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JEREMIE GUEZ |
Balancé Dans Les CordesAux éditions J AI LU |
730Lectures depuisLe jeudi 7 Mars 2013
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Une lecture de |
Je mets à profit la sortie poche de ce roman pour offrir aux lecteurs du blog une critique parue dans le numéro 114 de la revue de « 813 » les amis des littératures policières, spécial boxe et polar. Tony, qui déteste son prénom, est un silencieux, pris dans une spirale de sentiments intérieurs trop violents pour les dire. Le jeune boxeur ne ressent cependant pas le besoin des mots : il a ses poings pour s’exprimer. Au début du roman, Tony livre son premier combat professionnel. Sa victoire va être le seul moment heureux de ces deux cents pages sans concession. Miguel, caïd rom qui ne se déplace pas sans une escorte nombreuse entassée dans de grosses berlines, a assisté au match. Pour le malheur de Tony, il va se reconnaître dans ce jeune homme à qui la vie n’a fait ni ne fera aucun cadeau, c’est déjà clair. Lorsque la mère de Tony, pitoyable paumée accro à la dope, se retrouve à l’hôpital après un terrible passage à tabac, le boxeur ne le supporte pas. Mais le coupable est intouchable, sauf à obtenir la protection de Miguel dont le prix ne se révèlera que peu à peu.À partir cette trame archi classique, sans surprise ni originalité (on se souvient en 2011 de l’excellent « Paradoxe du cerf-volant » de Philippe Georget chez Jigal) Jérémie Guez arrive à néanmoins à bâtir un œuvre profondément originale. Tout repose sur son écriture, toute de sécheresse et de justesse. Pas un mot de trop. La brutalité avec laquelle il nous balance dans la banlieue Nord ne s’encombre d’aucun pathos. Pas plus qu’il n’en met à raconter la souffrance du quotidien de Tony, qui n’a que la boxe pour refuge. Sa solitude, son manque d’amour, son incapacité à communiquer, et même à comprendre son besoin de communiquer. Ses amitiés, rares, et l’absurdité d’une histoire qui le pousse à haïr au lieu d’aimer, à ignorer ce qu’il voudrait, à mépriser ceux qui l’aiment.La banlieue crade est l’univers de Tony, les dealers, ses potes d’enfance, la police, son ennemi tutélaire. Une fois planté ce décor exclusivement gris, les flash-back à contre-pied, écrits comme le reste du texte au présent sur le rythme d’une corde à sauter tournoyante, vont vous raconter Tony. A vous de vous y retrouver. Les phrases sont sèches comme des crochets du gauche, les mots rares, les phrases elliptiques campent le décor sans une seconde de perte de temps. Rien de romantique dans cette boxe que pratique ici l’écrivain. Il vous travaille au corps pendant tout le roman, et c’est lui qui vous balance dans les cordes quand vous voudriez respirer un coup, prendre une bolée de tendresse pour tenir le coup. On peut célébrer une écriture rare, en parfaite adéquation avec le personnage et le milieu exposés. On devrait condamner les petits maîtres du nombrilisme à lire ce roman. Son objectivité impitoyable réussit l’exploit d’un portrait d’une humanité déchirante
Tony habite une cité d'Aubervilliers, avec sa mère. Un quartier de tours, pas le plus agité de Seine-Saint-Denis, pas le plus facile non plus. Le jeune homme est né de père inconnu, probablement un gitan. Sa mère se fait entretenir par des types pas très brillants. C'est son oncle garagiste qui, autant qu'il peut, veille sur Tony. Il l'incita le gamin à pratiquer la boxe. Tony réalisa bientôt qu'il avait trouvé sa voie : “C'est là que je comprends pour la première fois que j'ai une prédisposition pour ce sport, sans doute plus mentale que physique. Je sais que mon talent est mineur, la preuve, je suis le seul à en avoir conscience. Mais je sais que si je veux faire quelque chose dans ma vie, je dois me consacrer à ça à fond.” Aujourd'hui, Tony est un vrai boxeur, qui s'entraîne chaque jour, et qui compte bien gagner son premier combat pro. Soixante-dix kilos de muscles. Rester concentré sur son objectif, malgré les vicissitudes de la vie de sa mère. Habitant la même cité, Moussa aurait pu devenir son meilleur ami, d'autant que lui aussi fit un peu de boxe. Gamins, ils fréquentèrent la même école. Mais Moussa est devenu un de ces petits dealers de quartier. Certaines circonstances familiales l'y ont poussé, c'est exact. Et il essaie de rester aussi discret que possible. Quant à Miguel, c'est un homme mûr, un froid chef de bande, un véritable caïd. Son bizness s'étend sur l'ensemble du département, et au-delà. Entouré de ses sbires et de son frère Jean, handicapé, Miguel semble impressionné par le jeune boxeur. Peut-être parce qu'il sait que Tony a eu un père gitan, comme lui. Lors d'une virée nocturne à Paris, Tony viendra au secours de la belle Clara. Une jeune fille des beaux quartiers de la capitale, qu'il espère revoir, même si son fantasme reste aléatoire. D'autant qu'il a bientôt de plus graves soucis. Sévèrement agressée par un de ses compagnons, sa mère a été hospitalisée. Bien que Moussa conseille à Tony d'éviter les représailles contre celui qui a tabassé sa mère, le jeune boxeur a soif de vengeance. Il prend contact avec Miguel, afin de localiser le type en question. L'homme sera vite retrouvé, dans la banlieue-sud. Et subira le sort qu'il mérite, sans doute. Tony n'ignore pas qu'il a une dette envers Miguel. Il participe avec les hommes du caïd à une opération, où ils simulent une intervention de police. Tony ne s'est pas dégonflé. Pour lui, c'est ensuite le retour au calme après un épisode perturbé. Tout pourrait s'arrêter là. Mais Miguel aura encore besoin de ses services. Tony a mis le doigt dans un engrenage dont on ne se libère pas si aisément. Faire les bons choix ne suffit pas toujours, quand la fatalité s'en mêle... Avec “Paris la nuit”, son premier roman, on sentait déjà un bon potentiel chez ce jeune auteur. Un certain style, malgré un sujet trop classique. “Balancé dans les cordes”, second titre de Jérémie Guez à ce jour, est nettement plus convaincant. Bien sûr, parce qu'il met en scène le contexte de la banlieue, de ces cités dites sensibles. Sans complaisance, à l'image de ce jugement de Miguel envers les jeunes délinquants : “Ils ont grandi dans la rue, mais ils savent se tenir. Alors que ceux de ton âge, Tony, ce sont des putains d'animaux, ils ont de la merde dans la cervelle.” Pas d'angélisme dans la description des ambiances, donc. On retient peut-être davantage encore un autre atout. Outre celui du héros, les portraits des protagonistes sont plus fouillés, précis. Les histoires personnelles de Moussa, de Miguel, d'Assad, c'est ce qui ajoute de la crédibilité au récit. Sans oublier les sentiments intimes et familiaux de Tony, comptant beaucoup dans son comportement. De l'humain, des tripes, de la noirceur, voilà ce qui fait la force de cet excellent roman. Fin mai 2013, “Balancé dans les cordes” a été récompensé par le Prix SNCF du polar. À juste titre, car Jérémie Guez confirme un talent certain. |
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