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PATRICK ERIS |
Les Arbres, En HiverAux éditions WARTBERGVisitez leur site |
2457Lectures depuisLe mercredi 13 Octobre 2016
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Une lecture de |
Désormais, ce Jurassien est chef de la petite brigade de gendarmerie à Clairvaux-les-Lacs, assisté par Caro et Serge. Le petit groupe manque cruellement de moyens, se cantonnant à des missions de moindre importance. Mais pour le sous-officier, l’essentiel était de rester dans sa région natale. À l’âge de sept ans, il fut "initié" à l’esprit de la forêt, à son silence. Depuis cette époque, il se montra plutôt distant envers le monde extérieur, circonspect quant au tumulte agitant à présent la société. Par exemple, l’émission de télé racoleuse qui fascine en ce moment les Français, c’est exaspérant pour quelqu’un comme lui. Rien que du spectacle, bien éloigné des réalités du quotidien. Même les plus mystérieux des meurtres ne captivent plus une population indifférente à ce qui est moins médiatisé. Pourtant, c’est bien l’œuvre d’un tueur en série, ces massacres auxquels sont confrontés le gendarme jurassien et sa modeste équipe. D’abord, du côté de Saint-Claude, il y eut la famille Sarella, trois victimes. Une affaire à laquelle s’intéressa aussi le journaliste local Thomas Servano, flairant un cas sortant de l’ordinaire. Ce ne sont ni d’éventuels témoins, ni les "autorités compétentes" qui vinrent en aide à cette brigade peu préparée au crime de cette espèce. Le monstre criminel a récidivé en assassinant le famille Fioretti, habitant aussi une maison isolée. Deux carnages visant des gens sans histoire. Quand il recense les dossiers des grands criminels de l’Histoire, hommes et femmes, il s’aperçoit que beaucoup d’entre eux étaient, comme leurs victimes, des personnes plutôt banales en apparence. Les enquêteurs se demandent si, pour gagner la confiance des victimes, le tueur ne les a pas rassurés en portant un uniforme ? Le troisième massacre se passe vers Mâcon. Abattus avec un fusil, les Lamosse vivaient dans un lotissement, donc pas à l’écart. Sans doute s’agissait-il d’une famille plus instable que les précédentes. Jouant les ados rebelles, la fille Lamosse fréquenta des petits voyous des environs. Il est probable que ces marginaux soient mêlés à des trafics de drogue, ce qui ne signifie nullement que la jeune fille ait été impliquée. L’interpellation de ces frères délinquants et de leur oncle complice vire à la fusillade entre eux et les gendarmes. Non sans causer des victimes. Servano, le journaliste, va lui aussi subir les conséquences de série de meurtres. Le Jurassien finit par découvrir le véritable point commun existant entre ces crimes… (Extrait) “Lorsque je m’assis sur un des bancs installés face au lac, une fois de plus, j’eus l’impression diffuse que cette affaire sanglante affectait la forêt elle-même. Comme si ces meurtres étaient des actes "contre nature", au sens le plus littéral du terme. Je n’aurai pas de mots pour l’exprimer autrement, même si ceux-ci sont bien réducteurs. Les arbres n’étaient pas encore entièrement dénudés, et une première ligne de hêtres dépenaillés se découpait sur la crête sombre des conifères aux sommets déchiquetés. Le soleil apparaissait souvent entre des nuages échevelés d’un beau gris-bleu, et ses rayons illuminaient les flots tout en créant mille jeux d’ombre et de lumière dont la beauté me saisit les entrailles. Une légère brise ridait le lac, le reconfigurant constamment en mille visages en perpétuel mouvement, où se reflétaient partiellement les caprices des rayons dorés. Un tel décor donnait une idée de ce qu’était le sacré, même