polarama de David GORDON


Polarama GORDON202

DAVID GORDON

Polarama


Aux éditions ACTES N OIRS

2442

Lectures depuis
Le dimanche 23 Juin 2013

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David GORDON




Une lecture de
CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER  

New-yorkais natif du Queens, Harry Bloch est écrivain. Pas de ceux qu'ont trouve dans les listes de best-sellers, ou qu'on invite dans les milieux intellos. Autrefois, quand il vivait avec Jane, Harry imaginait une carrière sous le signe de la poésie. En attendant, il signait des chroniques dans un magazine porno, d'improbables conseils aux lecteurs. Jane étant partie voguer dans les sphères de l'édition, et Internet ayant supplanté les publications pornos, Harry devint auteur de romans populaires. Sous pseudonyme, il a écrit une série de SF, puis des polars ayant pour héros un détective afro-américain dans les quartiers sensibles. Des romans alimentaires, lui permettant de vivre décemment, sans plus. C'est avec ses histoires mêlant érotisme et vampires qu'il connaît un modeste succès. Ils sont signés Sybilline Lorindo-Gold, du nom de sa mère. Harry visualise mal le lectorat d'adultes appréciant ses élucubrations vampiresques, l'essentiel étant que ça se vende.

Claire Nash est une ado pragmatique, d'une riche famille de la ville. Grâce à elle, Harry a gagné un peu d'argent en rédigeant les devoirs de ses amis étudiants. Maintenant, Claire est son associée, son agent officieux qui peut faire appel aux meilleurs avocats de New York. Harry reçoit une proposition d'un détenu de Sing Sing. Pas n'importe lequel, le tueur en série Darian Gray. Celui qui a été condamné à mort pour le meurtre de quatre femmes. Il les photographiait, avant de les démembrer. On n'a jamais retrouvé leurs têtes. Gray passe pour un type limité. La preuve, il adore les anciens écrits pornos d'Harry. Il reçoit un abondant courrier d'admiratrices. La mission de l'écrivain serait de rencontrer ces femmes, et de rédiger des histoires pornos à leur sujet afin que Gray puisse mieux fantasmer. En échange, le tueur livrera des révélations exclusives sur ses crimes. Claire imagine déjà la fortune que peut rapporter ce genre de bouquin, la gloire assurée.

Ayant rencontré Clay, Harry hésite. Il a croisé les proches de trois des victimes, qui ont eu vent du projet. Moralement, l'écrivain sait que l'idée est discutable. Mais Dani Giancarlo, sœur jumelle de la quatrième victime, strip-teaseuse cultivée, l'incite à accepter. L'avocate de Clay, et son assistante Theresa Trio (lectrice des romans de vampire d'Harry), semblent modérément approuver. Leur client doit être exécuté dans quelques semaines, mais elles espèrent un recours. Malgré tout, Harry se rend chez les fans de Gray, afin de les interviewer. Morgan Chase est une femme aussi frustrée qu'intelligente, Marie Fontaine est une jeune sataniste excitée, Sandra Dawson est une pure masochiste. Du matériel pour écrire de beaux scénarios pornos, contre des confidences de Gray sur sa vie et son œuvre criminelle. La situation se complique sévèrement pour Harry, quand on s'attaque aux trois femmes avec lesquelles il a eu un entretien. De quoi être suspecté par la police.

Townes, l'agent du FBI qui arrêta Clay dix ans plus tôt, attend la retraite pour écrire son propre best-seller sur l'affaire. Il harcèle quelque peu Harry, mais la jeune Claire intervient avec l'avocat de sa puissante famille. Désormais, l'avocate Carol Flosky et Theresa Trio ont des chances d'obtenir une révision du procès de Clay. Devenu intime avec Dani, malgré la jalousie de Claire, Harry tente de jouer au détective, aidé de ses deux amies. C'est aller droit vers le danger, sans la moindre garantie de découvrir une parcelle de vérité...

À la lecture de ce résumé personnel, on peut se dire l'auteur raconte là une histoire assez réussie, pas moins intéressante qu'une autre, sans excès d'originalité. Peut-être parce qu'est occulté dans ce survol n'abordant que l'aspect suspense, le véritable fond du roman de David Gordon. C'est un hommage aux artisans de la littérature populaire. À tous ceux qui, d'Edgar Poe jusqu'à Simenon, en passant par Agatha Christie ou Dashiell Hammett et bien d'autres, ont écrit des romans policiers. Sans que ça nuise au récit, bien au contraire, l'auteur nous livre sa réflexion sur ce genre littéraire. Sur la fonction sociale et l'intention du romancier populaire, sur la construction d'une intrigue, sur l'attente des lecteurs et le rapport de l'auteur avec son lectorat. À travers le parcours du narrateur, ayant connu plus de déboires que d'honneurs, on retrouve le sort de tous ces bons écrivains (tel un David Goodis, par exemple) longtemps si peu reconnus par les élites culturelles. Si David Gordon y associe des bonnes séries télé, on sent un respect certain pour ces auteurs de polars.

D'ailleurs, comme une preuve, des extraits de supposés livres d'Harry Bloch (science-fiction, enquête de détective, sexe et vampires) sont insérés dans ce roman. David Gordon n'écrit pas selon le principe béhavioriste, qui veut que le récit s'en tienne aux faits, sans exprimer les états d'âmes des protagonistes. Néanmoins, il connaît ses classiques : “Pour tout vous dire, je préfère le suspense à l'ancienne, avec un assassin qui meurt à la dernière page, sans détails à l'eau de rose sur la vie privée du héros. Quand un détective apprend qu'il a une tumeur, ou que des terroristes ont enlevé sa femme, je me dis que la série est sur le déclin, ou que l'auteur est au bord du gouffre. Arrêtez de nous emmerder avec vos problèmes personnels. Faites votre boulot, un point c'est tout. Dans ses premiers romans, Dashiell Hammett, le maître de la vieille école en personne, ne s'embêtait pas à donner un nom à son détective. Le narrateur n'était qu'un type un peu courtaud avec un flingue et un chapeau, qui fumait trop de Fatimas. Il débarquait en ville dans un costume froissé, résolvait l'affaire et repartait par le train suivant...”

On souligne également ici la fascination qu'exerce sur le public (souvent féminin) les plus cruels tueurs en série, et la même admiration glauque envers les histoires érotiques extrêmes (parfois sataniques). Toutefois, ceci n'a rien d'une thèse sur ces questions. C'est une fiction, jouant (non sans ironie) sur l'idée commerciale du concept “inspiré de faits réels”. Non, ce qui est proche du “vrai”, ce sont quelques-uns des portraits. Dont celui de Jane, belle arriviste du monde artistique; celui de Claire, trop lucide gosse de riche qui retrouvera un peu plus d'humanité; ou celui de Theresa, dure contre l'injustice et lectrice émue des œuvrettes du héros. Quant à l'intrigue, comme il se doit, elle est pleine de rebondissements agités, même quand on croit le dénouement arrivé. “Polarama” est un régal, à tous points de vue. Les passionnés de littérature policière ne s'y tromperont pas.

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