Présentation de Jean-Pierre Rioux. Illustrations de Théophile Schuler. Erckmann-Chatrian, dont longtemps j’ai cru qu’il s’agissait d’un seul et unique auteur, fait partie de ces romanciers qui ont alimenté nos lectures de jeunesse puisées dans la fameuse et mythique Bibliothèque Verte, aux côtés des Jules Verne, Alexandre Dumas, Hector Malot, Paul Féval et autres romanciers du XIXème siècle. Leur intention était de décrire avec simplicité, amabilité, délicatesse, les petites gens du peuple, d’écrire des ouvrages populaires, populaire dans le bon sens du terme, tout comme Hector Malot le fit avec Sans Famille et En Famille, pour ne citer que les plus connus. Leur priorité est de retracer des histoires du peuple pour le peuple, eux-mêmes étant issus du peuple et le revendiquant à travers leurs ouvrages dont le décor est le terroir natal. Dans L’Ami Fritz, c’est un hobereau de la petite ville de Hunebourg qui tient la vedette. Fritz Kobus est à plus de trente ans encore célibataire. Son père juge de paix, décédé quinze ans auparavant, lui a légué un riche héritage composé d’une belle maison, d’une ferme et de pas mal d’écus placés sur de solides hypothèques. Alors il se contente de vivre en épicurien, obéissant à trois règles simples qu’il s’est édictées : éviter de devenir trop gras, de prendre des actions industrielles et de se marier. Et il a réussi à ne jamais contrevenir à ces prises de position, malgré les avances de son vieil ami le rabbin David Sichel qui lui a déjà proposé de convoler en justes noces, lui ayant présenté quelques vingt trois jeunes femmes. Ses journées sont bien réglées, lisant le journal ou effectuant un tour dans les champs environnant, dînant et soupant à heures régulières, se délectant des bons plats préparés par Katel sa vieille servante, vidant quelques chopes le soir à la brasserie du Grand-Cerf, jouant aux cartes avec ses amis Frédéric Schoultz et le percepteur Hâan principalement. Lors de l’arrivée du printemps, il est réveillé par un concert donné par Iôsef, le vieux bohémien violoniste auquel par le passé il a sauvé la mise face à la maréchaussée. Tout irait donc pour le mieux jusqu’au jour où il s’aperçoit que la jeune Sûzel, la fille de son fermier est devenue à dix sept ans une jeune fille fort agréable à regarder avec ses joues rebondies et ses bras dodus. Mais les romans d’Erckmann-Chatrian s’inscrivent également dans des épisodes d’un passé récent de l’histoire de France. Avec Madame Thérèse, ils nous plongent en plein cœur de la Révolution française au tout début de la République. Ceci ne sert qu’à implanter le décor, car leur propos n’est autre que de mettre en scène une femme, madame Thérèse, emblème des personnages féminins jouant un rôle prépondérant mais effacé. Comme bien de ses consœurs, elle n’aspire qu’à mener une vie tranquille, simple et paisible, ponctuée des tâches ménagères quotidiennes, se trouvant élevée malgré elle héroïne face à l’envahisseur qui menace la paix. Madame Thérèse fit partie de la collection des Romans Nationaux de l’éditeur Hetzel tout comme Histoire d’un conscrit de 1813 (bizarrement renommé sur la couverture Histoire d’un conscrit de 1830 !), Le Blocus, épisode de la fin de l’Empire ou encore Waterloo présents dans ce volume. Enfin Histoire d’un paysan, fort roman de quelques 620 pages, sous titré La Révolution française racontée par un paysan, se décline en quatre parties : 1789, Les Etats Généraux ; 1792, La Patrie en danger ; 1793, L’An I de la République ; 1794 à 1815, Le Citoyen Bonaparte. Les titres se suffisent à eux-mêmes pour mettre le lecteur dans une ambiance de confidence guerrière qui secoua la France durant de longues années, la campagne n’échappant pas à la frénésie parisienne. Le narrateur se contente de relater ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu, sans vouloir prendre une position partisane. Ce que l’on retiendra c’est qu’en réalité ce vieux paysan qui rédige ses mémoires afin d’en faire profiter ses proches, ses amis et sa famille, était un pacifiste. « Les massacres ont toujours été et seront toujours des choses épouvantables ». Et il met dans le même panier, nobles, religieux et soi-disant Jacobins. « Quand on voit que les gens sont si bons pour les blessés, l’idée vous vient naturellement qu’ils n’auraient pas besoin d’être si bons, s’ils avaient le bon sens de s’entendre entre eux et de s’opposer à la guerre de toutes leurs forces ». Erckmann-Chatrian étaient des humanistes qui après être tombés quelque peu dans l’oubli se voient aujourd’hui réhabilités. Et je conseillerai à tous ceux qui désirent en savoir plus de se procurer la revue Le Rocambole N° 47 qui leur a été consacré en 2009. Et j’ose espérer que d’autres auteurs dont Hector Malot connaitront un même hommage.
|
|