cérium de Gérard FILOCHE


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GERARD FILOCHE

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Le jeudi 20 Avril 2017

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Gérard FILOCHE




Une lecture de
CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER  

Divorcé, père de deux enfants, Jean Carré est inspecteur du travail. Le 3e arrondissement de Paris, ce n’est pas seulement son secteur professionnellement. C’est tout un quartier, des rues, des entreprises qu’il connaît parfaitement. Faire respecter le Droit du travail, une vraie passion, sa vocation. Au bénéfice des salariés, pas au détriment des employeurs, autant que possible. Dans un atelier de la rue Charlot, un Asiatique a eu le bras coupé. On peut supposer un accident du travail, mais le membre a été sectionné par un sabre. À cette occasion, Jean Carré rencontre pour la première fois le policier Dan Moïse. Il ne peut guère se créer d’affinités entre les deux hommes. Revendiquant farouchement l’indépendance de son activité, l’inspecteur du travail est réticent face à ce flic ironique.

Dan Moïse penche pour un règlement de comptes entre Chinois. Les médias étant friands de mafias, de triades et autres mystères asiatiques, c’est l’hypothèse vite retenue. Jean Carré n’ignore pas l’omniprésence des Chinois dans le quartier, ni que des clandestins sont souvent employés dans les ateliers. La joaillerie sous toutes ses formes est très présente dans ces rues. Le Comptoir, multinationale de la bijouterie et de l’or, compte bon nombre d’ouvriers et de sous-traitants, par exemple. Si Jean Carré apprécie peu les DRH, celle du Comptoir le débecte carrément, à cause de son hypocrisie et de sa servilité à ses patrons. Toutefois, ni le cas de l’homme au bras coupé, ni même le double meurtre d’une mère et de sa fille chinoises, ne le concernent à première vue. Ces crimes, c’est l’affaire des flics.

Une lettre anonyme a été largement diffusée dénonçant quarante-cinq entreprises du 3e arrondissement. Les détails sur leur non-respect des règlements sont précis. Du boulot en perspective pour le “clan des contrôleurs”, dont fait partie Jean Carré. Même si, faute d’être assez nombreux, ils risquent de laisser filer des infractions. L’inspecteur visite en série les boutiques chinoises, leurs ateliers. Contrairement à la loi, les documents sont toujours “chez le comptable”. Ce qui n’empêche pas Jean Carré de constater que, pour traiter les bijoux et l’or, sont utilisés des produits toxiques mal étiquetés, dont le cyanure. On peut également imaginer que les méfaits récents ont un lien avec le trafics de produits de luxe, incluant même du faux caviar, tout cela provenant évidemment de Chine.

Il y a de la restructuration en vue pour la société Le Comptoir, semble-t-il. Pourtant, la transformation et le négoce de métaux précieux se portent bien. C’est donc une opération financière, sans doute destinée à détourner des millions, qui motive les dirigeants de cette entreprise importante. Les inspecteurs du travail doivent gêner, car on cherche à piéger Jean Carré et un de ses collaborateurs. Leur hiérarchie les soutient mal dans un premier temps. Les adversaires risquent d’en arriver à des arguments plus violents. Un douanier apporte à Jean Carré des éléments sur l’impossibilité du contrôle des importations depuis la Chine. Sous l’œil d’un grand Chinois et, finalement, protégé par la police, l’inspecteur du travail n’a aucune intention de capituler…

(Extrait) “Cette fois-ci, la star serait la patronne, Mme Menton, fanatique de la dérégulation, militante acharnée de l’abolition des droits des salariés. Avec ses allures de grande bourgeoise bronzée en permanence, ses bagues, ses broches, ses colliers et ses bracelets, son ton hautain, ses brushings, ses liftings et ses peelings, elle exaspérait Jean Carré. Son mantra était : "Si ça ne fonctionne pas mieux, j’envoie tout en Tunisie". Ses téléconseillers gagnaient 20000 Euros en moyenne par an, leurs homologues tunisiens n’en toucheraient que 12250. Pourquoi se priver de faire coup double en virant un Français tout en volant un Tunisien. La délocalisation, c’était son truc. La moitié de ses centres d’appels étaient déjà tous du côté de Tunis […] Ce qui ne l’empêchait pas, à Paris même, de tenir littéralement en esclavage ses trois cent cinquante salariés, dont le débit téléphonique était calculé seconde par seconde…”

Certes, il s’agit ici d’un roman. À vrai dire, c’est une fiction s’inspirant ouvertement de la réalité. Avant tout, c’est de la vie au quotidien d’un consciencieux inspecteur du travail dont il est question. Avec sa part administrative, entre réunions et dossiers à examiner, mais aussi de ses constations sur le terrain. Si les tractations face aux employeurs sont généralement sous tension, les faits relevés sur les lieux de travail s’avèrent éloquents. Entre l’approximation généralisée et le danger imminent pour les salariés, il n’y a parfois qu’un pas. Gérard Filoche, ex-inspecteur du travail, qui n’a jamais caché son appartenance politique, en profite pour retracer les difficultés et les réussites de ce métier.

Par ailleurs, ancré au cœur de Paris, le récit évoque quelques personnages et épisodes historiques de la lutte militante parisienne. Sur les pas de Jean Carré, on nous offre une balade dans le 3e arrondissement. Où les Chinois occupent une place conséquente, dans un domaine auquel on ne pense pas forcément : les bijoux, l’or, la joaillerie. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la santé d’un certain nombre d’employés, on le voit. Le charbon au 19e siècle, puis le pétrole au 20e, ont été les principales matières premières. Notre époque en utilise d’autres, ayant tout autant de potentiel. Et qui font l’objet d’enjeux financiers énormes, sujet spécifique dont on ne nous parle quasiment jamais.

Les auteurs incluent une bonne part d’intrigue criminelle. Comme dans la vraie vie, quand la "communauté chinoise" manifeste pour plus de sécurité, il n’est pas simple de dégager le vrai du faux, le légal de l’illégal. Nos compatriotes asiatiques semblent moins impliqués dans toute forme de banditisme, de délinquance. Discrets, ils préservent sans doute leurs "secrets" sur quelques problèmes — et sur certaines de leurs activités. Par nature, un roman noir digne de ce nom apporte un témoignage sociologique sur son temps : on peut donc placer “Cérium” dans cette catégorie.

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