Maurice Gouiran confie une nouvelle fois à son héros récurrent, Clovis, la lourde tâche d’exhumer une page de l’Histoire du siècle dernier, celui des guerres, des révolutions et de la décolonisation, celui des génocides de masse, celui du triomphe de l’inhumanité, celui qui n’aura vu ni décréter le « salut commun », ni l’internationale être le genre humain. Mais, afin de gratter les palimpsestes, où les copistes ont superposé aux atrocités commises dans la « Maternité des Ardennes », Lebensborn initié par Heinrich Himmler, dans le cadre de la politique d'eugénisme, celles des vols de nourrissons par des filaires franquistes, tardivement dévoilées par un juge hâtivement dessaisi, autant de monstruosités vites ensevelies sous le souvenir effacé des massacres de Sabra et Chatila, Maurice Gouiran laisse sa plume courir librement et son personnage, Clovis, partir à la recherche d’un ami disparu. Car tout est là, dans ce simple constat : François a disparu. Et Clovis ne peut refuser à sa femme, Samia, une Palestinienne qu’il a rencontrée en 82, lors des massacres de Sabra et Chatila, de partir à la recherche de François. François a quitté Marais poitevin pour Barcelone… Clovis quitte la Varune pour Barcelone dans l’espoir de retrouver la trace de son vieil ami… De fil en aiguille, Clovis va déchiffrer le passé que d'aucuns appellent Histoire mais prennent soin de le nettoyer à la pierre ponce afin d’en effacer toute trace, tout témoignage qui mettraient en cause leur responsabilité. Et au terme de cette quête, où probablement seul un fragment de vérité est mise à jour, Maurice Gouiran semble accepter le droit à l’oubli… Mais il est vrai que l’on ne peut oublier que ce dont on se souvient
Une autre lecture duL'hiver Des Enfants Volésde PAUL MAUGENDRE |
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Parution le 15 mai 2014. 240 pages. 18,50€. Maurice Gouiran est le Alain Decaux du roman noir de l'histoire contemporaine. Entrer dans un roman de Maurice Gouiran, c'est un peu comme lorsque l'on regardait l'émission Alain Decaux raconte, dans les années 1970. Tout en sobriété, sur un plateau dépouillé, mais efficace, entretenant sous le charme le téléspectateur, avec un ton tour à tour vif et confidentiel, subjuguant son auditoire, le faisant palpiter en narrant ses petites histoires de la grande Histoire. En cette fin du mois de janvier 2013, le temps est maussade sur la Varune, près de Marseille, et Clovis Narigou se réchauffe près de sa cheminée lorsqu'il est dérangé dans son assoupissement. Trois coups timides frappés à la porte et il est tout étonné de découvrir devant lui Samia qu'il n'a pas revue depuis dix ans. Samia, celle qu'il a aimé, aime peut-être encore, et à laquelle il n'a jamais osé déclarer sa flamme, à cause de son ami François. François, légèrement plus âgé que Clovis, grand reporter comme lui, et avec qui il a parcouru le monde, étant ensemble sur la plupart des points chauds du globe. Ils se sont connus en septembre 1982, ils étaient en reportage au Liban, alors que le pays était déchiré et pliait sous les exactions des phalangistes chrétiens et les bombes israéliennes. C'est ainsi qu'ils se sont trouvés à Beyrouth, à Sabra et Chatila lors du massacre et à Jiyeh ils ont sauvé Samia, réfugiée à l'abri des rochers, ayant été laissée pour morte par un commando de phalangistes se présentant comme soldats israéliens à la recherche de membres de l'OLP. Entre Samia et François ce fut le coup de foudre, ils se sont mariés une fois rentrés en France et se sont installés près de Niort. Mais justement François a disparu depuis quelques semaines, et n'a plus donné de ses nouvelles. Samia inquiète fait donc appel à son vieil ami Clovis qui accepte de retrouver le reporter qui, comme lui, a pris sa retraite mais effectue quelques piges de temps à autre pour un journal. Il