier roman de l'auteure. Du suspense, de l'humour, des péripéties agitées, un polar très divertissant : tous les atouts sont réunis pour plaire aux lecteurs.
Parution le 8 avril 2015. 340 pages. 18,50€. Grillés mais pas carbonisés ! Difficile de se refaire une virginité lorsqu'on a envoyé une balle en dehors du terrain, ou plutôt sur un individu, alors que la commissaire Capestan n'avait aucune raison de plaider la légitime défense, même si elle était en service. Depuis elle ronge son frein, écartée du service depuis l'obtention de divers blâmes et six mois de suspension administrative. C'est qu'on ne rigole pas dans la police. Heureusement son mentor, le divisionnaire Buron nommé au 36 quai des Orfèvres, pense à la sortir de l'Enfer pour la plonger dans un Purgatoire qu'elle va partager en compagnie de quelques bras cassés. Une brigade non officielle chargée de résoudre des affaires non élucidées. Alors elle n'officiera pas au 36 mais dans un appartement situé rue des Innocents (tiens donc !) et une quarantaine de collaborateurs issus de différents services devraient la rejoindre. Comme le signale Valincourt, directeur des Brigades centrales : on nettoie la police pour faire briller les statistiques. Les alcoolos, les brutes, les dépressifs, les flemmards et j'en passe, tout ce qui encombre nos services mais qu'on ne peut pas virer, on le rassemble dans une brigade et on l'oublie dans un coin. Capestan disposera de quelques subsides, de matériel de bureau disparate en provenance des rebuts, mais à cœur vaillant, rien d'impossible. Ils ne se bousculent pas au portillon ces déchus de l'administration policière dont les noms des prétendants possibles ont été déclinés par Buron, mais ils arrivent timidement sur leur nouveau lieu de travail. Le premier José Terrez, dit la Scoumoune, lieutenant de son état. Quasiment tous ceux qui ont été amenés à constituer un binôme avec lui ont connu un pépin, plus ou moins grave, lors d'interventions. Pas la recrue idéale pour une brigade en construction mais Capestan ne rejette aucun bonne volonté. Ensuite se présente à elle Lebreton, issu de l'IGS, celui qui l'a mise sur la touche. Mais à l'IGS, le ménage se fait entre amis, et le voilà promu commandant de placard. Il faut taire ses rancœurs car ils vont devoir travailler ensemble. Eva Rosière connait une belle carrière... comme romancière et scénariste de télévision. Elle a créé le personnage de Laura Flammes qui enregistre un gros succès d'audience après avoir cartonné chez les libraires. Seulement sa mise en disponibilité se termine et puis il faut renouveler les idées. Quoi de mieux que de se retrouver sur le terrain. Elle est constamment accompagnée de Pilote plus communément appelé Pilou, un chien qui sait apprivoiser les humains. Les autres membres du groupe, peu à vrai dire, arrivent au compte-gouttes, tel Merlot, qui porte bien son nom puisqu'il est catalogué comme alcoolique. Mais ce n'est pas le tout de jouer aux fléchettes, des cartons emplis de dossiers attendent d'être déballés et étudiés. Foin des banales affaires de vols de portables, il leur faut du solide, du concret. Le premier, Lebreton met au jour un dossier remontant à 1993, estampillé Orfèvres. Yann Guénan, tué par balles, repêché dans la Seine, le corps coincé dans une hélice. Comme Capestan possède un sérieux contentieux avec Lebreton et que personne ne souhaite faire équipe avec Torrez, elle désigne d'office Eva Rosière qui remonte ses manches, prête à se plonger dans les archives. Capestan déniche une autre enquête sur laquelle se plonger. Une vieille dame, Marie Sauzelle, soixante-seize ans, retrouvée étranglée lors d'un cambriolage en 2005 en prche banlieue parisienne. Toutefois en examinant les clichés pris sur le lieu du drame, des anomalies, insignifiantes, l'incitent à se pencher un peu plus ce problème non résolu. Une enquête qui semble bâclée et qu'elle va reprendre en compagnie de Torrez, le chat noir. Elle assume. Tout le monde sur le pont, car trois où quatre autres éléments toquent à la porte de l'appartement afin d'intégrer cette brigade vraiment spéciale, et chacun va se répartir les taches, allant même jusqu'en province, afin de recueillir des témoignages aléatoires de proches encore vivants. Mais cela ne va pas s'avérer une partie de plaisir pour cette brigade qui pourrait s'appeler, comme dans les recueils de nouvelles de Roy Vickers : le Service des affaires classées. Et peu à peu les inimitiés qui auraient pu pourrir les relations entre les différents protagonistes de cette brigade vont se tasser et même au contraire une complicité va s'établir, encouragée par la présence canine de Pilou. Des moments amusants, humoristiques même, et parfois l'émotion, parsèment cette intrigue admirablement construite même si l'on se demande où l'auteur veut entraîner son lecteur, lorsqu'à un détour des pages on se retrouve sur l'île de Key West en Floride en 1991. Evidemment ceci n'est pas anodin, et l'on se doute que Sophie Hénaff tente de nous emmener en bateau. Mais nous partageons ce voyage en toute confiance, même si l'on sait que ce ne sera pas de tout repos et que les embûches guettent au coin des rues et sur mer.
Ce roman a obtenu le premier Prix Polar en séries 2015 décerné lors de la dernière édition de Quai du Polar. |
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