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EMMANUEL ERRER |
GangrèneAux éditions SERIE NOIREVisitez leur site |
2612Lectures depuisLe jeudi 15 Aout 2013
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Une lecture de |
À part sa vieille mère, tout le monde le surnomme “Fab”. À l'Anti-Gang, Fabrice Dumont a commis une bavure trois ans plus tôt. Voilà près d'une année qu'il a été muté dans sa ville natale, en province. Le commissaire Berdrin, son supérieur, l'appelle “le cow-boy”. Fab ne cherche pas à sympathiser avec ses collègues. Pas plus qu'il ne veut être agréable avec qui que ce soit. Même pas avec son copain d'autrefois Roger Rousselot, leader syndical. Le principal employeur local, c'est l'entreprise de M.Coulmier. Des ouvriers d'ici, et beaucoup de main d'œuvre étrangère moins coûteuse. Une grosse fournée de licenciements étant prévue, la situation oscille entre grève et lock-out. “Les patrons ont pris l'habitude de chouchouter les cerveaux et les chefs, même les petits, les minables, les rampants. Peu à peu, les blouses blanches avaient supplantés les bleus, cassant la mythologie de l'usine, formant une nouvelle caste, certains se retrouvant aujourd'hui parmi les manifestants. On devient solidaires quand la feuille de paie risque d'écoper.” Au moment où s'esquisse une possible négociation, la petite-fille de M.Coulmier vient d'être kidnappée sur le chemin de son école. Âgée de sept ans, Marie-Jeanne est la fille de Sabine Coulmier. Ex-junkie, alcoolo et portée sur le sexe, la trentenaire Sabine ne s'est jamais occupée de sa gamine, en laissant la charge à sa propre mère. Fab la retrouve chez un amant de passage. Sabine pense que ce sont les syndicalistes qui ont enlevé sa fille, pour faire pression sur son père. Hypothèse hautement improbable. D'ailleurs, c'est à contrecœur que Roger Rosselot accepte une trêve dans le conflit social. Coulmier restera ferme sur le fait de ne pas payer de rançon. Selon une élève de l'école Sainte-Félicité, la victime sera montée volontairement dans le véhicule de son ravisseur. La police ne tarde pas à découvrir la Lada bleu marine, vide, qui a servi au rapt de Marie-Jeanne Coulmier. Pas vraiment d'indice pour aiguiller les flics. De toutes façons, Fab mène son enquête en solo, en parallèle. Y compris dans les bordels de la ville. Un Africain qu'on nomme “Toussaint la branche” lui apparaît bientôt suspect, ayant claqué beaucoup d'argent liquide depuis peu. Malien, Toussaint Odienné est homme à tout faire, autant pour l'usine que pour la propriété des Coulmier. De son côté, le syndicaliste Roger commence à être la cible de rumeurs, peut-être vraies en partie. Fab et lui sont visés par des tirs, mais les agresseurs disparaissent. Sabine Coulmier s'invite un soir chez Fab. C'est surtout de sommeil dont elle a besoin. L'enlèvement de la gamine est finalement connu de toute la ville. Fab ne croit guère à la thèse officielle du kidnappeur pervers. Il poursuit ses investigations dans les maisons closes, et auprès de la communauté maghrébine. C'est par ces derniers qu'il obtiendra les meilleures infos... Il est bon de souligner que Fab n'est pas un brave policier sans reproche injustement maltraité par la vie. Il est de la génération de ces “flics de choc” censés donner un nouvel élan à notre police, en ce temps-là. Ce retour aux sources est synonyme d'échec pour ce cow-boy désabusé. S'il mène une enquête, il cherche davantage la vérité qu'un coupable. Ambiance sombre, fatalement morose. Qui ressemble quelque peu à celle d'un autre noir suspense d'Emmanuel Errer, “Le syndrome du P.38” (Fleuve Noir, 1983). Si les intrigues y sont situées dans des villes industrielles en déclin, les histoires restent assez différentes. La crise économique du début des années 80 sert de contexte. Les entreprises ont moins besoin de personnel, excluant en premier ces immigrés qu'elles firent venir. Cela engendre un regain de racisme affiché, déjà décomplexé. Un certain parti marginal n'attend que ça pour, les années suivantes, scander ses slogans hostiles. Côté syndicats, leur puissance est alors de plus en plus faiblissante. La solidarité ouvrière commence à s'éteindre, tandis qu'un égocentrisme forcené prend de l'essor. Depuis, c'est le “chacun pour soi” qui s'est imposé, on le sait. C'est encore en cette période qu'on attribue désormais, à défaut de meilleurs salaires, des titres ronflants aux employés : le chef du personnel est maintenant DRH, le préposé à l'entretien des machines en usine devient ingénieur en sécurité, le serveur de fast-food est assistant-manager. Ici, on n'est que dans les prémices de cette “évolution” sociétale, vers la fin du paternalisme d'entreprise. Un bon roman noir, comme celui-ci, est aussi le témoignage sur une époque. |
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