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CHRISTOPHE GUILLAUMOT |
La Chance Du PerdantAux éditions LIANA LEVIVisitez leur site |
717Lectures depuisLe mardi 10 Octobre 2017
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Une lecture de |
Au sein de la police de Toulouse, la section "courses et jeux" est presque inexistante, juste un duo de flics en marge des autres services. Le lieutenant Jérôme Cussac, surnommé Six, n’a guère brillé dans sa courte carrière. Il reste obnubilé par un gros ratage avec une agente de la DGSE, Juliette, disparue depuis. Quand il aura des nouvelles d’elle, ça fera empirer son état moral. Cussac ne se sent guère "chef", son adjoint étant plus efficace que lui. Renato Donatelli est logiquement appelé le Kanak, puisque originaire de l’Île des Pins, en Nouvelle-Calédonie. Costaud de grande taille, il montre une sympathie rugueuse envers son entourage professionnel. Il n’affiche pas ses soucis bien que la santé de Grand-Mama, sa seule famille, l’inquiète. Certes, il pourrait placer la vieille dame en maison de retraite, mais serait contraint de vendre le manoir de celle-ci, dont il est l’héritier. La brigade des Jeux n’est pas inactive, traquant les paris illégaux, même au cœur de la cambrousse, vérifiant si tout est en règle au casino. Par contre, s’attaquer au cercle de jeux clandestin du mafieux Samuel Ghotti est plus épineux. Il est trop bien renseigné pour se faire prendre. On ne peut espérer que sa maîtresse, la sculpturale Fang, ou son homme de main Abel le trahiront. L’intervention du duo chez Ghotti est un échec, premier round perdu mais qui suppose une revanche. Cussac et le Kanak trouvent bientôt du renfort. Le jeune Jules, futur policier, est un magicien hors pair. Et Serge, retraité expert en trucage des paris, ex-mathématicien, s’avère fort compétent en matière d’analyses statistiques. On a découvert un cadavre dans un bloc compacté de déchets plastiques. Le mort s’est introduit la nuit dans le centre de tri, avant d’aller se jeter dans la broyeuse. Une façon horrible de se suicider, mais la vidéo-surveillance confirme que personne autour ne l’y a obligé. Pour le policier Marc Trichet, c’est une affaire rapidement close. La jeune May est employée dans ce même centre de tri des poubelles. Avec l’aval de son directeur, elle se garde bien de révéler qu’elle a trouvé la sacoche du suicidé. Outre son goût pour les tatouages, May exerce en toute discrétion sa passion : le street art. Les peintures murales dont elle est l’auteure ne sont pas autorisées, sont parfois gâchées par des tagueurs, mais l’essentiel pour May est d’agir en toute liberté. La photo du suicidé l’inspire, pour en tirer un portrait, une fresque destinée à un mur citadin. N’étant pas concerné par le dossier géré par Marc Trichet, le Kanak reconnaît quand même le visage du suicidé peint par May. Il compte bien la retrouver, pour y voir plus clair. Par ailleurs, son équipe s’aperçoit que la quantité de suicides de parieurs intensifs a explosé depuis six mois. Avec quelques cas de morts très singulières. Établir un point commun ne paraît pas simple. La mort du suicidé au centre de tri des poubelles crée des remous. C’est ainsi qu’un tueur va se charger du nettoyage, supprimant des gens trop curieux. Peut-être qu’une intervention de la BRI chez Samuel Ghotti, avec la brigade des Jeux, pourra faire avancer l’enquête. Ne serait-ce que pour situer les complicités… (Extrait) “— Il faut bien connaître le site pour atteindre le compacteur, commente l’enquêteur. Il faut, je suppose, savoir déclencher la machine, éviter de faire sonner une alarme. — Oui, c’est la première fois que ça arrive. Mais des visites pour les particuliers sont organisées sur le site. Cet homme a pu avoir l’idée de se suicider de cette manière atroce en profitant des explications du guide. Ce que je ne comprends pas, c’est comment on peut mettre fin à ses jours en ajoutant de la souffrance. C’est terrible d’être désespéré à ce point. Trichet ne commente pas. Ce qu’il voit, lui, c’est que l’homme broyé dans les bouteilles de plastique s’est suicidé. Et qu’un suicide n’est pas un crime. Affaire classée.” L’addiction aux jeux n’est pas un phénomène anodin. Un parieur ne dit pas "J’ai perdu cinq cent Euros", mais "Je me suis fait avoir de cinq cent Euros". Ça n’a pas du tout le même sens, dans son esprit : cet argent, il aurait dû le gagner en jouant. Fièrement, il cite la belle somme de ses gains du dernier semestre. Oubliant qu’il a misé, et perdu, cinq à dix fois plus. Troublant exemple de déni. Il est au-delà de l’excitation du jeu, il se persuade d’être un gagnant permanent. Certaines mises sont relativement faibles, mais atteignent des totaux conséquents en les multipliant. Le joueur addictif ne veut pas entendre ce raisonnement, croyant faussement qu’il fait un bénéfice. Or, dans la quasi-totalité des cas, il s’endette. Parfois lourdement, au point que ça détruit sa vie. Les moyens de lutter contre les jeux illégaux semblent dérisoires. Parce que "ce n’est pas si grave" d’organiser localement des paris ; parce qu’un cercle de jeux reste un lieu privé où le flagrant délit est difficile à constater. Dans la hiérarchie des crimes et délits, ce n’est évidemment pas une priorité pour les autorités. Pourtant, le jeu d’argent s’est mondialisé comme tant d’activités. À qui profite-t-il vraiment aujourd’hui, quand Internet permet de miser sur tout et son contraire ? L’image du casino traditionnel, avec ses tables de black jack ou de baccara, ses tournois de poker, la roulette et ses rituels, les machines à sous crachant la monnaie, tout un univers mythifié. Plutôt sympathique, puisqu’on n’évoque jamais les perdants. Mais la réalité actuelle est probablement plus glauque. Policier toulousain expert en ce domaine des jeux, Christophe Guillaumot ne se contente heureusement pas d’une intrigue où primerait l’aspect documentaire. On espère que son équipe ne ressemble pas exactement à celle qu’il présente. Avec un jeune flic mal dans sa tête, un aspirant policier doué comme illusionniste, un retraité matheux ex-tricheur, et un géant bienveillant et réactif venu de lointaines îles du Pacifique. Chacun son vécu et ses tracas, voire ses déséquilibres dans la gestion du quotidien, principalement pour le Kanak et son collègue lieutenant de police. On éprouve vite de l’empathie à leur égard. Bien que n’appartenant pas à la Criminelle, ni aux Stups envers lesquels existe une rivalité, cette équipe va s’impliquer dans l’enquête sur la mort de parieurs. S’impliquer, c’est le mot. Y compris pour les beaux yeux d’une graffeuse sauvage, peut-être un peu trop curieuse. Une histoire fort bien construire où, malgré un chassé-croisé de situations offrant une sacrée densité au scénario, on suit avec grand plaisir les péripéties. Un polar noir franchement convaincant… |