Entre fleuve et océan, à proximité de la campagne viticole, Saproville-sur-Mer est une ville portuaire d'importance. S'y trouve le siège de France-Océan, un des principaux quotidiens régionaux français. C'est un des grands journaux issus de la Libération, détenu depuis par la famille Kerbrian du Roscoät, dont l'aïeul René fut un grand nom de la Résistance. Pour la population des régions concernées, toute l'information se résume à ce qui paraît dans ce journal. Après René, ce fut Luc Kerbrian du Roscoät qui dirigea le quotidien, avant d'en céder les rênes à son fils Fabrice. Ces dernières années, ce dernier modernisa ce média, y ajoutant une édition dominicale, créant une télévision, misant sur l'info en numérique. Des progrès indispensables, même si Luc n'approuvait guère, et si de vieux routiers du faits-divers tel que le reporter Franck Schirmeck quittèrent la rédaction. Fabrice Kerbrian du Roscoät a été assassiné. Pas question de faire des vagues autour de la respectée famille. D'ailleurs Luc, qui a repris la direction de France-Océan, y veillera. Et si la situation financière est défavorable, il saura y remédier. À la PJ, le commissaire Yann Le Trividic et son équipe mènent une enquête prudente. Néanmoins, son adjoint Lesieur a de la mémoire : Carvalho, l'actuel DRH du journal, possède un passé trouble. Coupable, peut-être pas, mais il détient sûrement d'utiles éléments. José Barteau, comptable dans une entreprise nautique, a été abattu à son tour. Le lien direct n'est pas flagrant, même s'il pouvait exister des griefs entre Fabrice et lui. Connaissant bien les dessous de son ancien journal, Schirmeck renseigne tant soit peu la police. Bientôt, le directeur de la rédaction va faire figure de suspect numéro 1. Où serait-il davantage en sécurité qu'en prison ? Victor Boudreaux a cessé ses activités de détective privé. Entre sa compagne Jeanne, une passionnée de classiques du cinéma, et son ami de la DCRI Edgar Ouveure, il récupère après un AVC. Il lui tarde de retourner à La Nouvelle-Orléans, sa ville de cœur, où habite sa nièce Joliette. Des émissaires d'une puissante agence d'investigation affirment que la jeune femme serait impliquée dans un trafic d'objets religieux. Ennuyeux, car les colis sont envoyés de Saproville jusqu'en Louisiane, sous le nom de Victor Boudreaux. Il est temps pour lui de s'armer d'un Glock et de disposer de renforts, la famille manouche Estefan. Secouer un petit truand, puis un brocanteur véreux, l'aidera à s'orienter vers la bonne piste. Pendant ce temps, la juge Sophie Lazaro-Borgès file le parfait amour avec le flic Hoareau, beau Réunionnais. Et, après un troisième meurtre dissemblable, la PJ tente de cerner la vérité dans cette complexe affaire... Ce modeste survol de l'intrigue ne risque pas de dévoiler l'essentiel de ce polar, ni d'en dénaturer la lecture. Car c'est grâce à la narration enjouée de l'auteur que l'histoire trouve sa tonalité. Certes, on pourrait qualifier ce roman de comédie à suspense. Les portraits des protagonistes sont riches d'une ironie savoureuse, et les dialogues ciselés avec humour. On aime clins d'œil (Edgar Ouveure, par exemple) et anecdotes (telle la petite combine dans un salon du livre), autant que les références à des films d'anthologie chers à Jeanne. Le patronyme du faits-diversier n'est probablement pas innocent non plus. On apprend aussi que pour apprivoiser les manouches, il faut apprécier le ragoût de hérisson. L'ex-baroudeur Victor Boudreaux nous invite, via ses souvenirs nostalgiques, à une visite perso de La Nouvelle-Orléans. Le récit est émaillé de réflexions, comme “Les Américains, peuplade totalement paranoïaque par ignorance et mépris de l'étranger, appréhendent la guerre sous forme de tourisme inversé. Une occasion non pas de voir du pays, mais d'importer le leur en terrain conquis.” Les sourires se complètent par des scènes moins drolatiques, et n'ont jamais empêché d'esquisser des thèmes sérieux. Entre autres ici, la rentabilité artificielle de la presse française. Si la publicité les aide à vivre, au nom de la pluralité médiatique, les journaux sont sous perfusion financière afin de ne pas sombrer dans un coma profond. Quelques sujets sombres sont également abordés. Mis en valeur par l'écriture stylée de Michel Embareck, un suspense impeccable.
