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CARYL FEREY |
La Jambe Gauche De Joe StrummerAux éditions FOLIO POLICIER GALLIMARD |
1720Lectures depuisLe mercredi 12 Decembre 2007
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Une lecture de |
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Mc Cash’s eye is crying
Noir c’est noir criait Johnny. Je veux du noir à m’en crever les yeux susurrait Léo Ferré. Mais il faut chercher l’univers musical de l’auteur du côté du rock et des Clash. London calling, Joe Strummer nous l’a gravé dans la mœlle : London calling to the faraway towns Now that war is declared-and battle come down London calling to the underworld Come out of the cupboard, all you boys and girls London calling, now don't look at us All that phoney Beatlemania has bitten the dust London calling, see we ain't got no swing 'Cept for the ring of that truncheon thingJoe Strummer chante. Férey écrit. Tous les deux labourent les flancs de la terre. Joe Strummer un peu moins qu’autrefois, mais toujours quand même. Férey, lui, trace son sillon d’un style rapide, enlevé et aussi affûté qu’une lame de rasoir, cassant les mottes que sont les certitudes et les évidences : – Donner sa démission si près de la retraite (…) enfin, c’est complètement idiot (…) Dites-moi plutôt ce qui vous arrive. – Je n’ai rien à dire. – Ça vous ferait du bien. – Pas à vous. – Qu’est-ce que voulez dire ? – Ce n’est pas vous qui allez me sauver. (…) – Vous en êtes rendu à ce point ? – Pire, singea Mc Cash. – Eh bien, soupira-t-elle, je n’aimerais pas être vous. – Moi non plus. Mc Cash est donc ex-flic. Et la prédiction d’un ophtalmo lui réserve un avenir aveugle s’il ne soigne pas son unique œil valide : – Continuez comme ça, conclut l’ophtalmologiste, et vous allez finir aveugle… (…) Il préférait pourrir sur pied plutôt que de se soigner : se soigner pour quoi faire ? ! Vivre nu, sans bandeau, avec des lunettes comme des téléviseurs à travers la gueule ? Mc Cash est donc borgne, futur aveugle, bientôt ex-borgne donc. La solution serait d’en finir une fois pour toute. Mais voilà qu’une lettre lui annonce qu’il aurait une fille et que sa mère – une ancienne conquête – est rongée par le cancer qui le lui laisse que quelques semaines. La lettre date de trois mois, la mère est donc morte. Ne reste à cette enfant qu’un père. Borgne et bientôt aveugle. Mc Cash, ça le ne lui plaît pas du tout cette histoire, la lettre part au panier : « [Elle] l’appelait à l’aide, lui, le plus borgne des amants, l’improbable incarné, pour sauver sa fille… ». C’est sans doute dans ce possessif (SA fille) qu’il faut trouver sa rage d’aller fouiller sa poubelle : « La lettre datait de trois mois. Le temps de l’agonie… Il remarqua la photo à l’intérieur de l’enveloppe. Le froissement et l’humidité du filtre à café l’avaient en partie défigurée mais on y voyait une gamine en maillot de bain qui souriait à l’objectif, un plan moyen, en équilibre sur un rocher… » Mc Cash fait son sac comme on fait sa vie, en entassant : « Un paquet d’herbe africaine, une trousse de toilette, des chewing-gums à la chlorophylle, trois boîtes de sulfate de morphine, deux crayons, une poignée de vieux disques, un .38 spécial non numéroté barboté au commissariat, quelques vêtements, la vie de Mc Cash tenait dans un sac. ») et il part voir Alice… mais c’est une autre fillette qu’il trouve… noyée. Et le seul témoin est une témouine, il s’agit d’Alice, sa propre fille… Les rockers ont donc leur auteur de polars mais restent de grands sensibles, aussi, cette histoire de filiation pourrait bien leur tirer, non pas quelques larmes, mais des sentiments comme une boule dans la gorge. Chez Mc Cash, la jambe gauche de Joe Strummer trépigne toujours en lui : « Enterré sous sa veste, Mc Cash gémit en silence – la jambe gauche de Joe Strummer lui labourait les flancs, pour qu’il se relève enfin… » Caryl est petit. Et c’est pour ça que Férey est grand.
François Braud, Mes dix polars de l’année 2007, tome 6
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