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MAURICE GOUIRAN |
L'arménienne Aux Yeux D'orAux éditions JIGALVisitez leur site |
3782Lectures depuisLe dimanche 26 Mars 2006
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Une lecture de |
« L'Arménienne aux yeux d'or » s'ouvre sur une histoire typiquement marseillaise : au terme d'une course-poursuite au travers de la ville, une BMW rate un virage et, deux tonneaux plus tard, percute un camion-citerne stationné sur le quai des Belges. L'explosion est instantanée. Trente-trois mille litres d'essence enflammés se déversent dans les eaux sales du vieux port et, les uns après les autres, les bateaux de luxe prennent feu… En résumé, « L'Arménienne aux yeux d'or » s'ouvre par l'incendie du vieux port. Calambo et Bubble, deux jeunes qui ¦trafiquent dans le business de la carte bleue, sortent indemnes de cette aventure mais dubitatifs quant aux motifs de la poursuite. Calambo est d’autant plus perplexe qu'en regagnant son « domicile », il constate que celui-ci a été visité mais que rien n'a été dérobé… La prudence étant la meilleure des attitudes, nos deux compères en compagnie de Lila, décident de se retirer, de se mettre au vert au bord de la mer. Mais sur la route qui les mène vers la plage de Beauduc, ils constatent qu'ils sont suivis. Heureusement, il leur faut franchir le bac de Barcarin, qui traverse le Rhône, avant d'atteindre leur refuge…. Heureusement, sinon comment auraient-ils fait pour semer leurs poursuivants ? Quasiment au même moment, Levon Balyan pousse la porte du Beau Bar avec l'impression du déjà-vu. Pourtant il n'a pas mis les pieds à Marseille depuis cinquante ans, depuis qu'il est parti aux États-Unis. A partir de cet instant le roman bascule. L'histoire ce fait Histoire… et nous nous « réveillons » le 24 avril 1915 sur les berges du Bosphore, à Istanbul, le jour où 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre de Talaat Pacha ministre de l'Intérieur du gouvernement Saïd Halim. Les exagérations, la fantaisie, l'exubérance et les galéjades qui faisaient la chair de ce récit cèdent la place au drame, à la haine, à la folie des hommes mais aussi à l'amitié et à la solidarité. En scientifique, Maurice Gourian dresse la liste des faits et des dates qui ont rythmé le calvaire des arméniens. Un chiffre retient particulièrement son attention : à la fin de l'été 1915, les deux-tiers des arméniens de Turquie, soit environ 1,2 millions de personnes, auront péri. Au terme de cet exposé, extrêmement documenté, une évidence s'impose : les Arméniens de Turquie n'ont pas été victimes de ratonnades ou de pogroms particulièrement sanglants, ils ont été les victimes d'une politique délibérée et planifiée visant à leur extermination. Ils ont été les victimes du premier génocide du XXe siècle. Pour preuve ce télégramme de Talaat Pacha : «Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici». Certes « L'Arménienne aux yeux d'or » constitue un témoignage poignant tant les faits qu’il rapporte, sur cet exode forcé de tout un peuple, sont dramatiques ; certes, il éveille le nécessaire devoir de mémoire… mais au-delà de la compassion il rappelle avec force tout ce que la civilisation doit aux Arméniens, la dette imprescriptible qu'elle a contractée à leur égard. Beaucoup d'entre eux furent parmi les premiers à se dresser contre le nazisme, à rejoindre la MOI et à l'instar de Missak Manouchian ; beaucoup tombèrent sous les balles SS, « sans haine pour le peuple allemand ». Au final « L'Arménienne aux yeux d'or » est non seulement un ouvrage passionnant, tant l'intrigue romanesque est menée de main de maître, qu’elle est aussi salutaire par l’exactitude et la force de son témoignage. |