Une autre lecture duAvis D'obsèquesde PAUL MAUGENDRE |
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Les deux policiers de la municipale, qui patrouillent aux abords du jardin Balzac de Saproville-sur-mer, en ce dimanche matin d'automne, pensent être en présence d'un poivrot affalé contre le portillon d'entrée. Mais en retournant le corps ils s'aperçoivent bien vite de leur bévue. L'homme n'aura plus l'occasion d'ingurgiter une quelconque boisson pour digérer le pruneau qui lui a emporté la calebasse. Car la victime n'est pas n'importe qui. Il n'aura même pas le désagrément de pouvoir lire son nom figurer à la rubrique adéquate des avis d'obsèques dans le journal quotidien régional dont il est propriétaire. Bon nombre de lecteurs ouvrent le canard à la page obsèques et sont satisfaits de ne pas voir leur nom inscrit. Au moins ceux-ci débutent bien la journée. La famille de Fabrice Kerbrian du Roscoät, le jeune patron de France-Océan, aura au moins la consolation de ne pas payer les frais d'insertion dans le journal qu'il avait repris à la suite de son père et de son grand-père, le fondateur de cet organe de presse qui est en position de quasi monopole dans la région. Il n'y a pas de petites économies. Et il faut en faire, car le journal est dans une mauvaise passe. Alors qu'il avait des velléités de devenir viticulteur, Fabulous Fab comme il avait été surnommé, avait suivi des cours de gestion aux USA puis il avait réorganisé le quotidien régional. Passage au format tabloïd, suppléments en tous genres, chaines radio et télévision, passage au numérique et autres bricoles dont une palanquée de directeurs de tout et surtout de rien, avaient obéré les finances du groupe qui règne sur une douzaine de départements autour du siège social sis à Saproville-sur-mer. Le commandant Hoareau, natif de la Réunion, est en charge de l'enquête, mais vu la personnalité du défunt, la Police Judiciaire est rapidement représentée en les personnes du commandant Le Trividic et de son adjoint Lesieur. Une perquisition au domicile de Fabrice Kerbrian s'avère frustrante. L'ordinateur, le portable et des papiers ont disparu. Les deux policiers sont à l'affut dans le cimetière lors des obsèques de Kerbrian, ils sont intrigués par le manège d'un curieux personnage qui effectue la navette entre le maire et le député. Ce n'est autre que le responsable du personnel, pardon le directeur des ressources humaines. Entre le maire et le député, ce n'est guère l'entente cordiale. Ils se sont partagés les responsabilités, adhèrent à des partis différents, mais allez savoir si en coulisses ils sont vraiment adversaires. Des pistes sont évoquées. Par exemple Schirmeck, le fait-diversier qui au bout de plus de vingt ans de bons et loyaux services a quitté le journal, pour des raisons obscures. Il y aurait bien aussi Philipe Marais, le rédacteur en chef qui portent des cornes offertes par Kerbrian. Et puis à quoi correspond l'appel téléphonique adressé à José Barteau par Kerbrian le soir du meurtre. Et en parlant de meurtre, José Barteau est lui aussi retrouvé rectifié dans son lit avec une hache fichée dans le crâne. Victor Boudreau, un détective privé dont la mère était originaire de La Nouvelle-Orléans, se remet progressivement d'un AVC. Heureusement Jeanne, sa compagne, est là pour le soutenir. Et il est franchement embêté car il vient d'apprendre que sa nièce, Joliette, et son ami Turnbinton seraient impliqués dans un recel d'objets d'art religieux là-bas en Louisiane. Des objets qui auraient traversé l'Atlantique à bord de conteneurs expédiés par lui-même. Y'a un truc qu'il faut absolument qu'il démêle, aidé de Jeanne, évidemment, entre deux films américains en noir et blanc dont elle se délecte. Ses investigations l'amènent à s'immiscer dans ce microcosme local, aidé par l'un des pontes des Renseignements Généraux, Edgar Ouveure le bien nommé. Et ça grenouille de partout. Michel Embareck nous entraîne dans la ville imaginaire de Saproville-sur-mer, qui est un composé de Nantes et de Rennes, dont certains noms de rues seront explicites aux lecteurs du plus gros quotidien régional, afin de mieux développer une double intrigue plaisante teintée d'un humour caustique et d'une ironie grinçante. Luc Kerbrian, le père de Fabrice, est obligé de reprendre les rênes du quotidien et ce ne sera pas sans douleur. Il y aura peut-être des sacrifices, de la sueur, des larmes, mais chacun fera ce qu'il sait faire pour que le quotidien demeure le compagnon matinal du café sur le zinc, l'organe indispensable pour se tenir informé de la vie locale. D'abord parce que le papier, c'est concret, ce n'est pas du virtuel. On ne peut pas se servir d'un portable ou autre matériel informatique moderne comme le faisaient les anciens pour s'éventer ou... remplacer le papier toilette. Et les nostalgiques du papier abondent encore dans la campagne : Comment voulez-vous que le lecteur découpe un article, qu'il le colle dans un cahier ou sur une porte de placard dans sa cuisine ? s'interroge-t-il en