à un mécréant comme moi. Devant tant de beauté, on ne bougeait pas, on ne parlait pas, on respirait à peine. On contemplait. À ce moment de communion, j’aurais dû trouver la paix intérieure. Et pourtant, non. Cette affaire ne me laisserait jamais tranquille, je le savais…” Bien que mal connu, Patrick Eris est un auteur déjà chevronné, capable d’allier la forme, le fond, et l’écriture. Ce roman adopte la forme du scénario à suspense, avec une enquête d’autant moins rectiligne que les gendarmes sont peu aguerris face à ces affaires. Non pas qu’ils soient ignorants des sujets sur les tueurs en série. Mais on ne va pas déplacer le gratin des experts scientifiques citadins jusqu’en pleine Plouquie pour quelques familles exécutées chez elles. Les investigations s’avèrent sinueuses, voire chaotiques. Même si notre héros anonyme n’en voit pas vite le bout, il progresse – et le lecteur avec lui. À notre époque, et pire encore dans le proche avenir présenté par l’auteur, les médias décident de ce dont il faut parler. On délaisse les faits locaux, l’info sur la vraie vie de la majorité des Français. Ici est abordé le fond de l’histoire, son contexte social. Hypnotisés par des shows, conditionnés par de prétendus spécialistes, entraînés par une démagogie qui sépare de plus en plus les citoyens, le plus sale égoïsme règne en maître. Des crimes dans la cambrousse ? Ça ne retient plus guère l’attention générale. Une émeute ressemble davantage au cinéma, c’est plus excitant. Les crimes en Ploukistan, qui s’en soucie ? C’est ainsi que le gendarme jurassien cultive logiquement sa misanthropie, se réfugiant dans ses forêts montagneuses quand il n’écoute pas les "Variations Goldberg" de Bach. Un comportement qu’on n’est pas loin d’adopter parfois, quand on observe le monde actuel. Pour faire partager ces états d’âme, ça passe par une écriture exprimant l’intériorité, le "ressenti", sans négliger la fluidité du récit. Jouant autant sur le mystère, l’aspect sociétal, et l’esprit du personnage central, le style harmonieux de Patrick Eris est fort séduisant. Un polar de très belle qualité, qui mérite évidemment un Coup de cœur.
Meurtres en série dans le Jura. Collection Zones Noires. Parution le 3 octobre 2016. 214 pages. 12,90€. La forêt qui murmurait à l'oreille du gendarme... Une semaine parfois c'est long, surtout lorsqu'on attend un événement, de préférence heureux. Une semaine, ce n'est rien comparé à une espérance de vie de, soyons modeste, soixante-quinze ans. Cela ne représente qu'une semaine sur près de quatre-mille que nous serons sur Terre, et quelques fois dans la Lune. A sept ans, le narrateur s'est perdu dans les bois, dans le Jura, une semaine à déambuler et vivre en osmose avec l'air, les plantes, les animaux, une communion qui pourrait ressembler à celle qu'a pu enregistrer Mowgli, l'enfant de la jungle de Rudyard Kipling ou Greystoke, le Tarzan d'Edgar Rice Burroughs. Lorsqu'il a été retrouvé et ramené à ses parents, l'enfant a ressenti comme un manque, un vide. Il avait perdu ses amis qu'il s'était forgé durant une semaine. Les années passent. L'enfant grandit, vieillit, va à l'école, obtient ses diplômes, et entre à la gendarmerie, comme son père, et obtient de rester sur place chez lui dans le Jura. Mais il est différent, ne se sentant pas à l'aise en compagnie, solitaire avec ancré dans l'esprit sa forêt qui lui manque. Il y retourne parfois afin de se vivifier le cerveau. A la gendarmerie de Clairvaux-les-Lacs, les effectifs sont réduits, Garonne a pris sa retraite deux mois auparavant et il n'a pas été remplacé, réduction du budget oblige. Il ne reste donc que Caro, une autochtone comme lui, et Serge. Le Scooby Gang.
