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PATRICK FORT |
Après NousAux éditions ARCANE 17Visitez leur site |
557Lectures depuisLe mercredi 7 Juillet 2016
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Une lecture de |
Insidieusement, des voix suggèrent de ne pas accorder tant d'importance à l'Histoire. Le devoir de mémoire ne serait que foutaises. Trop de temps perdu en commémorations ! Le rôle des Résistants n'aurait pas été si bénéfique que ça. Celui des communistes n'a-t-il pas été exagéré ? Les effets du nazisme étaient négligeables, anecdotiques : “En France, l'occupation allemande n'a pas été particulièrement inhumaine” a déclaré un politicien. On dédramatise ce lointain passé. On l'enterre dans l'oubli puisque la page est tournée depuis belle lurette. Par exemple, continuer à glorifier ce ramassis d'excités d'origines douteuses, ceux de la célèbre "Affiche rouge", des métèques communistes, c'est aberrant ! De tels propos insanes circulent encore dans des sphères qui se proclament patriotiques. À l'opposé de cette négation de l'Histoire, Patrick Fort a choisi de se substituer à l'un des membres du réseau de Missak Manouchian, de parler à la place de Celestino Alfonso. C'est le 17 novembre 1943 que débute ce récit, à l'heure de l'arrestation de ce groupe de FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisan/Main d’Œuvre Immigrée). Voilà trois mois que Manouchian et ses amis sont pistés de près par les autorités policières. Sans doute ont-ils été trahis par un des leurs. Le cloisonnement au sein du groupe, les pseudonymes masquant leurs identités, cela n'a pas suffi à protéger leur activité clandestine. Fiché comme communiste, ancien des Brigades Internationales durant la guerre d'Espagne, Celestino n'a jamais rien révélé à son épouse Adoracio, ni à leur fils Juanito. Le secret s'imposait. Habitant Ivry-sur-Seine depuis qu'ils ont quitté l'Espagne devenue franquiste, sa famille et lui n'oublient pas leur village natal, Ituero de Azaba. Néanmoins, Celestino et les siens sont désormais Français. En ces sombres années de guerre, des étrangers tels que lui ont éprouvé le besoin de s'engager toujours davantage, de combattre l'occupant. Bravoure qui contraste avec la passivité d'une grande part de la population. Tandis que d'autres se complaisent dans la Collaboration, Celestino fait partie de ceux qui exécutent le dignitaire nazi Julius Ritter, ami personnel d'Hitler. Il participe à l'attaque d'un autobus d'Allemands et à plusieurs autres attentats contre les ennemis de la France. Aucun d'eux ne se prend pour un héros, l'idéologie politique n'a que peu de place : ils luttent pour la liberté. Dès son arrestation, Célestino est sans illusion sur son sort. “Je vais devoir trouver en moi la force de me battre et de me taire. Devenir amnésique pour repousser cet inévitable qui m'attend.” Après avoir laissé mijoter leurs suspects, les enquêteurs usent des méthodes les plus violentes pour interroger ces "terroristes". Passages à tabac et chantage sur les familles, tout ça ne fait pas céder Celestino et ses comparses. Ils nient, n'ayant plus rien à perdre, leur mort étant inéluctable. Ce n'est pas tant la mascarade de procès, le jugement les condamnant d'avance, qui sont ignobles. C'est plutôt ce jour de février 1944 où, dans une cour de la prison de Fresnes, Manouchian et ses amis sont filmés, photographiés. Le but est de les présenter tels des fauves, des criminels, de servir la propagande pétainiste et nazie. Dans sa cellule, rares sont les contacts avec le monde extérieur. Celestino dresse un bilan de son parcours, de ses motivations, des images qu'il emportera. “J'ai rejoint la lutte armée comme une évidence… Nous étions en guerre et notre ennemi était clairement identifié. Je n'ai pas tué des hommes, mais des fascistes qui voulaient nous asservir. J'ai dégommé des salopards qui ne possédaient pas une once de compassion…” De l'écoute et de la compassion, un homme en fera preuve en ces moments terribles : l’aumônier Franz Stock. Mais que peuvent quelques Allemands contre la terreur que fait régner le Reich ? Le 21 février 1944, au Mont-Valérien, sont abattus vingt-cinq hommes, dont Celestino. Nous devons respecter la mémoire de ces combattants de l'ombre. Ce roman, puisque c'est Patrick Fort qui se met dans la peau du narrateur, se base sur des faits authentiques. Il restitue le probable état d'esprit de Celestino et des autres membres autour de Manouchian. Leur courage, leur détermination ? Bien sûr. Peut-être aussi leur sentiment que la fatalité n'empêchera pas qu'ils vont laisser une trace dans l'Histoire. Pour qu'elle ne s'efface jamais, des ouvrages comme celui-ci sont indispensables.
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