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DAVID GOODIS |
La Blonde Au Coin De La RueAux éditions RIVAGESVisitez leur site |
1229Lectures depuisLe mardi 21 Decembre 2016
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Une lecture de |
Philadelphie, à la fin de l’année 1936. Âgé de trente ans, Ralph Creel présente une vague ressemblance avec Douglas Fairbanks Jr. Célibataire sans emploi, il vit dans sa famille. Sa mère le traite de paresseux, mais sans se montrer cruelle envers lui. Son père est réaliste quant aux difficultés de trouver un boulot, lui-même préservant le sien en usine. Adeline et Evelyn, les sœurs de Ralph se chamaillent beaucoup, entre elles ou contre lui. Il glane quelques cents auprès de ses parents, pour s’acheter des friandises ou des cigarettes. Il rejoint quasiment tous les soirs ses trois amis aussi trentenaires, dans la rue. Dingo (de son vrai nom Philip Wilkin), Ken le musicien qui rêve de la Floride, et George sont autant en galère que Ralph, imaginant des plans qui n’ont aucune chance d’aboutir. Qu’attend Ralph de la vie ? Lui-même n’en sait trop rien. La fille de ses rêves ? C’est plus ou moins vrai. Car la perspective d’avoir un boulot, un peu de fric, et une épouse n’excite que modérément Ralph. Le bonheur conjugal lui paraît un leurre. Pourtant, une femme l’aguiche depuis quelques temps, afin qu’il tombe dans ses filets. C’est la blonde Lenore, mariée au frère de Dingo. Elle a des formes, elle est séduisante à sa manière, elle trompe probablement son jeune mari avec des hommes virils. Chez les Wilkin, les disputes sont fréquentes entre Lenore et son époux, ou entre la jeune femme et la mère de Dingo. Quoi qu’il en soit, Ralph n’a pas envie de céder aux avances de cette diablesse. Lui qui est dans la dèche, il préfère encore rêver de fortune, même si ça le fait un peu enrager. Le samedi soir, Ralph suit ses amis dans les soirées combinées par Dingo. Cette fois-là, il y a bien quatre filles qui y participent, chez une nommée Agnes, à l’autre bout de la ville. Pas vraiment attirantes, ces jouvencelles. À part peut-être Edna Daly, récemment installée dans leur quartier, sans emploi elle aussi. Ralph ne s’éternise pas avec ses amis ce soir-là. Mais dans les jours qui suivent, il traverse à nouveau la ville pour reprendre contact avec Edna. Sans doute est-il maladroit, mais elle semble lui trouver un certain charme. Si Ken dispose de la maison de ses parents pour y faire la fête avec ses amis, Ralph sait bien qu’il ne devrait pas abuser de l’alcool, risquant une mémorable gueule de bois. Au moins ici, l’ambiance est-elle moins nerveuse que dans la maison des Wilkin, chez Dingo. Ralph trouve un job de magasinier, pour les ventes festives de fin d’année. Ça fera un peu d’argent, mieux que rien, même si c’est une activité fatigante. À cause d’un mauvais climat au boulot, on n’est pas à l’abri d’une bagarre. Côté femmes, reste à faire un choix entre la tranquille Edna et la provocatrice Lenore… (Extrait) “— Je ne voulais pas le frapper. Il était saoul. Il ne pouvait pas se défendre. Ralph secouait toujours la tête. Il avait honte de lui. Relevant les yeux, il lança un regard noir à Dingo et marmonna : Tout ça c’est de ta faute. Pourquoi est-ce que tu as commencé à l’asticoter ? […] Ralph baissa la tête. Il avait envie de vomir. Il oublia la brûlure de ses phalanges à vif, la douleur lancinante qui irradiait sa mâchoire. Il ne pensait qu’au sang jaillissant de la bouche de l’ivrogne, à la souffrance mêlée de rage qu’il avait lue dans ses yeux rougis, et cela lui soulevait le cœur. Il n’était pas fier de ce qu’il avait fait…” Quand on est passionné de romans noirs, on a trop vite tendance à croire que "tout le monde connaît" David Goodis (1917-1967) et son œuvre. Bon nombre de ses titres, tels “Le casse”, “Tirez sur le pianiste”, “La lune dans le caniveau”, “Rue barbare”, n’ont-ils pas été transposés au cinéma ? N’a-t-il pas été souvent réédité par les éditeurs français ? En effet, mais la grande majorité de ses romans est nettement moins "visible" depuis quinze à vingt ans. S’il figurait toujours au catalogue Rivages, “La blonde au coin de la rue” (qui date de 1954) fut à l’origine traduit et publié en 1986. Pour les trente ans de Rivages/Noir, ce livre est à nouveau disponible. Remettre Goodis à l’honneur, excellente initiative. Parce qu’elle évoque des victimes de la crise économique d’avant-guerre aux États-Unis, cette histoire n’est pas sans rappeler James M.Cain ou Horace MacCoy, quant aux thèmes sociaux. Car Ralph est loin d’être le seul homme qui attend à un coin de rue qu’il se passe quelque chose dans sa vie, à songer avec une certaine acrimonie à cette fortune qui lui échappera toujours, à imaginer une vie de famille stable dans un confort correct. Même si ses réactions peuvent s’avérer violentes, Ralph n’est pas un mauvais bougre. Devenir un malfaiteur, un voleur, ne lui vient pas à l’esprit. Simplement, il ne trouve pas sa place dans la société, dans son époque. Alors, il traîne avec ses amis, guère plus reluisants que lui. David Goodis, c’est l’écrivain de la sombre fatalité. Ici, aucun de ses personnages n’est en mesure de quitter le milieu dans lequel ils végètent. L’espoir de Ken ¯ devenir un auteur de chansons populaires ¯ apparaît illusoire. Est-ce que Dingo pense trouver une femme en organisant ses soirées chez des inconnues ? On en doute fort. Pas de sursaut à venir chez George, non plus. Rien d’amusant quand on observe le quotidien de ce quatuor. Pas de misérabilisme, non plus. Ils sont juste englués dans leur pauvreté, Ralph en tête. Un auteur majeur et un roman noir à redécouvrir, en particulier pour de nouvelles générations de lecteurs. |
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