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PIERRIC GUITTAUT |
D'ombres Et De FlammesAux éditions SERIE NOIREVisitez leur site |
1287Lectures depuisLe jeudi 27 Mai 2016
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Une lecture de |
Sa hiérarchie estime le major de gendarmerie Fabrice Remangeon incapable de maîtriser ses réactions violentes dans certains cas. C'est ainsi qu'il est muté dans le village solognot dont il est natif, où il n'est plus retourné depuis longtemps. Âgé de quarante-huit ans, il reste marqué par la soudaine disparition de son épouse Élise, dix ans plus tôt. Bien qu'elle ait peut-être choisi un départ volontaire, Remangeon y pense de façon obsessionnelle. En disgrâce dans cette bourgade d'un millier d'âmes, le major devra s'accorder avec l'équipe en place : l'adjudant-chef Manuel de Freitas, la séduisante brigadière-chef antillaise Aimée Toussaint et la brigadière Geretz. Parmi la population locale, quelques personnes se souviennent probablement que le père du gendarme fut rebouteux. Un guérisseur très efficace, dont la clientèle venait parfois d'assez loin. Des rumeurs le qualifiaient même de sorcier, ce qui n'était pas absolument faux. Fabrice Remangeon préféra tourner le dos à ces pratiques. Si certaines superstitions ont encore cours ici, une autre tradition ne change pas : le braconnage. Les propriétaires terriens de Sologne exploitent de longue date des parcs destinés à la chasse. Les cervidés sont la cible des braconniers, pour un trafic fort rentable. Concessionnaire automobile à Romorantin, Patrick Vailly en a été victime, perdant plusieurs animaux. Il est facile de soupçonner Tristan Lerouge, dont la fâcheuse réputation n'est pas usurpée. Depuis des décennies, il chasse illégalement. À la fois le gibier et les femmes, se vante-t-il souvent. Il est maintenant marié à une Ukrainienne, Irina, qui lui sert d'objet sexuel. Elle ressemble tant à Élise, que le major peut effectivement s'y méprendre. Selon l'oncle de son défunt copain d'enfance Teddy Jambart, qui fut un cancre charismatique, Remangeon devrait admettre définitivement qu’Élise ne reviendra plus. Le gendarme renoue avec son amie de jeunesse Delphine, qui vit toujours à la ferme avec ses parents âgés. Son élevage de faisans, destinés à la chasse dans les parcs du secteur, semble menacé. Pas de raison précise si ses bêtes dépérissent, mais on peut envisager une "intervention extérieure". Tristan Lerouge ayant des notions de sorcellerie, Delphine souhaiterait que Remangeon applique les remèdes de son père pour contrer un envoûtement. Tandis qu'ils traquent nuitamment les braconniers, les gendarmes subissent des accidents avec leur véhicule. Si le premier accrochage touche le major, c'est Aimée Toussaint qui est victime dans le second cas. Remangeon continue à se sentir mal, peut-être visé par un sortilège. Interrogé par les gendarmes, Tristan Lerouge répond qu'il est jalousé par ceux qui envient ses succès et sa liberté. Le major et sa brigade se lancent sur la piste de gardes-chasses douteux, et surveillent une casse automobile plutôt suspecte. La disparition d'Élise, le rôle de Lerouge, celui de Vanessa Vailly, les trafics de cervidés, autant d'énigmes auxquelles le gendarme cherche des réponses… Si la Sologne évoque des paysages campagnards, on peut penser que beaucoup de gens ne situent pas très bien cette région, au sud d'Orléans, à l'est de Blois, au nord de Vierzon et de Bourges. Des étangs et des rivières (la Sauldre, le Beuvron, le Cher), de multiples parcelles forestières, quelques villes et des communes rurales, c'est le pays du braconnier Raboliot (de Maurice Genevoix, 1890-1980). Comme partout, l'urbanisation gagne du terrain, mais l'élément sauvage y est sans doute un peu mieux préservé qu'ailleurs. Quant à la population, de natifs ou pas „Ÿ car elle n'est plus forcément d'origine, elle accepte un rythme différent de celui des grandes villes. Croire que “tout le monde se connaît” dans ces villages, c'est un mythe plus vraiment de saison véhiculé par les citadins. L'auteur place son histoire sous le signe de la sorcellerie. Dans la France de naguère que certains passéistes imaginent paradisiaque, il y a quarante à cinquante ans, ces croyances restaient présentes. Un guérisseur valait mieux qu'un médecin, son don pour soigner étant naturel, de même que ses potions. Les superstitions ayant aussi leur effet placebo, la crédulité faisait parfois des miracles. Ces sorciers du 20e siècle ne détestaient pas être considérés tels des jeteurs de sorts, capables du Bien comme du Mal. Qu'en est-il depuis que la technologie de pointe a envahi nos vies, que sont omniprésents des appareils de toutes sortes, que notre tempo quotidien s'est accéléré ? Le major Remangeon prétend ne plus croire dans les envoûtements et autres maléfices, mais est-ce tellement vrai ? Voici donc le contexte de cette intrigue. Au centre, un personnage tourmenté. “Tu es un homme juste” lui dira en conclusion son amie Delphine. Le lecteur en sera moins certain. Cette étape de son existence permet au gendarme de gagner un peu d'apaisement, après un bouillonnement intense. Pas seulement intérieur : c'est intrinsèquement un être violent et asocial. À cause du manque de réponses sur la disparition de son épouse, en partie. Et de sa propension à jouer les justiciers, sûrement. Autour, dans ce décor solognot qui le rebute, des bons et des méchants : à lui de faire le tri. Plutôt que de l'associer au “nature writing”, il s'agit d'un noir polar réussi quant à son ambiance tendue, entre psychologie et péripéties. |