Un horrible crime vient d'être découvert dans une petite ferme des environs. C'est un voisin intrigué par une fumée annonçant un début d'incendie qui a prévenu la maréchaussée. La scène de crime est comme une représentation pour le Musée Grévin. Quatre personnes, le père, la mère et les deux adolescents, un garçon et une fille, égorgés, habillés normalement et attachés sur leurs chaises devant la table de la cuisine. Ce n'est pas le premier massacre ainsi perpétré. Une semaine auparavant, près de Saint-Claude, le préposé à la distribution du courrier, en langage clair le facteur, a découvert une famille, deux adultes et un ado attachés et placés devant la table de la salle à manger. Les coups de couteau assenés ne se comptent plus, ou alors il faut du temps. Mais qui peut s'intéresser à ces deux faits divers d'hiver, qui se sont déroulés dans un coin perdu de la province française ? Sûrement pas les médias car sévit un jeu à la télévision qui accapare l'attention de la population. Un jeu débile de téléréalité avec des concurrents pas très futés, et cela fait des années que ça dure. Et pour donner du piment à ce jeu, les téléspectateurs peuvent parier sur l'un ou l'autre des rivaux, et naturellement l'appât du gain entretient l'intérêt dans les chaumières, dans les cafés, à la télé, dans les journaux. Seul le journaliste local suit la progression de l'enquête par les gendarmes livrés à eux-mêmes, car les autorités compétentes et la capitale ont d'autres préoccupations en tête. Economiser dans tous les domaines étant le maître mot. Les ordinateurs rament sauf lorsqu'ils se plantent, le véhicule de fonction devrait être à la retraite depuis longtemps, et la caserne, comme bien d'autres, est insalubre. L'avantage est de pouvoir vivre chez soi, et faire taire les mauvaises langues (si, si , ça existe !) qui considèrent que le logement gratuit était un privilège éhonté et exorbitant. Il faut au gendarme et ses deux collègues essayer de dénicher le lien entre ces deux, non trois, drames. Car un nouvel assassinat de groupe est signalé près de Macon. Les modalités ne sont pas tout à fait les mêmes, le meurtrier ayant employé une arme à feu à la place du couteau, tout de même moins bruyant. C'est le journaliste ami du gendarme qui met le doigt sur le lien existant entre ces trois affaires. Du moins le suppose-t-il. Mais le tueur n'apprécie pas que l'on s'occupe de ses petites affaires de meurtres en série.
Patrick Eris nous propose deux pistes de lectures dans ce roman. L'appel de la nature, l'appel de la forêt, symbole cher à Jack London, qui scande la vie du gendarme, lequel se rend dans ce refuge boisé afin de se ressourcer, de réfléchir, de se recomposer, de communier en paix. Mais également Patrick Eris, dans ce roman légèrement anticipatif, la date n'est pas précisée, dénonce la déliquescence, la dégénérescence de la société plus passionnée par un jeu de téléréalité que par les affaires graves qui la secoue. Les moyens octroyés pour enquêter sont réduits au strict minimum. L'on ne peut même pas parler de portion congrue, puisque la définition de portion congrue est quantité de ressources versées mais qui est à peine suffisante pour vivre. Dans ce cas, les ressources financières et les aides en logistique et en matériel sont réduites à néant. Laisser pourrir pour ensuite obtenir sans trop de remous ce qui a toujours été le but du jeu est une vieille tactique à laquelle les politiciens sont rompus. L'auteur aborde également un sujet d'actualité, touchant de nombreuses communes françaises. La Poste et son désengagement dans le courrier. Il n'y a qu'à lire les compte-rendu dans les quotidiens locaux actuellement. Ce facteur que les décideurs des villes voudraient voir supprimé au nom de la modernité. Et bien entendu le problème de l'information mâchée, formatée, est abordé. La forêt est la parabole du silence, de la quiétude, de la paix, de la sérénité, du retour vers des choses moins frelatées que la politique (par exemple). Le gendarme y retourne souvent avec en tête les variations Goldberg qui lui permettent de se déconnecter d'une réalité trop anxiogène.
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