GIL GRAFF

Un caprice du hasard oblige Éliane à séjourner dans un petit village catalan, El Forat dels Innocents, vers le 15 août. Pimpante et court vêtue, cette jeune femme de vingt ans déplaît immédiatement à Sylvaine. C’est la patronne du bistrot local, s’estimant reine de la bourgade. Surnommé La Gamelle car il marche avec difficulté, Sébastien vient en aide à Éliane, lui proposant de l’héberger. Ce simplet, limite bègue, le dernier de la famille Aparegut, habite dans une grande maison où il vivait avec sa défunte Mémé. Éliane apprivoise vite Sébastien. Le gendarme mystique Maurice et le gnome parano Martial, 1m45, ont aussi remarqué la nouvelle venue.

Sébastien fait visiter à son invitée son “zome”, maisonnette qu’il a bâti en cachette. Ce lieu apaisant est construit autour d’un puits recelant des restes humains, selon la légende. Éliane raconte à Sébastien et à Martial qu’elle est en fuite, pourchassée par des macs. Le coffre de sa voiture en panne contient deux cadavres. En réalité, il s’agit de deux victimes collatérales de la mission qu’elle s’est imposée, en mémoire de son défunt petit frère Noé. À cause de cet épisode inattendu dans leur vie, Sébastien et Martial en oublient de prendre leur traitement médical. Idem pour le gendarme Maurice, abandonné par sa hiérarchie. Lui, c’est parce qu’il se souvient d’avoir rencontré autrefois Éliane – qui se prénomme Évita.

Éliane ayant besoin de vêtements, Maurice la conduit avec Sébastien et Martial à Thuir, la ville voisine. La jeune femme vient surtout repérer l’hôpital psychiatrique. Échappant au confinement villageois, Maurice se dit qu’ils vivent tous “comme en réclusion plus qu’en résidence.” Il s’interroge sur cet ouvrier qui rôde dans le village, semblant les surveiller. La paranoïa de Martial n’est sans doute pas si injustifiée. Privé de cachets, Sébastien sent que l’autre personne qui sommeille en lui, le cruel et violent Angus, se réveille. Risquant des crises, il prévient ses amis, qu’il veut épargner. Sylvaine et la vieille Gisèle complotent contre Éliane et Sébastien...

Avec la belle Éliane, nous débarquons dans un village de dingues. On réalise rapidement que ces gens sont plutôt déjantés. À l’image de la vieille Gisèle, confiturant les créatures qu’elle a sous la main. Ou de feue la Mémé de Sébastien, dont les mœurs furent singulières. Autre cas : le mystique Maurice, et ses bains de siège méditatifs. C’est dire que l’on croise ici une belle galerie de personnages particuliers. La lucide jeune héroïne ne se trompe pas en adoptant les plus attachants, Sébastien et Martial. Derrière cette savoureuse fantaisie, l’intrigue est bien présente. On nous dévoile par petites touches les secrets des uns, la démence des autres, et la réalité des faits. Voilà un roman très original, extrêmement agréable à lire.