était parti enquêter sur deux accidents étranges qui se sont déroulés à Barcelone et depuis le douze janvier il n'a plus donné de ses nouvelles. Clovis ne peut qu'accepter la mission de partir en Espagne par amitié pour François et Samia, mais auparavant il s'introduit dans le coffre-fort virtuel de son ami afin de compulser les documents que celui-ci a pu glaner, grâce au code fourni par Samia. Ces notes concernent principalement les enlèvements et le trafic d'enfants durant la période franquiste, un problème soulevé par le juge Balthasar Garzón, qui d'ailleurs a été démis de ses fonctions. Il n'est pas bon de remuer la boue, surtout que de nombreux franquistes ou néo-franquistes ont la nostalgie de cette période. Au départ, et sous l'impulsion d'un psychiatre militaire illuminé, Vallejo-Nàgéra, les enfants étaient enlevés à leurs familles Rouges dans le but de leur extirper un prétendu gêne communiste. Et les nourrissons étaient placés dans des familles phalangistes qui devaient les éduquer selon les valeurs morales du régime. Si l'on peut parler de valeurs morales dans ce cas. Or ce trafic d'enfants a perduré après le décès de Franco, principalement dans une communauté religieuse, la clinique Santa Isabel jusqu'au début des années 1980. Des nourrissons déclarés mort-nés et vendus à de riches familles en quête de progéniture. Cette institution a été transformée en maison de retraite, c'est ce qu'apprend Clovis en fouinant et auprès d'une amie journaliste espagnole, Fabiola, qui travaille pour El País à Madrid. Les deux décédés se nommaient Pedro Manoel Garriga, passé sous une rame de métro le 21 novembre, et Maria Luisa Pinto, renversée par une voiture le 23 novembre. Or ces deux quadragénaires, nés à quelques jours de distance et dans la même clinique Santa Isabel, s'étaient lancés à la recherche de leurs parents biologiques et avaient lancés une action en justice contre l'établissement catholique. C'est un journaliste espagnol Ezquerro qui avait levé le lièvre et en avait fait part à quelques collègues dont François. Essayant de remonter la piste de François, sans pouvoir mettre la main dessus, Clovis découvre d'autres documents nommés Edda, et dans lesquels François qui avait des doutes sur sa naissance, raconte ses recherches conjointes sur le Lebensborn allemand, des pouponnières créés à l'initiative de Heinrich Himmler et dont le but était fournir à la patrie hitlérienne des enfants aryens, issus de filles-mères possédant des qualités raciales ne souffrant d'aucune contestation et de soldats SS possédant le profil type. Clovis va se rendre de Barcelone à Madrid puis dans de petits villages, et même ailleurs, allant de surprises en surprises, parfois au péril de sa vie. Une fois de plus Maurice Gouiran s'est attaché à gratouiller l'histoire et mettre en avant des pratiques honteuses longtemps passées sous silence. Il ne dépoussière pas l'Histoire, mais il enfile sa panoplie de spéléologue pour aller aux tréfonds de ce que certains considèrent comme des faits-divers mais qui sont des épisodes malheureux et honteux. Des rumeurs circulaient mais aussitôt démenties par les pays dans lesquelles elles ont eu lieu. L'eugénisme prôné par un dément et facilité par des intégristes catholiques en Espagne, le vol et le détournement d'enfants qui par la suite devint un véritable trafic même après la fin du franquisme et un nouveau gouvernement, et par des fascistes qui pensaient régner sur le monde en procréant une race pure. De toute façon, l'eugénisme est une pensée philosophique que bien des savants continent à explorer malgré tout sous diverses formes. Plus qu'à une histoire, c'est à une leçon d'Histoire à laquelle Maurice Gouiran nous convie, avec rigueur, sobriété, émotion et l'épilogue est particulièrement poignant.
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