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WESSEL EBERSOHN |
La Nuit Est Leur RoyaumeAux éditions RIVAGESVisitez leur site |
929Lectures depuisLe mercredi 13 Octobre 2016
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Une lecture de |
En Afrique-du-Sud, Abigail Bukula est une magistrate aussi compétente que séduisante, employée au Ministère de la Justice. Elle est l’épouse de Robert Mokoapi, membre de la direction d’un journal du pays. Le couple vit dans un certain luxe, plus ou moins assumé par Abigail. Le comportement de son mari, doté d’une trop jolie assistante, l’incite à se poser des questions sur de supposées infidélités de Robert. Dans le service d’Abigail, au Ministère, l’heure est à la restructuration. Son collègue Gert Pinaar est sur la sellette, leur groupe d’intervention va évoluer, et Abigail est priée de prendre un congé sabbatique avant d’obtenir un poste aux responsabilités étendues. Venant d’être contactée pour une affaire se déroulant au Zimbabwe, pays voisin, elle pourra s’y consacrer. L’avocat Krisj Patel est militant de l’Organisation pour la Paix et la Justice au Zimbabwe. Il s’agit d’un groupuscule d’une trentaine de personnes, des opposants au régime de Robert Mugabe. Sept d’entre eux ont récemment disparu, très probablement emprisonnés sur ordre de cet État dictatorial. Parmi ceux-ci, Tony Makumbe, peut-être un cousin d’Abigail Bukula. De santé fragile, il ne supportera pas longtemps une incarcération dans la principale prison d’Harare, où les conditions de vie et d’hygiène sont terribles. Abigail consulte son vieil ami Yudel Gordon, dont l’analyse psychologique et la connaissance du monde pénitentiaire sont pour elle d’utiles atouts. Selon les écrits de Tony, évoquant de ténébreux brouillards, Yudel estime que le jeune homme est quelque peu schizophrène. Abigail se rend au Zimbabwe. Elle se doute bien que la police du pays en sera bientôt informée. Avec l’avocat Patel, elle rencontre clandestinement plusieurs militants. Dont la virulente Helena Ndoro, qui reste méfiante envers l’avocate sud-africaine. Du courage, ils n’en manquent pas, mais la pression du régime Mugabe est forte. Certains, comme Jonas Chunga, ont préféré intégrer le système pour faire respecter la justice et faire avancer le Zimbabwe. Du moins, c’est ce qu’affirme ce haut-responsable des forces policières. Quand on s’attaque dans la rue à Krisj Patel, il prétend que l’État n’est pas en cause. Étonnant, c’est sûr ! Le coupable supposé qui est rapidement arrêté ne convainc guère Abigail, car il semble ne pas savoir grand-chose sur les faits. Chunga paraît sceptique, lui aussi. Yudel Gordon et son épouse Rosa rejoignent Abigail à Harare. L’action en justice sollicitée par l’avocate eût été vouée à l’échec, sans l’intervention de Jonas Chunga. Certes, le juge Mujuru est certainement corrompu. Puisqu’il tient à conserver son statut privilégié au sein du régime actuel, sa décision juridique dictée par Chunga est favorable aux opposants. Si Abigail et Yudel visitent la prison d’Harare, pas sûr qu’ils y trouvent les sept disparus, fut-ce à la morgue… (Extrait) “La silhouette de Chunga se dessinait contre le ciel sombre. — Jonas, pourquoi m’avez-vous amenée ici ? — Parce que je veux que vous sachiez que je suis zimbabwéen, issu de la minorité ndebele, comme je vous l’ai dit. L’ethnie qui a été victime des massacres commandités par le gouvernement. Mais j’ai décidé que la résistance ne servirait à rien. Nous aurions tous été exterminés. Seule la collaboration pouvait avoir un sens. C’est mon pays, et tout ce que je fais, je le fais pour servir uniquement le Zimbabwe. Je consacre ma vie à construire mon pays. Je ne suis pas de ceux qui tuent, qui torturent, qui placent les gens en détention sans qu’ils aient été jugés. Je vous ai amenée ici parce que je veux que vous connaissiez le vrai Jonas Chunga.” La communauté internationale ne se préoccupe guère du Zimbabwe, petit pays enclavé d’Afrique australe. La maigre aide alimentaire ponctuellement expédiée là-bas parvient-elle aux plus pauvres parmi ces quinze millions d’habitants ? Ici, un exemple nous montre que ça tient du miracle. De multiples ethnies coexistant dans ce pays, la solution choisie pour les fédérer est un régime politique dictatorial. Ça implique une gestion économique catastrophique, alors que les ressources minières (or, diamant, platine) permettraient au Zimbabwe de vivre très correctement. Seule la caste des oligarques en profite, à n’en pas douter. Il ne faut pas bon être un opposant quand l’omniprésence policière ou paramilitaire assurent une tranquillité de façade. C’est à travers le regard pertinent du sud-africain Wessel Ebersohn que nous approchons les réalités du Zimbabwe. Sa belle héroïne, l’avocate Abigail Bukula, aura fort à faire dans ce "panier de crabes", alors qu’elle a par ailleurs des soucis conjugaux. Elle est soutenue par Yudel Gordon, dont l’aïeul Juif allemand a fui jadis le nazisme. La fonction de celui-ci n’est pas très précise, mais son épouse et lui forment un couple "de bon conseil". Sur place, à Harare, Abigail est confrontée à un dilemme : le charismatique Jonas Chunga semble honnête, mais qu’en est-il réellement de sa sincérité ? Il honnit le meurtre, mais il a tué par le passé. Bien qu’il aide l’avocate, ça reste un personnage complexe, incertain. Une intrigue parfaitement maîtrisée et un contexte mal connu, clairement présenté, voilà qui nous offre un roman riche. |