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GILDAS GIRODEAU |
La Paix Plus Que La VéritéAux éditions AU-DELA DU RAISONNABLEVisitez leur site |
3498Lectures depuisLe dimanche 30 Avril 2012
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Une lecture de |
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« Au-delà du raisonnable » est une jeune maison d’édition parisienne, au catalogue en formation. Elle a déjà accueilli quelques auteurs bien connus dans le monde du polar. Thierry Crifo, Gilles Del Pappas, Catherine Diran, François Thomazeau, Erica Wagner… Et Gildas Girodeau, pour cet opus qui nous mène en Catalogne, tant française qu’espagnole à la suite d’un personnage qui lui ressemble… Un écrivain-journaliste, pour vivre de sa plume, doit cumuler les piges et beaucoup de ces petits ménages que sont les conférences suivies de signatures. C’est ainsi que l’écrivain Yarnald Collom, journaliste pour un hebdo engagé de Perpignan, se rend à Marseille. Là, Valenti, président de l’association des Catalans de Marseille, le reçoit. Ils partagent leurs origines, mais Valenti, plus âgé, a fui la répression franquiste, alors que Yarald est né en France. Après une soirée animée par des discussions vives qui rappellent à Yarnald que les cicatrices de la guerre d’Espagne ne sont pas fermées, Valenti va faire à l’écrivain des confidences qui remontent à des faits anciens. Les recherches qu’elles déclenchent mènent Yarnald à remuer un passé espagnol non réglé. Cette enquête, et les découvertes qu’elle va impliquer, ne sont pas du goût de tout le monde. En Espagne comme en France, le silence, l’oubli, ont été préférés à une vérité trop douloureuse et trop perturbante. Sauver le quotidien a primé : on a préféré enterrer le passé.Au cours des ses pérégrinations, Yarnald Collom va faire la rencontre de personnages hors normes comme ce curé activiste ou une brune incendiaire qui va bouleverser sa vie.« La paix plutôt que la vérité » est un roman profondément humaniste, riche en enseignements nichés dans une intrigue pleine de péripéties. Sa première partie fait un tableau historique qui rappelle à ceux qui voudraient l’oublier : les charniers, les disparitions, les tortures et les spoliations de l’époque franquiste. Sans dogmatisme, sans posture. Gildas Girodeau, via son personnage alter-ego défend certes le parti de la vérité, mais il ne sait pas condamner ceux qui ont préféré la paix.Une lecture pour ne pas oublier, même si avancer nécessite de savoir se servir d’un rétroviseur sur le passé.
Officiellement, Francisco Franco expire le 20 novembre 1975 à 5 h 20 du matin. Cette date et cette heure marquent la fin des 36 ans de dictature sanglante de Francisco Franco y Bahamonde : « Caudillo de España por la Gracia de Dios ». Elles marquent le début de la transition vers la démocratie, que certains diront « recortada »… Elles marquent aussi le début d’une légende : le Generalísimo Francisco Franco était l’unique responsable de l’état du pays. Alors que chacun le sait, car personne ne peut l’ignorer, ils étaient: des milliers, des millions, de complices actifs de la dictature ; des milliers, des millions, repartis dans l’administration franquiste ; des milliers, des millions, de spoliateurs des biens républicains ; des milliers, des millions, coupables de tortures et de crimes contre l’humanité ; des milliers, des millions, de « mala leche » qui savaient tout des disparitions et des charniers ; des milliers, des millions, reconvertissent dans l’accueil touristique ; des milliers, des millions, qui voulaient… « la paix plus que la vérité », c'est-à-dire l’oubli des charniers, des disparitions, des tortures, des spoliations dont ils s’étaient repus, dont ils s’étaient gavés jusqu’à l’indigestion. Et ils ont eu « la paix plus que la vérité »… victoire posthume de Francisco Paulino Hermenegildo Teódulo Franco y Bahamonde.
Comment faire pour que cette victoire ne se transforme pas en déroute de la vérité ? Gildas Girodeau adopte le polar pour mener ce combat de résistance, ce devoir de réalité, honneur de ceux qui à la vengeance préfèrent la mémoire.