redressant le buste. Prenons un exemple : la purée, c'est bête comme chou, la purée. Eh bien, on n'a jamais trouvé mieux que le presse-purée à manivelle pour la réussir. C'est un coup de pied dans l'informatique à tout crin, ou je n'ai rien compris. Mais les nouvelles technologies ne sont pas les seules à alimenter la gouaille de Michel Embareck. Les psys convoqués dans les tribunaux aussi en prennent pour leur grade : Pour la plupart chef de clinique, ils préfèrent refiler un dingo absolu à la pénitentiaire plutôt que de se le coltiner dans leurs services. Certains, au terme de leur rapport, n'hésitent pas à déclarer des handicapés mentaux responsables de leurs actes au prétexte qu'ils comprennent la différence entre le bien et le mal. Coups de griffes ai-je insinué ? un exemple : Les urgences, même à l'hôpital, elles n'en ont plus que le nom. Certains pourraient dire qu'il s'agit de démagogie, moi je préfère qualifier ces réflexions de bon sens comme du réalisme. D'autres points sont soulevés, que je ne vous dévoilerai pas par manque de place et par respect pour l'auteur qui préfère que vous lisiez son livre, mais sachez que la police, l'immobilier, la justice et autres fariboles dont une incursion dans des épisodes relatifs à la presse durant la Seconde Guerre Mondiale et à la Libération, ne sont pas épargnés par la verve de Michel Embareck. Si je me suis plus attardé sur l'évolution et l'aspect financier de la presse, c'est bien parce que Michel Embareck, journaliste lui-même, en connait les arcanes, en a subi peut-être les soubresauts et qu'il écrit en connaissance de cause. Dans ce roman s'imbriquent deux enquêtes. L'une sur les meurtres, car il y en aura plusieurs, faut bien contenter le lecteur, et l'autre sur les fameux objets d'art religieux. Et dans cette dernière Victor Boudreaux s'en donne à cœur joie. Il a retrouvé toute sa vitalité ou presque, grâce à sa volonté et à son physique qu'il entretient en digne lanceur de marteau qu'il est et coach de temps à autre en Louisiane auprès de jeunes filles adeptes de l'athlétisme, et il joue avec virtuosité de la chaine de tronçonneuse au chamboule-tout avec la tête de ses adversaires. Et là-dessus, plane un petit air de jazz, en référence bien évidemment à La Nouvelle-Orléans.
Une autre lecture duAvis D'obsèquesde JEANNE DESAUBRY |
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Avisd’ObsèquesMichel EmbarekL’Archipel, 2013C’est polar, c’est français, régional, et tout le sel réside dans le ton qu’adopte Embarek pour nous narrer de sordides histoires de gros sous et de petites ambitions. Il n’y a pas que du sel : on trouve aussi du poivre, sans compter une pincée de piment issu de la Nouvelle-Orléans. Un beau ( ?) matin, dans une ville imaginaire : Saproville sur Mer, on découvre un cadavre. C’est celui du propriétaire du journal régional et on n’a pas affaire à une mort naturelle, malgré l’acharnement à se dézinguer le foie qui faisait la réputation du patron de presse. Un quidam l’a aidé à en finir d’une balle dans la tête. C’est ennuyeux. C’est même fâcheux : cela contrarie les huiles locales et ça donne du travail à la police, à la justice, allant jusqu’à bousculer la paisible retraite d’un barbouze. Les empires familiaux recèlent leur comptant de haine recuite, ne différant en cela pas des familles dénuées de patrimoine. Le Trividic, commissaire dont les rêves tournent autour de la construction d’un escalier de bois, va cependant faire la triste expérience des pressions qu’engendre trop d’argent. Le roman plein d’une verve joyeuse, drôle, mordante, n’est sans doute pas l’œuvre majeure d’Embarek, mais il nous offre un bon exemple de son ton allègre, poliment cynique. Sa dernière sortie nous avait affranchis de son indulgence à l’égard des mauvais garçons quand ils rangent les flingues (Très Chers Escrocs – l’Ecailler 2013) : ici ils les sortent. Embarek leur pardonne cependant tout aussi facilement tant que c’est fait avec élégance. S’il n’y avait les amours en demi-teinte d’une juge, on voguerait en compagnie de l’auteur du côté des Tontons Flingueurs, relookés contemporain. Car elle a bien besoin de se consoler, Madame la Juge, elle qui songe avec une certaine amertume que la plupart du temps son boulot consiste à « coincer des têtes de nœuds dotés du quotient intellectuel du cancrelat » Un cru sympathique, très français, distrayant et cependant ô combien clairvoyant qui n’hésite pas à se moquer de lui-même : « Ah, ils ont bonne mine, les scénaristes télé, les polardeux avec leurs tueurs en série, violeurs en série, connards en série habités par Saint Psychopathe et pourchassés par des experts diplômés de l’université de Bourrelemou les Gogos ! ». On peut difficilement faire mieux en matière d’autocritique du genre ! C’est toutefois dangereux, car cela exige à la suite de dépasser les poncifs critiqués. C’est ce que fait haut la main Embarek avec une enquête qui ne sert que de prétexte à un portrait doux amer de notre société.
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