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AGNES GROSSMANN |
L'enfance Des CriminelsAux éditions POINTSVisitez leur site |
276Lectures depuisLe samedi 19 Avril 2014
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Une lecture de |
Patrice Alègre, Marc Dutroux, Michel Fourniret et Monique Olivier, Guy Georges, Francis Heaulme, Émile Louis, Thierry Paulin, Mamadou Traoré : sinistre énumération, s'agissant de tueurs en série. Non seulement ils ont fait la “une” de l'actualité, mais on continue ponctuellement de les évoquer. Peut-être parce qu'ils apparaissent tels des loups garous de notre temps, des monstres dont – en particulier – les femmes doivent se méfier. Leurs parcours montrent pourtant qu'ils furent tardivement suspectés. Avec son visage ouvert et sa générosité, qui eût soupçonné le tueur de vieilles dames Thierry Paulin ? Émile Louis, un “pépère pervers”, on a longtemps eu du mal à l'imaginer. Certes, à peu près tous ont fait l'objet d'alertes, ont eu affaire à la Justice ou ont été repéré pour de simples méfaits. Ces meurtriers furent assez habiles pour ne pas se faire prendre trop vite. Les avocats ne plaident plus, aujourd'hui, “l'enfance malheureuse” de leurs clients. C'est estimé trop usé, cet argument caduque. D'ailleurs, ça n'excuserait nullement les crimes qu'ils ont commis. Les traumatismes de l'enfance, la brutalité et les violences répétées de la part d'un père, ça ne conduit pas forcément à tuer. Adulte, on peut se corriger, ou bien tomber dans l'ivrognerie, garder une grosse part de haine envers la terre entière, sans que ça oblige à devenir assassin. Dans ce livre, les interviews du neuropsychiatre Serge Bornstein et du psychologue Philippe Herbelot, experts auprès des tribunaux, parlent de la pulsion criminelle : “Elle vient des fragilités de l'enfance, qui entraînent chez un sujet une grande sensibilité qui va le faire souffrir toute sa vie.” Toutefois, ces tueurs ne sont pas des victimes à plaindre. Utilisant une séduction parfois trouble, ce sont des chasseurs. Ces huit portraits, débutant par l'exposé de leurs crimes, ne sont absolument pas destinés à absoudre leurs actes. Par contre, “comprendre” leurs motivations est essentiel. Dans le cas de Patrice Alègre, fils d'un CRS souvent absent et d'une blonde coiffeuse aimant faire la fête, on réalise l'hérédité offerte au personnage. Il vit sa mère pratiquer certains actes sexuels avec des hommes de passage, il fut battu par son père alors qu'il essayait de protéger sa mère, néanmoins fautive mais pas à ses yeux. Les psychiatres ont remarqué qu'Alègre tuait autour de moments festifs, après avoir généralement provoqué le refus de jolies femmes. Laxisme de la mère, rigidité du père, relation de cause à effets avec son enfance, ou pas ? Ses fugues et errances d'adolescents, compensées par plusieurs années de vie en couple, la drogue pour attirer quelques-unes des victimes, tout un parcours. Natif de Metz, entre sa mère et sa sœur, l'enfance de Francis Heaulme fut cruelle. “La vie à la maison était très dure. Ma mère était très malheureuse avec mon père, ma sœur aussi. Nous n'avions le droit de rien faire, nous ne pouvions pas sortir... Mon père battait beaucoup ma mère. Je m'interposais entre eux pour ne pas que ma mère prenne des coups... Mon père buvait, c'était un fauve. Il nous martyrisait à coups de ceinturon.” Non, en effet, ça ne justifie pas de tuer des enfants ou des femmes par la suite. Ça peut quand même expliquer que Heaulme soit devenu un routard, sans véritables attaches. Pour ce qui est de capter l'état d'esprit du tueur, exemple même de ceux n'ayant jamais formulé de vrais regrets, l'enfance est-elle un élément déterminant ? On peut penser que c'est ce qui l'a rendu taiseux, introverti, sans que ce soit une circonstance atténuante. Devant les psys, Mamadou Traoré a été catégorique : “Mon passé n'a rien à voir avec les faits qui me sont reprochés.” Possible, pourtant cet homme né au Sénégal en 1973 voue une haine tenace à ses parents. Peut-être parce qu'à sa naissance, il pense n'être venu au monde que grâce aux pratiques vaudou de sa mère ? Plus tard, il est déraciné en venant en France, rate sa scolarité, s'avère très éprouvé par le divorce de ses parents. Fugues, mauvaises fréquentations dans des bandes, retour au Sénégal puis de nouveau en France. Beaucoup trop d'instabilité pour un adolescent fragile, mal dans sa vie ? Sûrement, sans qu'il s'agisse d'excuses, il faut le répéter. Tels sont les faits, idem pour Guy Georges, Émile Louis, Thierry Paulin, Marc Dutroux, Monique Olivier et Michel Fourniret (même si celui-ci n'eût pas de parents méchants). Publié dans la nouvelle collection Points Crime, dirigée par Stéphane Bourgouin, ce livre est préfacé par Christophe Hondelatte, avec lequel l'auteure a collaboré à la télévision. On ne peut qu'avoir peur de tels personnages ingérables. On n'a pas envie de croire qu'ils posséderaient un “bon fond”, une humanité. Pourtant, se faire une opinion à leur sujet, ça inclut de savoir d'où ils viennent. Un ouvrage passionnant. |