« la paix plus que la vérité »: un polar à lire tous les 20 novembre 1975 à 5 h 20 du matin
Ecrivain, journaliste, Yarnald Colom ne refuse jamais de participer à une conférence. Ce qui a l’heur de faire plaisir à son éditeur, et les séances de dédicaces qui suivent permettent d’écouler quelques romans policiers. Les piges qu’il effectue pour La Semaine, journal catalan basé à Perpignan lui permettent de subsister, sans plus, mais il ne se plaint pas. Il n’a que peu de besoins, surtout depuis que sa femme Rachel l’a quitté et qu’il se retrouve seul dans son appartement aux pièces quasiment vides. Invité par Valenti, le président de l’association des Catalans de Marseille, il se prête volontiers au jeu des questions et réponses, jeu qui déborde largement du cadre du polar et au fur et à mesure des échanges les Catalans présents dans la salle s’intéressent aussi, mais peut-être n’étaient-ils venus que pour cela, à la Catalogne actuelle, la langue, l’économie, le social, le nouveau statut d’autonomie. Toutes informations qui intéressent ceux qui vivent éloignés de leur pays natal. Lors de la séance de dédicaces qui s’ensuit, une jeune femme l’aborde. Elle se prénomme Montserrat et aussitôt Yarnald lui demande si elle est catalane, mais celle-ci se défend. Elle est Française et rétorque que la Catalogne n’existe pas et qu’il devrait cesser de rêver, de revenir à la réalité. Une remarque qui le refroidit, surtout lorsqu’il apprend que Montserrat n’est autre que la fille de Valenti. Mais ce n’est qu’un épisode, car Valenti, avait autre chose en tête lorsqu’il lui a lancé l’invitation. Il lui remet une lettre et lui raconte son histoire. En 1939, Valenti avait quinze ans. Son père s’était engagé dans les armées de la République et est décédé lors de la bataille du Sègre. Sa mère et son frère durent s’exiler. Leur maison considérée comme abandonnée fut réquisitionnée par les miliciens des troupes franquistes sous les ordres d’un certain Bialet. Entré en France en 1948, poursuivi par la police espagnole pour rébellion contre les autorités militaires, il avait refait sa vie à Marseille. Il avait pu revenir en Catalogne du Sud en 1977, une sorte de pèlerinage qui l’avait amené jusqu’à son village d’Illavrana, près de Girona. Tout avait changé, la maison familiale n’existait plus. Désirant avoir des renseignements sur le cadastre, il se retrouve nez à nez avec le responsable qui n’est autre que Bialet. Il revient peu après afin d’obtenir la liste de l’inventaire qui aurait dû être établie. Bialet promet mais la demande est restée sans suite. Depuis Bialet est mort. Antoine, le rédacteur en chef de La Semaine, journal où Yarnald effectue des piges, lui confie un reportage, justement à Girona. Une cérémonie au vieux cimetière va se dérouler afin de rendre hommage aux cinq-cent-dix victimes, des Républicains fusillés entre 1939 et 1945 par les Franquistes et ensevelis dans une fosse commune. Lors de cette commémoration, une jeune femme harangue la petite foule, demandant toute la vérité sur le franquisme, pourquoi une stèle a été érigée en faveur du Caudillo, et autres questions élémentaires qui n’ont pas l’heur de plaire aux policiers de la Guardia Civil. Ce ne peut que se terminer par un affrontement. Un point positif est cependant à mettre à l’actif de la présence de Yarnald devant cette fosse commune. Il retrouve Aleix, journaliste au quotidien local. Mais le plus étonnant dans cette affaire réside en la personnalité de Carme, surnommée Llum (lumière), militante d’un parti d’extrême-gauche et petite-fille de Bialet. Grâce à Aleix, Yarnald remonte la piste Bialet, qui est décédé d’un accident de chasse. Soi-disant, car le père Arnau, un familier de la fille de Bialet qui mène d’une main de fer l’entreprise familiale, avoue, comme s’il était à confesse et sous le sceau du secret, que Bialet n’a pas été victime d’un accident mais qu’il s’est suicidé.
Yarnald est seul, désabusé d’un mariage raté. Il essaie de s’arrêter de fumer, et pour compenser le manque il ingurgite de petits verres de rhum. Et il envisage de quitter son appartement, afin de couper définitivement les ponts, et de s’acheter une petite maison de campagne avec un petit jardin. Un homme comme bien d’autres. Mais, au-delà du personnage, Gildas Girodeau s’attache à reconstituer cette époque délétère du franquisme, que des Espagnols regrettent. Car comme tous ceux qui ont connus des dictatures, ils se trouvent perdus lorsqu’ils acquièrent la liberté de pensée. Des dates significatives comme 1939, 1973, 1975, et quelques autres sont mises en scène et des personnages qui ont marqué ces périodes sont évoqués, dont Puig Antich, arrêté en septembre 1973 et membre du MIL (Movimiento Ibérico de Libéración) ou encore l’amiral Luis Carrero Blanco, membre de l’Opus Dei, victime dans l’explosion de sa voiture, explosion provoquée par l’ETA, organisation basque qui alors n’était qu’un groupuscule en balbutiement. D’autres faits, d’autres événements sont relatés, et surtout l’auteur démontre qu’il est plus difficile pour un état de rester dans un esprit démocratique que de se tourner vers une dictature qui bâillonne les paroles, les idées, les pensées, les actions. Et pour ceux qui ont connus de loin, comme nous les sexagénaires, certains de ces remous, cela nous permet de retrouver la mémoire. Quant aux jeunes générations, cela peut être un exemple à ne pas suivre. Mais il y aura toujours et partout des nostalgiques des dictatures, ne pensant pas par eux-mêmes mais écoutant béatement la voix de son maître. Nous en avons de multiples exemples, ne serait-ce qu’en France. Et comme j’aime bien relever les petites erreurs, de datation principalement, j’ai tiqué lorsque page 9, j’ai lu que Valenti avait soixante-dix ans au moins et page 45 qu’en 1938, à l’âge de quatorze ans… Or l’histoire se déroule en 2009. Mais ceci n’est qu’ergotage, car pour moi ce roman est l’un des meilleurs lus cette année. A méditer : Llum déclare dans un entretien : l’Etat, comme les marchés financiers et les grands groupes privés étaient par essence des facteurs d’oppression. Autre sujet de réflexion, qui concerne les consommateurs, des élevages géants sont installés en Catalogne. Les porcs naissent aux Pays-Bas, sont engraissés en Espagne dans des conditions intensives, interdites dans leur pays d’origine, avec des aliments que les Hollandais ne peuvent utiliser, puis lorsque les porcins sont à point, ils reviennent au pays pour être abattus et commercialisés avec le label Porc hollandais. C’est beau l’Europe des échanges. Et la question fondamentale posée par Gildas Girodeau dans son titre, faut-il pour préserver la paix faire abstraction ou taire la vérité, trouve tout son sens dans ce roman que je ne peux que conseiller. |
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